22 - 11 - 2017

Edouard Philippe en éclaireur et démineur devant les maires. (Source : lagazettedescommunes.com)

Invité de dernière minute devant les maires réunis à Paris pour leur centième Congrès, Edouard Philippe est venu défendre la politique du gouvernement. Si la primeur des annonces est réservée à Emmanuel Macron qui s’exprimera jeudi, le Premier ministre a annoncé quelques évolutions possibles du cadre budgétaire et financier proposé par l’Etat jusque là.

 

La France est « la mauvaise élève de la classe européenne » a d’emblée expliqué Edouard Philippe, avant d’ajouter que « les collectivités doivent apporter leur part à l’effort de maîtrise des dépenses publiques. »

L’hypothèse de la contractualisation de 600 communes sur la table

Directement et clairement ». C’est avec ce souci d’expliquer et de rassurer qu’Édouard Philippe est d’ailleurs venu devant les maires, éclaircir un dispositif qui restait flou sur la maîtrise de la dépense publique.

Comme déjà annoncé, la méthode retenue sera celle du contrat, avec des communes retenues, soit sur un critère démographique (elles seraient alors environ 320), soit sur un critère budgétaire, pour les collectivités dont les dépenses dépassent 30 millions d’euros, (environ 600 collectivités, soit moins de 400 communes et moins de 200 EPCI).
L’option n’est pas tranchée, le gouvernement suivra les recommandations de la mission sur les finances locales « Richard-Bur », mais c’est la première fois que l’hypothèse est sur la table. Dans leur « immense majorité », les maires ne seront donc « pas concernés par ce mécanisme contractuel », a toutefois tenu a rassuré le Premier ministre.

 

Tenir l’objectif de maîtrise des dépenses

Voulant « lever un malentendu », l’ancien maire du Havre a fait valoir que pour 35 500 communes « la seule obligation sera de délibérer au moment du débat d’orientation budgétaire sur leurs objectifs en matière de dépense locale, de dépenses de fonctionnement et de réduction du besoin de financement. Parce que nous avons confiance en la capacité des maires des petites villes et des maires ruraux à gérer leur budget et à tenir cet objectif de maîtrise des dépenses ».

Pour les « 3 ou 400 collectivités concernées par ce contrat », l’heure est encore à la réflexion à Matigon autour d’un dispositif, au sein duquel, de la même manière que pour les contrats de ville ou de ruralité, les maires discuteraient avec le préfet de leur projet de contrat « sur la base du fameux taux de +1,2% d’augmentation, avec des marges d’adaptation ».

Ces marges pourraient tenir compte de la croissance démographique du territoire « avec un mécanisme d’appui aux maires bâtisseurs », de la composition démographique impactant les charges, des efforts accomplis, ou non, dans le passé, ou encore de la situation socioéconomique du territoire « en prenant par exemple en compte l’indice de pauvreté et la proportion d’habitants de la commune en quartier politique de la ville ».

Pas de retour aux vieilles méthodes pour les bons élèves

Sentant venir les inquiétudes des maires, le Premier Ministre a évoqué le retour de bâton avec maintien de la prime aux bons élèves. En cas de non-respect du plafond de 1,2 % d’augmentation et des objectifs d’endettement, « il faudra que nous en tirions les conséquences, sans doute dans le projet de loi de finance pour 2020, le temps de faire en 2019 les comptes de 2018. Il faudra envisager de revenir aux vieilles méthodes », a explicité Edouard Philippe.
Et de continuer : « nous proposons au Parlement une nouvelle contribution au redressement des finances publiques, dont seules seraient exonérées les collectivités qui auraient respecté leur contrat. Franchement, je souhaite que nous l’évitions, sinon je ne serais pas là devant vous pour vous proposer ce pacte. »

 

Réfléchir ensemble à une nouvelle fiscalité locale

Même s’il laissera le soin à Emmanuel Macron d’aborder plus longuement le sujet, jeudi après-midi, le chef du gouvernement n’a pas éludé le sujet de la taxe d’habitation dont seront exonérés 80% des contribuables assujettis à l’impôt.

