01 - 06 - 2017

Périmètres ministériels : Gérard Collomb prend la haute main sur les collectivités (Source : lagazettedescommunes.com)

Le ministre de l’Intérieur s’impose, dans les décrets d’attribution publiés le 25 mai 2017, comme l’interlocuteur numéro un des collectivités. Le ministre de la Cohésion des territoires Richard Ferrand sera principalement en charge du Logement. Gérald Darmanin sera le ministre des fonctionnaires d’Etat et des territoriaux ainsi que des finances locales.

Grand élu et premier parrain politique d’Emmanuel Macron, le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb apparaît comme le principal bénéficiaire des décrets d’attribution publiés le 25 mai 2017. L’homme à l’origine des métropoles particulières de Paris, Lyon et Aix-Marseille-Provence prend la haute main sur la décentralisation. Il récupère le gros des prérogatives assurées à la fin de la dernière mandature par le ministre en charge des Collectivités territoriales, Jean-Michel Baylet.

Dans l’escarcelle de Gérard Collomb, figurent « la politique de renforcement des responsabilités locales » et « le dialogue national avec les collectivités ». Le premier magistrat de Lyon préparera également « les orientations stratégiques du Gouvernement pour le développement des métropoles ».

En jeu : la disparition des conseils départementaux sur le territoire de ces grands groupements urbains. Une idée que le maire de Lyon a « vendue » durant la campagne présidentielle à son ami Emmanuel Macron. « Les questions institutionnelles de décentralisation, de compétences des collectivités et des métropoles, sont chez Gérard Collomb », confirme un haut fonctionnaire proche de l’Elysée.

L’aménagement du Territoire pour Richard Ferrand…

Enfin, le nouvel homme fort de la place Beauvau « est chargé, conjointement avec le ministre de l’action et des comptes publics, de la définition des orientations du Gouvernement concernant les finances locales ». Une mission à haut risque. Il s’agit de négocier avec les associations d’élus un « pacte » fondé sur la baisse de 10 milliards de dépenses de fonctionnement des collectivités en l’échange de l’assouplissement de la réforme des rythmes scolaires et de la fin de l’application de la hausse uniforme du point d’indice aux agents publics locaux.

Richard Ferrand ne dispose pas d’un tel périmètre. Ses interventions dans la sphère budgétaire se limitent essentiellement à « la solidarité financière ». Il a autorité, conjointement avec le ministre de l’Intérieur, sur la direction générale des collectivités locales.

Le ministre de  la Cohésion des Territoires « veille à ce que chaque territoire dispose des moyens de surmonter ses fragilités et de développer son potentiel en fonction de ses spécificités, au service de l’égalité entre les citoyens et entre les territoires ». « Le périmètre exclusif de ce ministère n’est pas immense (il n’a autorité exclusive sur aucune direction en dehors du Commissariat général à légalité des territoires) mais son titulaire, Richard Ferrand, 6ème dans l’ordre protocolaire, semble disposer d’une capacité d’intervention transversale sur un éventail étendu de sujets », jauge le politologue Patrick Le Lidec.

« Richard Ferrand n’a pas l’entièreté des collectivités, loin de là, confirme un haut fonctionnaire proche de l’Elysée. Mais il ne se limite pas strictement à l’aménagement du territoire. »

 

… le gros dossier du Logement

Richard Ferrand  est principalement chargé de mettre en œuvre la politique du Gouvernement dans le domaine du logement et de la lutte contre la précarité et l’exclusion, de la construction, de l’urbanisme et de l’aménagement foncier et du cadre de vie. Plus précisément, il élabore les règles relatives à la planification urbaine et à l’occupation des sols, ainsi qu’à l’urbanisme opérationnel. Il devrait ainsi rapidement présenter des mesures permettant d’accélérer les projets de construction en zone tendue – avec notamment la mise en place d’opérations d’intérêt national dans lesquelles c’est l’Etat qui délivre les permis de construire, et non les maires. Il est également chargé, comme ses prédécesseurs, en liaison avec le ministre de l’action et des comptes publics, de la mobilisation du foncier public en faveur de la construction de logements.

