Mario Draghi, le gardien de l’euro, considère que c’est un succès. Son arme pour soutenir l’inflation, les rachats massifs d’actifs publics et privés, a permis d’éviter le scénario catastrophe. Ce programme, baptisé « QE » (pour « quantitative easing »), lancé il y a exactement un an, se poursuit sans heurts à raison de 60 milliards d’euros déversés chaque mois sur les marchés. En décembre, le président de la BCE avait soutenu la décision de le prolonger au moins jusqu’en mars 2017. Il y a de nouveau une forte probabilité pour que l’institution amplifie son dispositif lors de sa réunion de jeudi. Car force est de constater que la bataille contre le risque de déflation est encore loin d’être gagnée.
Ce qui a été entrepris avant le QE n’a pas permis d’éloigner la menace d’une spirale de baisse des prix. La BCE a abaissé le taux de refinancement près de zéro et abaissé le taux de dépôt en territoire négatif. Elle a prêté des liquidités en grande quantité et à des conditions très intéressantes aux banques. Depuis les débuts du QE, le 9 mars 2015, près de 730 milliards d’euros d’actifs ont été acquis sur le marché par la BCE et les banques centrales de la zone euro, dont 601 milliards sont des obligations souveraines (le reste étant des obligations sécurisées et des prêts titrisés). Avec les liquidités reçues, les vendeurs sont incités à se porter sur d’autres actifs rapportant davantage que des titres d’Etat sans risque : les actions et les obligations d’entreprise. L’idée est aussi d’inciter les banques à relancer la machine du crédit. Ainsi, les entreprises, encouragées à investir, pourraient créer des emplois, eux-mêmes générant de la consommation, donc de la « bonne » inflation.
Voilà pour la théorie. Mais, à l’heure de célébrer le premier anniversaire du QE, les critiques et réserves sont nombreuses. Coup dur pour la BCE, l’inflation a même affiché une valeur négative de -0,2 % en février, quand l’institution vise une inflation proche de 2 %. Pour ne rien arranger, les anticipations d’inflation à moyen et long terme ont chuté ces derniers mois. Malgré tout, la BCE est persuadée que sa politique est efficace pour soutenir l’économie et que ce qu’il manque c’est un engagement et une action fermes des Etats en faveur de la croissance. L’institution ne cesse depuis un an d’exhorter les gouvernements à mener des réformes susceptibles d’amplifier le mouvement.
Les rachats d’actifs vont augmenter le PIB de la zone euro de 1 % entre 2015 et 2017, dit la BCE. Et, sans le QE, l’inflation aurait été négative en 2015, contre 0 % en réalité, et de 0,5 point inférieure cette année, donc négative. La politique monétaire ayant surtout fait baisser le cours de l’euro, cela a renchéri les importations.
Plusieurs facteurs hors du contrôle de la BCE diminuent l’efficacité du dispositif : la faiblesse de la croissance mondiale et le choc négatif lié à la baisse des cours du pétrole. L’inflation sous-jacente, sans l’effet pétrole, a chuté à 0,7 %, ce qui suggère que des effets de « second tour » jouent sur les salaires et les produits finis.
Des voix en Allemagne comme à la BRI, la banque des banques centrales, s’inquiètent des effets secondaires liés à cette politique monétaire inédite : des bulles se forment sur certains marchés, les Etats tardent à lancer les réformes (l’aléa moral)… Mario Draghi a, lui, les yeux rivés sur le mandat de la BCE. A lui de traduire ce jeudi en actes sa phrase de janvier : « Nous n’abandonnons pas » le combat pour l’inflation.