« Cette réforme prendra la forme d’un dégrèvement qui préservera vos ressources et votre pouvoir de fixation des taux », a-t-il voulu rassurer. « Chacun connaît l’imperfection et l’obsolescence de notre fiscalité locale. L’horizon de temps qu’ouvre cette réforme doit nous permettre, ensemble, éclairés par les travaux de la mission Richard-Bur et par ceux du comité des finances locales, de réfléchir à une nouvelle fiscalité locale, juste, équitable, et qui préserve le principe de libre administration des collectivités », a détaillé Edouard Philippe.

Une volonté de travail collégial qui n’a pas suffi aux maires, qui attendent donc de pied ferme les précisions d’Emmanuel Macron ce jeudi.

Transfert de la compétence eau : le gouvernement  lâche du lest

Autre sujet, mais toute aussi grande inquiétude des édiles : la question du transfert des compétences eau et assainissement du niveau communal au niveau intercommunal, imposé par la loi Notre. Cela faisait plusieurs semaines que les associations d’élus s’activaient en coulisse pour infléchir ce texte. Leur lobby a payé puisqu’Edouard Philippe a officiellement annoncé que le gouvernement  souhaitait « faire évoluer la loi ».

« Nous proposons, pour une période transitoire, de donner la même souplesse que pour  les PLUI (plan local d’urbanisme intercommunal) en permettant de laisser cette compétence au niveau des communes si un certain nombre de maires s’expriment en ce sens », a expliqué le Premier ministre.

« La mécanique sur les PLUI me semble intéressante, et je ne trouve pas absurde de se caler là-dessus », a ajouté l’ancien maire du Havre. Son principe est  le suivant, comme l’explique Arnaud Paturat, avocat en droit public : « si une minorité de communes membres de l’EPCI, qui représente au moins 25% des conseillers municipaux des communes membres constituant au moins 20% de la population totale de l’EPCI, s’oppose à ce transfert automatique, ce mécanisme sera entravé » explique ce dernier.

En parallèle, Edouard Philippe a également confirmé qu’une quinzaine de territoires seraient identifiés pour expérimenter les futurs contrats de transition écologique. La philosophie de ces contrats sera arrêtée en décembre prochain, lors de la CNT, et la mise en œuvre opérationnelle sera lancée « avant l’été », a-t-il indiqué.

Edouard Philippe assume le rétablissement du jour de carence

Autre sujet chaud : celui du jour de carence dans la fonction publique. Voté le 20 novembre par l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de finances 2018, le Premier ministre Edouard Philippe a défendu la mesure devant les maires. Celle-ci doit produire « un meilleur résultat » sur l’absentéisme, « un paramètre » que les élus de ne maîtrisent pas.

Autre annonce confirmée par le Premier ministre, la CSG sera bien compensée « intégralement » à l’échelle de fonction publique territoriale et hospitalière, grâce à des baisses de cotisations patronales d’un montant total de 530 millions d’euros. Au moins d’un point de vue national…

Car collectivité par collectivité, la  mesure ne produit pas les mêmes effets. Un fait d’ailleurs reconnu par Edouard Philippe. « Au niveau individuel, l’Etat ne dispose pas d’un système d’information intégré avec la répartition, commune par commune, des effectifs des collectivités. Il se peut donc qu’il y ait des écarts à la marge » a développé le locataire de Matignon; Le gouvernement attend « un retour des associations d’élus » pour l’éclairer sur le sujet.

 

Pas d’annonce sur les contrats aidés

Les contrats aidés étaient également au menu du discours de l’ancien maire du Havre. Les contrats aidés, ou plutôt les « contrats précaires subventionnés », comme les a appelés Edouard Philippe, qui ont autant été pensés pour « faire baisser les chiffres du chômage », que pour « accompagner des personnes éloignées de l’emploi ».

Des contrats aidés seront bien reconduits en 2018, mais dans une moindre proportion, comme cela avait déjà été annoncé fin septembre. 200 000 contrats seront budgétés et fléchés sur des secteurs prioritaires : Education nationale (notamment pour l’accompagnement des élèves en situation de handicap), urgence sanitaire et sociale, territoires ruraux, quartiers en politique de la ville et outre-mer.