Classiquement, il élabore les règles relatives au logement social, à l’accès au logement, aux relations locatives, aux aides au logement et à la réhabilitation de l’habitat. La loi Egalité et citoyenneté du 27 janvier 2017 ayant posé de nombreuses nouvelles obligations pour les bailleurs sociaux en termes d’attributions de logements, de transparence des procédures, une pause devrait être observée sur le  sujet. Il doit par ailleurs suivre conjointement avec le ministre de la transition écologique et solidaire le chantier de la rénovation énergétique de l’habitat, un autre sujet sur lequel le président Macron a pris des engagements forts. A ce sujet, il est le ministre de tutelle de l’Agence nationale de l’habitat.

Enfin, il élabore et met en œuvre la politique en faveur du logement et de l’hébergement des personnes en situation d’exclusion, ce qui  inclut le dossier chaud de l’accueil des migrants.

Les acteurs du logement ont pour certains  regretté l’absence du logement clairement désigné dans l’intitulé du ministère. C’est le cas de l’Union sociale pour l’habitat, qui estime que l’absence d’un ministère de plein exercice est un signe négatif. La Fondation Abbé Pierre estime que « la composition du nouveau gouvernement fait apparaître un grand oubli : le logement. Cette perspective est extrêmement inquiétante pour tous ceux qui sont confrontés, de près ou de loin, à la crise du logement et de l’hébergement », et réclame un ministre de plein exercice.

Les professionnels de la construction ont eu des réactions plus positives. Le Syndicat national des aménageurs –lotisseurs (SNAL) a par exemple relevé : « Avec un grand ministère désormais consacré à la cohésion entre les territoires, une véritable politique en faveur d’un aménagement éco-responsable est-elle envisageable en France ? »

La Fédération des promoteurs immobiliers estime quant à elle que le rapprochement au sein d’un même ministère de  la ville est du logement est un signal positif, et pour sa présidente Alexandra François-Cuxac,  « la dénomination de notre nouveau ministère de tutelle est à saluer car, à ce stade de la décentralisation, c’est bien de cohérence et de cohésion dont les territoires ont désormais besoin pour remplir leurs missions avec efficacité».

… et de la politique de la ville

Autre fait notable : ce ministère XXL s’élargit à la politique de la ville. La situation est inédite. Pour la première fois depuis 1990 et la création, sous l’impulsion de François Mitterrand et de Michel Rocard, d’un ministère explicitement dédié à la politique de la ville, l’intitulé disparaît. Selon le décret d’attribution du 25 mai, c’est bien le ministère de la cohésion des territoires qui, désormais, « élabore et met en œuvre la politique du gouvernement relative à la ville, notamment aux quartiers défavorisés, à l’intégration et à la lutte contre les discriminations ».

A ce titre, précise le décret, il élabore et met en œuvre « la politique du logement dans la ville, notamment en termes d’offre et de rénovation de logements, la politique de renouvellement urbain et la politique en faveur des quartiers défavorisés ».

Il participe en outre « à la définition du programme d’insertion des publics fragiles dans ces quartiers notamment à travers la formation professionnelle et l’activité économique ». Enfin, il exerce « la tutelle de l’agence nationale pour la rénovation urbaine (…) et définit et met en œuvre le programme national de renouvellement urbain ». Autre tutelle, conjointe : celle de l’Etablissement public d’insertion de la défense et de l’Etablissement public d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux. Il peut présider le comité interministériel des villes.

Le texte est donc clair : si la politique de la ville ne fait l’objet d’aucun ministère spécifique, elle est bel bien maintenue et intégrée dans le périmètre du ministre Richard Ferrand. A l’occasion de la passation de pouvoirs, celui-ci s’est d’ailleurs montré rassurant sur cette absence de ministère.
« Si, il y en a un, mais simplement il s’appelle autrement parce que ce qui reste à faire doit s’insérer dans une action plus globale qui porte ses fruits dans tous les territoires de France », a-t-il justifié devant son prédécesseur, Patrick Kanner.

