11 - 02 - 2015

Les petites ficelles du gouvernement pour afficher ses 21 milliards d’économie. Source : lepoint.fr

Dans son rapport annuel, la Cour des comptes doute de l’ampleur de la réduction du déficit cette année, après sa hausse en 2014.

« Nous devons continuer l’effort de réduction des déficits, mais à un rythme qui soit malgré tout compatible avec le soutien de la croissance. » Michel Sapin ne le cache pas, il a mis la pédale douce sur le rééquilibrage des finances publiques. Le rapport annuel de la Cour des comptes publié mercredi confirme à quel point le gouvernement a relâché la pression au nom de la lutte contre une « austérité » considérée comme excessive.

Pour la première fois depuis 2009, le déficit public 2014, dont le chiffre définitif n’est pas encore connu, devrait être plus important que l’année précédente, s’inquiètent les magistrats de la Rue de Cambon, dans leur chapitre consacré à la « situation d’ensemble des finances publiques ». Il devrait atteindre 4,4 % de la richesse annuelle créée par le pays contre 4,1 % en 2013.

La France au dernier rang avec la Croatie

C’est une exception en Europe : « Parmi les pays dont le déficit public était supérieur à 3 % du PIB en 2013, la France est le seul de l’Union européenne, avec la Croatie, où il augmente en 2014 », assène la Cour. Paris est clairement à la traîne par rapport à ses partenaires de la zone euro, dont le déficit moyen devrait atteindre 2,6 %. De quoi alimenter la suspicion des États les plus attachés à la discipline budgétaire, Allemagne en tête.

Initialement pourtant, le gouvernement ambitionnait de réduire le déficit de 0,8 point en 2014. Que s’est-il passé ? La croissance et l’inflation anticipées par le gouvernement dans sa loi de finances de l’automne 2013 se sont respectivement effondrées de 1 % à 0,4 % et de 1,2 % à 0,5 %.

Un manque de volonté

Alerté par le Haut Conseil des Finances publiques, le gouvernement aurait pu réagir en juin en actualisant ses prévisions économiques à l’occasion de la loi de finances rectificative, relève la Cour. Michel Sapin a préféré fermer les yeux, « pour ne pas ajouter de nouvelles mesures d’austérité à une stagnation ». De quoi relativiser « l’opération vérité » de Michel Sapin sur l’état des comptes publics, mis août, quand il a annoncé le dérapage du déficit. Selon la Cour des comptes, l’exécutif aurait eu les moyens de limiter les dégâts puisque la faible progression des prix a rendu moins chers les achats de biens et de services pour l’administration. « Des économies ont donc certainement été constatées sur certains postes, mais elles n’ont pas pour autant conduit le gouvernement à réviser la croissance des dépenses », regrette-t-elle.

L’exposé n’est pas plus tendre pour 2015. Initialement, le gouvernement ne comptait réduire le déficit que de 0,1 point à 4,3 %. Autant dire que 2014 et 2015 auraient été deux années blanches pour le redressement des comptes, puisque le déficit serait revenu au niveau qu’il avait atteint deux ans auparavant ! Ce n’est que sous la pression de la Commission européenne que Michel Sapin a finalement trouvé fin octobre 3,6 milliards d’euros supplémentaires grâce à des économies supérieures aux attentes, notamment sur les intérêts de la dette, mais surtout à de nouveaux impôts. Au final, le déficit devrait péniblement être ramené à 4,1 % du PIB.

Risque de nouveau dérapage en 2015

« Bien que cet objectif de réduction du déficit soit limité, il n’est pas acquis qu’il soit atteint, en dépit de l’annonce d’économies d’un montant de 21 milliards d’euros, ce qui fait peser un risque sur la trajectoire d’évolution des finances publiques à l’horizon de 2017 », prévient pourtant la Cour. Pourquoi un tel pessimisme ?

D’abord parce que les prévisions de recettes du gouvernement sont considérées comme « fragiles ». La nouvelle baisse de l’inflation devrait en effet rogner le produit attendu de certains impôts. Mais le gouvernement devrait surtout avoir du mal à compresser les dépenses autant qu’il l’espère. Et il faut bien reconnaître qu’il a fixé la barre assez haut : jamais un gouvernement n’a prévu de limiter autant la hausse des dépenses depuis vingt ans, souligne la Cour.

21 milliards de compression des dépenses, vraiment ?

Tout le problème est de savoir si cet objectif est réaliste. Les rédacteurs du rapport sont sceptiques. Retenons deux exemples pour l’État. Les crédits pour les opérations extérieures des armées prévus sont de 0,45 milliard d’euros, un montant identique à la loi de finances initiale de 2014 « alors que les dépenses ont toujours été supérieures à ce montant au cours des 10 dernières années et que les engagements de la France dans des opérations de maintien de la paix ne semblent pas devoir diminuer dans les prochains mois ». Quant aux dépenses de solidarité (minima sociaux, aide médicale d’État, hébergement en faveur des demandeurs d’asile, etc.), elles ont été supérieures de 0,6 milliard aux prévisions en 2014, un « dépassement se retrouvera très probablement en 2015 ».

Les magistrats contestent jusqu’à la réalité des fameux 21 milliards de baisse des dépenses par rapport à leur tendance naturelle d’augmentation. « Le montant de 21 milliards (…) a été maintenu alors même que les économies résultant du gel de la valeur du point (d’indice) de la fonction publique et de la désindexation de certaines prestations sociales (…) ont diminué d’au moins 2 milliards du fait de la baisse de l’inflation prévue en 2015 », pointent par exemple les magistrats. Le chiffrage des économies sur les dépenses sociales, hors sécurité sociale, est par ailleurs jugé « incertain », tout comme la baisse des dépenses des collectivités locales sous l’effet de la baisse des dotations de l’État.

La clémence attendue de la Commission européenne

C’est à une véritable chasse à toutes les petites astuces du gouvernement pour tenir son chiffre magique de 21 milliards d’économies et donc de 50 milliards sur trois ans à laquelle la Cour des comptes s’est en fait livrée.

La Commission européenne devrait décider début mars si elle sanctionne la France pour non-respect de ses objectifs de déficit. Début février, le commissaire aux affaires économiques, Pierre Moscovici, avait jugé que l’effort de réduction du déficit structurel, indépendant des effets de la croissance sur les comptes publics, était insuffisant. Il pourrait pourtant donner son blanc-seing. Michel Sapin n’a qu’à espérer que son prédécesseur fasse comme il l’a toujours fait quand il était à Bercy : ignorer les rapports de la Cour des comptes.