Quant à la lutte contre le chômage, le gouvernement préfère miser sur son plan formation et apprentissage, dit « plan compétences » de 15 milliards d’euros. Il devrait être présenté au printemps.

Déserts judiciaires et médicaux, une même volonté

Le Premier ministre a également tenu à rassurer les élus locaux en matière de déserts, médicaux et judiciaires. Le constat sur les déserts médicaux est d’ailleurs sévère. Présenté comme « un sujet majeur de cohésion territoriale », les déserts médicaux sont une « urgence » a insisté Edouard Philippe.

Pour enrayer le phénomène, il s’est engagé devant les maires à « amplifier les mesures qui fonctionnent et lever les obstacles qui [les] empêchent de mettre en place des solutions adaptées à [leur] territoire ».

Concrètement, le locataire de Matignon ne veut plus « contraindre mais convaincre » les médecins à s’installer là où s’expriment les besoins (même si les médecins n’ont jusqu’à présent jamais été contraints, ndlr).

Plus tôt dans son discours aux maires, Edouard Philippe a évoqué un autre désert, mais une même volonté. Ainsi, les déserts judiciaires seront combattus afin « de maintenir le contentieux du quotidien à proximité des justiciables ».

Car la réforme de la justice voulue par le Premier ministre et engagée par la Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, veut « apporter la preuve que l’on peut moderniser l’une des plus anciennes institutions de notre pays en partant des territoires, et la réorganiser en profondeur en évitant la brutalité d’une réforme imposée de la carte judiciaire ».

La piste des normes… encore

Dernier sujet auquel s’est attaqué Edouard Philippe, celui de l’allègement normatif. Il a d’ailleurs annoncé qu’Emmanuel Macron enclenchera une action significative en matière de lutte contre l’inflation normative, jeudi devant les élus.

« Sur les normes, nous avons pris des décisions que le Président de la République vous exposera jeudi », a ainsi expliqué le Premier  ministre. Sur le principe, c’est une piste bien souvent empruntée : à chaque congrès des maires, le président de la République en exercice « use » de cette annonce pour rassurer les élus.

Mais quitte à jouer au jeu de piste, on peut trouver des indications précises de ce « nouvel élan anti-normes » dans le projet de loi « pour un Etat au service d’une société de confiance », dans sa version du 26 octobre 2017, telle que soumise pour avis au Conseil nationale d’évaluation des normes (CNEN).

Deux hypothèses de travail sur la table

L’article 74 du projet de loi, envisage de créer un certificat d’information sur les normes applicables. Un certificat délivré à toute personne, physique ou morale, qui en fera la demande avant de se lancer dans l’exercice d’une activité. Il mentionnera l’ensemble des normes qui sont spécifiquement applicables à cette activité à la date de son émission. Dans le cas où ce document comporterait des indications incomplètes ou erronées, le titulaire du certificat, ayant agi de bonne foi, pourra rechercher la responsabilité de l’administration à raison des préjudices qui en résulteraient.

Autre hypothèse probable, le président Macron pourrait mentionner l’article 31 du projet de loi « pour un Etat au service d’une société de confiance », qui vise les normes à respecter par les accueils petite enfance. Le principe reste celui d’un allégement pour faciliter l’implantation et le développement d’activités d’accueil de la petite enfance. Le projet de loi prévoit les conditions dans lesquelles l’autorité de délivrance des autorisations régies par le code de la santé publique et le code de l’action sociale et des familles peut déroger aux règles fixées en la matière.

Le programme est donc chargé pour Emmanuel Macron qui se sait très attendu par les maires. L’AMF, par la voix d’André Laignel, menace d’ailleurs toujours de boycotter la conférence nationale des territoires si le Président de la République ne parvient pas à donner des gages de confiance aux élus. Tandis que François Baroin refuse de rejoindre la vision du premier ministre sur les finances locales. La mission « éclairer et déminer » n’aura pas rempli tous ses objectifs.