Confirmation dans l’entourage d’Emmanuel Macron, où l’on explique que « cette logique obéit à une vision globale ». « Dans l’opinion publique, la politique de la ville n’a pas toujours bonne presse et le fait de la distinguer du reste a tendance à stigmatiser les quartiers prioritaires, confie-t-on. Il s’agit donc, avec ce ministère de la cohésion des territoires de montrer que le gouvernement s’inscrit dans une réponse globale qui s’adresse à tous les territoires, sans distinction ». « Pour autant, ajoute-t-on, la politique de la ville est bien maintenue, comme le détaille le décret d’attribution. Mais elle n’est plus traitée à part. Il n’y a plus de segmentation entre les territoires ruraux, les quartiers prioritaires, les métropoles. En somme, tous les territoires fragiles ou à enjeux ».

Qu’en pensent les professionnels ? Interrogé par Le Monde dans son édition du 19 mai, le président de l’association des maires de ville et banlieue, Marc Vuillemot, ne cache pas sa déception. « Le sort des territoires urbains en difficulté et de leurs 5 millions d’habitants n’est ni dans les mains du premier ministre ni dans celles d’un ministre dédié, déplore-t-il. Nous craignons que le sujet ne se retrouve totalement dilué. »

« La suppression du ministère de la ville, englouti dans un vaste “ministère de la Cohésion des territoires” est un signal fort d’abandon envoyé aux habitant.e.s des quartiers populaires, s’agace pour sa part le collectif « Pas sans nous », selon lequel cette suppression s’inscrit dans la continuité d’un programme qui donnait peu de place à cette question, largement mise de côté dans ces élections présidentielles. Or, seules des politiques publiques fortes, menées en concertation avec les habitant.e.s et impliquant l’ensemble des ministères, seront en mesure de combattre les inégalités subies par ces quartiers ». Et d’appeler « Emmanuel Macron à affirmer son engagement pour les quartiers populaires et à replacer cette question centrale au cœur de son projet politique ».

« C’est clair que l’absence de portefeuille politique de la ville nous pose question, s’interroge également Khalid Ida Ali, président de l’Inter-réseau des professionnels du développement social urbain. D’expérience, les professionnels savent que seul un ministère peut mobiliser des moyens et définir des priorités. Mais nous attendons de voir ! »

Gérald Darmanin, ministre des fonctionnaires d’Etat, des territoriaux…

Après une période de doute sur le ministère qui aurait en charge la fonction publique, les organisations syndicales se sont vu confirmées la semaine dernière par le ministre de l’Action et des comptes publics qu’il serait leur interlocuteur privilégié. Le décret d’attributions de Gérald Darmanin, publié le 25 mai, entérine ses propos. Présidant le Conseil supérieur de la fonction publique d’Etat (CSFPE) et le conseil commun de la fonction publique (CCFP), il sera le ministre des fonctionnaires d’Etat et territoriaux, pas celui des fonctionnaires hospitaliers : leur ministre sera Agnès Buzyn , en charge des Solidarités et de la Santé.

Gérald Darmanin devra veiller au respect de leurs droits et leurs obligations ainsi qu’aux principes régissant leur carrière. Il lui reviendra la tâche de conduire « la politique de rénovation de la gestion des ressources humaines dans les administrations publiques » mais également « la politique des rémunérations, des pensions et des retraites dans la fonction publique ».

Le programme du président de la République consiste en effet à supprimer 120 000 postes de fonctionnaires partant à la retraite sur le quinquennat et à engager une réflexion pour qu’un régime universel des retraites prenne forme d’ici 2022. Autres missions de Gérald Darmanin : favoriser la mixité sociale dans l’accès à la fonction publique et mettre en oeuvre la politique de « transformation », notamment numérique, de l’État.

 

… et des finances locales

Dans  le décret d’attribution paru le 25 mai, Gérard Darmanin est, aussi, en charge des comptes publics : il doit donc préparer et exécuter le budget de la Nation. Ce que son prédécesseur Christian Eckert, jugeait déjà représenter « un très gros travail qui nécessite la mobilisation de beaucoup de services de Bercy et de compétences ».  Mais son rôle ne se limite pas à cette seule mission.

Dans ce décret, il est aussi responsable « de la stratégie pluriannuelle des finances publiques ». Il est donc compétent « pour le contrôle économique et financier ainsi que pour la prévision financière », un travail qui dépasse stricto sensu le périmètre d’un secrétaire d’Etat au Budget, pour déborder sur celles du ministre de l’économie, avec qui, précise le décret, il devra travailler « conjointement » sur ce domaine.

