Depuis quelques jours, le franc suisse ne cesse de baisser face à l’euro. La barre des 1,10 a été frôlée mercredi matin. Comment expliquer ce relâchement de la devise suisse face à la monnaie européenne et que peut attendre l’économie helvétique de cette situation?
Fin juillet, le franc restait au plus haut face à l’euro. Alors même que le gouvernement Tsipras avait accepté les conditions de ses partenaires pour rouvrir les négociations, que le ministre des finances Varoufakis avait démissionné, que les premiers indices d’une reprise économique en zone euro (et notamment en Allemagne) se font plus nets, que les signaux étaient au rouge concernant la croissance en Suisse, rien n’y faisait: le franc et l’euro oscillaient autour d’un taux compris entre 1,03 et 1,05. Au mieux les experts envisageaient un retour autour de la barre des 1,10 pour la fin d’année.
Changement de tendance depuis la fin de la semaine dernière: l’euro s’est subitement renforcé face au franc (mais aussi face au dollar) et remonte peu à peu. Jour après jour, les barres symboliques sont franchies: 1,07 le 5 août, 1,08 le 9 août, 1,09 le 11 août. Et mercredi 12 août, le taux atteint brièvement 1,0957 dans la matinée. Jamais le franc n’avait été aussi bas face à l’euro depuis l’abandon du taux plancher le 15 janvier dernier.
Alors que nombre d’acteurs de l’économie, dans des secteurs dépendant de l’exportation ou dans le tourisme, agitaient la menace de la parité et ses conséquences voici quelques jours encore, qu’en est-il aujourd’hui? Cette chute brusque est-elle durable? Alors que le marché des changes connaît une volatilité extrême ces jours-ci (comme le prouve les variations de l’encadrement du yuan chinois face au dollar américain après la chute du taux), la détente sur le franc peut-elle se prolonger voire s’amplifier?
Pour Andreas Ruhlmann, analyste chez IG Bank, cet affaiblissement du franc face à l’euro constitue certes une bonne nouvelle pour l’économie suisse, mais il convient de rester prudent. En raison déjà de la grande variabilité des devises actuellement, mais aussi de la situation en Chine, marché important pour de nombreux secteurs industriels suisses.
Bilan: A quoi est due cette baisse aussi rapide du franc face à l’euro?
Andreas Ruhlmann: Il n’y a pas de nouvelle spécifique majeure ni sur l’euro ni sur le franc. C’est la terrible chute des marchés qui provoque cela (+ de 5% pour le DAX et le CAC et 3% pour le SMI en deux jours), qui, elle, est due au changement de régime en Chine concernant sa monnaie.
L’euro est inversement corrélé au marché. L’euro est une monnaie de financement majeure à cause de son taux négatif et de sa liquidité. Les investisseurs prennent donc des prêts en Euro pour financer des actifs à risque comme les actions ou l’immobilier. Lorsque qu’il y a de l’incertitude ils revendent leurs actifs et remboursent le prêt en euros, provoquant sa hausse. Ensuite ça fait rapidement effet boule de neige, avec le nombre de participants short sur l’euro qui se font «squeezer». Le franc quant à lui s’apprécie aussi à cause de sa valeur refuge. Mais il monte moins que l’euro.
Pourquoi les marchés réagissent-ils autant à la nouvelle sur le renminbi (version internationale du yuan)? Il semblerait que la Chine soit prête à laisser sa monnaie fluctuer, et les forces du marché poussent le RMB à la baisse. Cela a pour effet de rendre la Chine plus compétitive par rapport au reste du monde et d’y transférer sa déflation. Ce qui n’est pas négligeable vue la taille de son économie: en effet la chine représente 18% des exportations mondiales dans l’industrie.
Bilan: Jusqu’où cette baisse très forte et soudaine peut-elle aller ?
Andreas Ruhlmann: Le phénomène que nous venons d’évoquer constitue un changement drastique pour la monnaie chinoise, d’où la volatilité record sur le yuan. Le marché devrait trouver un équilibre sur la devise chinoise d’ici quelques semaines. De plus, ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’Europe, plus spécifiquement pour l’Allemagne, gros producteur industriel. Selon moi, le gros du mouvement sur l’Eur/Chf est passé.
Bilan: Quels sont les secteurs qui peuvent en profiter dans l’économie suisse ?
Andreas Ruhlmann: C’est une fausse bonne nouvelle pour toutes les entreprises suisses exposées en Chine, car la hausse de l’euro est compensée par la baisse du yuan. Par exemple, l’horlogerie et les géants bancaires comme UBS et Credit Suisse, pour qui les marchés d’Asie et du Pacifique sont devenus très importants depuis quelques années, pourraient en souffrir. A contrario, les sociétés dont le chiffre d’affaires dépend davantage des pays de la zone euro et moins des marchés lointains, asiatiques en particulier, pourraient tirer avantage de cette situation: Lindt ou Adecco figurent parmi les potentiels bénéficiaires. Geberit est aussi une société très exposée à l’euro: elle chute de 5% à cause des résultats et à ce prix-là c’est intéressant. Notons enfin que la dévaluation du yuan a pour effet de réduire les importations provenant de la Chine.