L’envolée du franc suisse la semaine dernière a provoqué une explosion des coûts associés aux emprunts structurés indexés sur son taux de change, se sont inquiétés mardi plusieurs directeurs d’hôpital lors de leur audition par la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) de l’Assemblée nationale sur la dette des établissements publics de santé.
Les représentants des syndicats de directeurs hospitaliers et de l’Association des directeurs d’hôpital (ADH) ont été invités à estimer l’impact de l’envolée du franc suisse depuis l’abandon le 15 janvier par la banque centrale suisse du cours plancher de 1,20 franc suisse pour un euro. Le franc suisse vaut désormais quasiment un euro.
Le président de l’ADH, Frédéric Boiron, a rapporté mardi que les directeurs avaient communiqué entre eux les jours précédents à ce sujet.
Il a pris l’exemple de l’établissement qu’il dirige, le CHU de Saint-Etienne. Le coût d’un emprunt contracté avec Dexia, incluant une option sur le taux de change entre l’euro et le franc suisse, « vient d’exploser en 48 heures ».
Il a mentionné un taux d’intérêt autour de 20% et 2,5 millions d’euros de coûts supplémentaires sur ce seul contrat alors que « rien n’a changé » par rapport au capital emprunté, à l’utilisation des fonds ou au fonctionnement de l’établissement.
Frédéric Boiron a aussi indiqué que le centre hospitalier (CH) d’Arras avait contracté un emprunt structuré de l’ordre de 8 millions d’euros, dont le coût a augmenté de 800.000 euros en quelques jours.
« Des variables économiques font que des ressources collectives devront être mobilisées pour assumer ces charges », a-t-il déploré.
Guillaume Wasmer, qui représente le Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), a évoqué le cas des trois établissements dont il a pris récemment la tête (CH de Longjumeau, Orsay et Juvisy au sein du groupement hospitalier Nord-Essonne) et dont l’un a des emprunts structurés adossés sur le franc suisse.
« On avait imaginé un mécanisme de sortie de ces emprunts qui était fondé […] notamment sur une fusion entre deux établissements permettant de désensibiliser une partie des emprunts toxiques en faisant de nouveaux investissements sur les structures plus importantes » et sur une demande dans le cadre du fonds de soutien créé par les pouvoirs publics, a-t-il expliqué.
Toutefois, les conséquences de l’appréciation du franc suisse par rapport à l’euro « remettent en cause une partie des éléments qui avaient été préparés », a-t-il indiqué. « On est en train de réfléchir pour voir comment faire évoluer le processus de fusion au regard de cette évolution ».
Fonds de soutien insuffisant
Représentant le Syncass-CFDT, Eric-Alban Giroux, directeur de la stratégie et des affaires financières au CH d’Argenteuil (Val-d’Oise), a indiqué que la problématique financière des emprunts structurés était de l’ordre de 1,5 milliard d’euros et qu’en sortir aurait coûté 3 milliards il y a une semaine. Le coût a depuis « explosé », a-t-il observé sans pouvoir donner une estimation précise. « C’est extrêmement mouvant ».
Face à l’importance des coûts de sortie, il a souligné le caractère dérisoire des 100 millions d’euros prévus dans le fonds de soutien aux établissements de santé pour sortir des emprunts structurés. Il a d’ailleurs observé que les 100 millions étaient prélevés « dans les poches » de l’assurance maladie, des hospitaliers et du fonds d’intervention régional (FIR).
Frédéric Boiron a aussi qualifié de « totalement insuffisant » le niveau du fonds de soutien. Il a pris l’exemple de l’Institut de cancérologie de la Loire, dont il assure l’intérim de la direction actuellement. Cet établissement, dont le budget avoisine 50 millions d’euros, a deux petits contrats d’emprunt structuré et la sortie de l’un de ces deux contrats nécessiterait 19 millions d’euros.
« Il nous semble évident que le fonds de soutien doit être augmenté », a-t-il observé. Pour lui, les institutions financières qui ont construit des contrats de prêt structuré « doivent être appelées à contribuer fortement », d’autant plus qu’elles sont « actuellement intéressées par l’évolution des taux de change entre l’euro et le franc suisse ». « Ces ressources peuvent aussi servir à abonder un fonds de soutien pour débarrasser tout le monde de ces mauvais contrats de prêt », a-t-il conclu.
Pour Guillaume Wasmer, le dispositif de 100 millions d’euros était déjà sous-dimensionné mais, avec l’envolée du franc suisse, il « n’a plus aucune signification par rapport aux montants en jeu ».
Le secrétaire général du Syncass-CFDT, Michel Rosenblatt, s’est interrogé sur le périmètre du dispositif et s’est demandé si les délais de traitement des dossiers pourraient être tenus. « C’est à marche forcée » après toute une période de réflexion sur l’élaboration du dispositif, a-t-il noté.
Pour le représentant de l’Union fédérale des médecins, ingénieurs, cadres et techniciens CGT (Ufmict-CGT), Jean-Luc Gibelin, il faut une vraie rupture pour éviter la situation observée la semaine dernière, sinon « on n’est pas prêt de s’en sortir ».