Gérald Darmanin jouera naturellement tout son rôle dans le pacte financier Etat-collectivités. « Il coordonne la préparation et le suivi des mesures visant à simplifier les normes et les procédures et à alléger les contraintes administratives », précise notamment son décret d’attribution.

Il sera ainsi chargé de l’élaboration et la mise « en œuvre des règles relatives aux finances locales » qui devra se faire « en liaison avec le ministre de l’intérieur et le ministre de la cohésion des territoires ». Il « disposera » donc de la Direction générale des collectivités locales », mais n’en a pas autorité, contrairement à la Direction générale des finances publiques (DGFiP) ou de la direction du Budget. Lors de la nomination du gouvernement et des intitulés des ministres, quelques observateurs des finances locales et d’associations d’élus s’interrogeaient en effet sur le ministère de tutelle de la DGCL.

Le décret clarifie les attributions du Républicain Gérald Darmanin en matière de finances locales, mais suggère également un travail transversal qui nécessite le recours à un art consommé de la diplomatie, particulièrement avec les ministres de l’Intérieur et de la cohésion des territoires, marqués à gauche. Les décrets n’ont jamais régi les relations humaines comme l’ont montré, lors du dernier quinquennat, les très froides relations entre Christian Eckert et un certain… Emmanuel Macron.

 

Agnès Buzyn, à la tête d’un très large ministère des Solidarités et de la Santé

Un ministère pour en remplacer deux. Agnès Buzyn se voit confier la quasi-totalité des missions de Marisol Touraine et de Laurence Rossignol : santé, mais aussi famille, enfance, personnes âgées et la dépendance ou encore lutte contre la pauvreté. Dans le domaine social, seules les personnes handicapées ne lui sont pas attribuées et reviennent à la secrétaire d’Etat rattachée au Premier ministre.

Contrairement à Marisol Touraine qui en avait deux (Pascal Boistard aux Personnes âgées et Ségolène Neuville à la lutte contre l’exclusion et aux Personnes handicapées), la nouvelle ministre ne s’est vu suppléer d’aucun secrétaire d’Etat. Elle devra donc gérer de fronts de très nombreux dossiers concernant les collectivités, de la réforme du travail social aux déserts médicaux, en passant par l’accueil des jeunes enfants ou l’aide aux personnes âgées dépendantes.

Un éclectisme qui laissent perplexe de nombreuses associations. « Nous ne pouvons que regretter l’absence d’un réel ministère ou secrétariat d’état aux personnes âgées, alors même que nos fédérations souhaitent la création d’une cinquième branche de protection sociale prévenant les risques liés à l’âge ou au handicap », soulignent ainsi Adessadomicile et l’UNA, deux fédérations d’aide à domicile. L’AD-PA (Association de directeurs de maisons de retraite et services à domicile) s’est dite « interloquée » : « aucun ministre, et pas même un secrétaire d’État, ne représente les retraités et personnes âgées ». Une « erreur majeure qui doit être corrigée avant les élections législatives », demandent les directeurs.

Concernant la famille, Adessadomicile et l’UNA craignent même que l’absence de ministère ou secrétariat d’Etat ne permettent des baisses de budgets : « une administration sans ministre dédié est susceptible d’être la première victime de coupes budgétaires », écrivent-ils dans leur communiqué.

 

Sophie Cluzel, en charge des personnes handicapées depuis Matignon

Sophie Cluzel, nouvelle secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, est rattachée directement au Premier ministre, et non plus au ministère des Solidarités. Un moyen de montrer que cette question sera particulièrement suivie. Emmanuel Macron avait ainsi fait de la thématique sa « carte blanche » lors du débat d’entre-deux-tour de la présidentielle.

Néanmoins, une phrase du décret n° 2017-1067 du 24 mai 2017 relatif aux attributions déléguées à la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées a fait tiquer certaines associations.

Sophie Cluzel doit « coordonne[r] les actions menées en faveur de l’accessibilité des biens et des services aux personnes handicapées ». « Cette attribution nécessite au préalable une définition juridique du terme « biens et services » et il faut expliquer ce que ce terme comprend précisément », souligne Soraya Kompany, présidente de l’Apact.