Le franc fort a commencé à se traduire dans les actes et dans les chiffres. L’abandon de la défense du cours plancher de 1,20 franc suisse par euro le 15 janvier, par la Banque nationale suisse (BNS), provoqua une envolée historique du franc suisse par rapport à l’euro. Un cataclysme sur les marchés et un coup dur pour l’économie du pays. Au premier trimestre, son PIB a reculé de 0,2 %, tiré notamment vers le bas par le repli généralisé (tous secteurs) de 2,3 % des exportations. Le renchérissement de plus de 13 % du franc suisse en trois mois a miné la compétitivité des exportateurs, mais pas seulement.
Au premier trimestre, la BNS a essuyé une perte de change de 41,1 milliards de francs suisses, soit 6,5 % du PIB, du fait de l’abandon du cours plancher. Conséquence de cette lourde perte, le niveau des capitaux propres et provisions réglementaires de la banque centrale a chuté dangereusement et représente moins de 10 % de ses actifs. Ce qui la rend vulnérable à une nouvelle hausse du franc suisse par rapport à l’euro. Un scénario qui ne peut être exclu si la monnaie unique connaît un nouveau regain de faiblesse du fait de l’action de la Banque centrale européenne (BCE).
Jean-Pierre Danthine – le vice-président de la direction générale de la Banque nationale suisse – est revenu, le 19 mai, à l’occasion d’un discours tenu à Genève dans le cadre d’un séminaire du Swiss Finance Institute sur les raisons qui avaient conduit la BNS à sortir de la « guerre des changes » (« La course mondiale à l’affaiblissement des monnaies »). « Une banque centrale ne peut augmenter indéfiniment la taille de son bilan sans risques » car cela revient à introduire un risque de change croissant dans son bilan. Ce dernier représente plus de 90 % du PIB du pays. La « mesure temporaire » du cours plancher introduite en septembre 2011 n’avait de sens que si « les bénéfices retirés étaient supérieurs à ces risques », a-t-il expliqué. C’est vers la fin de l’année dernière que la « bataille du franc » n’a plus paru tenable compte tenu de la perspective d’une action historique de la BCE pour soutenir la zone euro. Le « pouvoir de la BNS n’est pas illimité », a-t-il insisté.
Certains observateurs ont vu un mal nécessaire dans la fin de l’activisme de la BNS. Elle est certes sortie par la petite porte et brutalement de la guerre des changes. Mais c’est un conflit perdu d’avance dans lequel elle n’aurait jamais dû entrer compte tenu de ces risques. Elle pourra toujours intervenir de nouveau et ponctuellement sur le marché pour corriger les excès du franc suisse et éviter que l’euro glisse sous la parité avec cette devise. Le président de la BNS, Thomas Jordan, l’a confirmé dimanche, dans un entretien avec les lecteurs de « Schweiz am Sonntag ». « Le franc suisse est significativement surévalué et devrait donc faiblir à terme », a-t-il indiqué. Si l’euro venait à s’établir sous ce niveau psychologique, du fait de la politique de soutien de la Banque centrale européenne, la BNS se retrouverait de nouveau sous le feu des critiques, et avec à sa disposition des moyens qui paraîtront limités aux marchés, pour lutter contre la cherté de sa monnaie. En effet, le cours plancher fut une arme de dissuasion massive et toute autre initiative leur semblerait peu intimidante sinon crédible. Un encouragement à la spéculation