11 - 12 - 2014

La déflation va-t-elle s’abattre sur la France ? Source : lepoint.fr

Les chiffres de l’inflation au mois de novembre renforcent les craintes d’une spirale de baisse des prix. Un scénario noir contesté par certains économistes.

La déflation va-t-elle finir par couler l’économie européenne ? La menace se fait de plus en plus pressante, même en France. Jeudi, l’institut national de la statistique et des études économiques (Insee) a révélé que les prix à la consommation au mois de novembre avaient reculé de 0,2 %. Sur un an, c’est-à-dire par rapport à novembre 2013, les prix n’ont progressé que de 0,3 %. La zone euro est au diapason, puisque les prix n’y ont augmenté que de 0,3 % également.

Mais le signal le plus inquiétant vient de l’inflation « sous-jacente », hors tarifs réglementés (gaz, électricité), effet de la fiscalité (TVA…) ou des matières premières (pétrole…) et des produits frais. En France, cet indicateur, censé mieux refléter « la tendance de fond de l’évolution des prix », a reculé de 0,2 % par rapport à novembre 2013. « C’est la première fois » que cela arrive depuis 1990 quand l’Insee a commencé à l’utiliser !

Effets du contre-choc pétrolier

Dans le détail, les prix des produits manufacturés amplifient leur recul, parmi lesquels ceux des voitures neuves, des équipements audiovisuels, photographiques et informatiques, souligne l’Insee. « Outre le recul saisonnier des prix de certains services, la baisse des prix à la consommation en novembre résulte d’un nouveau recul des prix des produits manufacturés et des prix de l’énergie, en particulier des produits pétroliers », résume l’institut.

De quoi laisser planer le risque d’une spirale infernale dans laquelle les consommateurs diffèrent leurs achats et les entreprises leurs investissements parce qu’ils anticipent une chute des prix. Cela incite les entreprises à arrêter d’embaucher, voire à licencier, et à compresser les salaires. Une mécanique qui entraîne une baisse régulière et auto-entretenue des prix.

La députée PS Karine Berger, économiste, s’est d’ailleurs immédiatement emparée de la baisse des prix de novembre pour réclamer un changement de cap de la politique économique française et européenne.

Le contre-choc pétrolier, au cours duquel les prix de l’or noir ont baissé de quelque 30 % en euro depuis juin, contribuerait donc à enfoncer la France et la zone euro. Une vision contestée par Jean-Marc Daniel, professeur à l’ESCP Europe. Ce spécialiste de l’histoire économique rappelle que 1998 a été « une année de croissance exceptionnelle » en France alors que les prix n’ont progressé que de 0,3 %. À l’époque aussi, ceux-ci s’étaient tassés essentiellement à cause d’un contre-choc pétrolier.

« Pour nous, c’est une bonne baisse de prix, l’effet est plutôt de stimuler l’activité, tranche Florence Pisani, économiste senior chez Candriam, spécialiste de la gestion d’actifs. Plus le pétrole baisse, plus cela redonne du pouvoir d’achat aux ménages et donc cela soutient la croissance. Il y a un effet direct sur le prix de l’essence, même si le niveau des taxes en limite la portée. »

Un argument politique pour changer la politique monétaire ?

Selon ses calculs, une baisse de 30 % des prix du pétrole entraîne une diminution de 0,3 à 0,4 point de l’inflation en zone euro ce qui fait autant de pouvoir d’achat en plus. Les ménages ne sont pas encore prêts à retarder leurs achats, ajoute son collègue Anton Brender, chef économiste de Candriam, pour qui les ménages mettent du temps à intégrer les baisses de prix dans leurs prévisions. Elles contribuent en revanche au redressement des marges des entreprises françaises qui ont beaucoup souffert… justement à cause de la hausse des prix de l’énergie.

Pour les deux économistes, la baisse des cours du pétrole va en fait servir d’argument politique à Mario Draghi pour justifier l’emploi de l’arme atomique de la politique monétaire. Engagé dans un bras de fer avec le conseil des gouverneurs sur la nécessité d’un programme de rachat de dettes publiques de la zone euro, le président italien de la Banque centrale européenne « se sert de cette désinflation des prix de l’énergie pour faire passer une décision sur laquelle les marchés comptent », mais dont les Allemands ne veulent pas. Pour soutenir la croissance en zone euro, Mario Draghi doit en effet s’assurer de la pérennité de la baisse de l’euro, gage d’une meilleure compétitivité et donc d’une relance des exportations. Il doit aussi tenter de relancer le crédit aux entreprises et aux ménages.

Le risque d’une véritable déflation serait donc exagéré. En France, la consommation des ménages résiste, comme l’a montré l’Insee dans sa dernière note trimestrielle. Quant à leur dette, elle reste contenue par rapport à leur revenu. Et les salaires peuvent difficilement baisser en valeur absolue. Anton Brender souligne également que la consommation progresse dans la zone euro, sauf aux Pays-Bas, où les ménages se désendettent péniblement après l’éclatement d’une bulle immobilière, ainsi qu’en Espagne. Pour l’économiste, la situation espagnole devrait toutefois s’améliorer grâce au retour de la croissance, ce qui devrait soutenir les revenus des ménages.

Ce qui ne veut pas dire pour autant que l’avenir est rose pour la zone euro. Le risque de voir l’économie enfermée dans une période d’activité et de croissance faible est bien réel.