Les chiffres publiés jeudi livrent plusieurs indices sur la nouvelle stratégie de la Banque nationale, depuis le 15 janvier dernier. L’on y apprend notamment qu’elle a acheté presque deux fois plus de dollars que d’euros.
Les premières spéculations post-taux plancher se confirment. Dans les heures et les jours qui ont suivi la décision surprise de la Banque nationale suisse (BNS), le 15 janvier dernier, les experts et les analystes avaient émis toutes sortes de pronostics sur le comportement futur de l’institut d’émission. Le premier, le plus évident, était que la BNS, en raison de l’envolée spectaculaire du franc – de 12% face à l’euro –, allait accuser plusieurs dizaines de milliards de pertes. Parce que la valeur des actifs de la BNS en monnaies étrangères allait fortement se dévaluer. C’est ce que la BNS a fait savoir, jeudi matin (lire ci-contre).
Autre analyse divinatoire: la BNS n’allait pas rester inactive. Elle continuerait d’intervenir sur le marché des changes pour empêcher le franc de s’envoler trop vite et trop haut. Ce d’autant plus qu’une semaine plus tard, la Banque centrale européenne déclencherait son programme de rachats d’actifs, faisant pression sur l’euro. Le directoire de la BNS n’a d’ailleurs jamais nié qu’elle vendrait encore des francs, «si nécessaire».
Au vu des statistiques trimestrielles, également publiées jeudi par la Banque nationale, son triumvirat n’a pas menti. Au cours d’un premier trimestre où le taux plancher a encore existé pendant deux semaines, ses réserves en monnaies étrangères ont gonflé de 21 milliards de francs. Un autre document montre que durant le seul mois de mars, la BNS a acheté l’équivalent de 13 milliards de francs de devises étrangères.
Le troisième enseignement du jour concerne la nouvelle stratégie de la BNS, après l’abandon d’un combat qui devenait «intenable». En janvier, Ernst Baltensperger, l’ancien professeur du président Thomas Jordan, lui conseillait de défendre le franc face à un panier de devises. Et non plus seulement face à l’euro. Pour être plus flexible. Et peut-être, aussi, plus discret.
C’est chose faite. L’institution diversifie ses interventions. Les ventes de francs ne se font plus quasi exclusivement sur la monnaie unique. Les autres devises gagnent en importance.
Au premier trimestre, les opérateurs de la BNS ont certes acheté 17 milliards d’euros. Mais ils ont aussi et surtout acheté beaucoup plus de billets verts: 29 milliards de dollars en trois mois. Soit davantage que les 20 milliards acquis entre fin 2012 et fin 2014. Il faut dire que les perspectives sont plus optimistes outre-Atlantique. Que ce soit sur les cours de changes ou sur les rendements offerts par les obligations. La BNS a aussi acheté 4 milliards de livres sterling. Deux fois plus qu’au cours des deux dernières années.
Désormais, et même s’il faut interpréter les chiffres suivants en tenant compte des variations des cours de changes, la part du dollar dans les réserves atteint 32,4%, contre 28,9% à fin 2014. Et 25,9%, à fin 2013. A l’inverse, l’euro ne représente plus que 41,9% des monnaies étrangères. En 2011, cette part plafonnait encore à 57%.
Un dernier indice sur le comportement de la BNS est arrivé en début de semaine. Economiste chez Credit Suisse, Maxime Botteron observe l’évolution des dépôts à vue auprès de la banque centrale. Publiée à un rythme hebdomadaire, cette statistique donne une idée assez précise de l’évolution des liquidités sur le marché des capitaux suisses.
En deux semaines, ces dépôts ont augmenté de 3,7 milliards de francs. «Ces hausses sont plus importantes que d’habitude, note Maxime Botteron. Elles suggèrent que la BNS a acheté des monnaies étrangères […].»
A y regarder dans le détail, l’économiste en déduit également que la BNS réagit avant que l’euro ne s’approche de la parité face au franc. Autrement dit, elle se montre bien plus active sur le marché lorsque l’euro vogue autour de 1,03 franc que lorsqu’il se situe à 1,05. Comme durant les mois de février et mars. Et comme ce jeudi 30 avril.