Très attendu, le « rapport Richard-Bur » sur la refonte de la fiscalité locale a été remis mercredi 9 mai au Premier ministre. La mission, conduite par le sénateur (LREM, Val d’Oise) Alain Richard et l’ancien préfet Dominique Bur, bien qu’ayant étudié cette option, exclut d’emblée l’hypothèse d’une nouvelle imposition locale, réclamée par nombre d’associations d’élus. « Cette éventualité serait en effet contradictoire avec l’engagement pris récemment par le président de la République de ne créer aucun impôt nouveau local ou national », justifient les auteurs du rapport.
Dès lors, deux scénarios sont envisageables pour compenser la suppression de la taxe d’habitation (TH), qui représente, pour le bloc local, une perte de recettes estimée à « 24,6 Md€ en 2020, à quoi il faut ajouter environ 1,7 Md€ de compensations d’exonérations de TH qui disparaîtront avec la suppression de cette imposition, soit un total de 26,3 Md€ environ ».
Rejoignant la proposition principale du Comité des finances locales, le premier scénario, déjà largement évoqué mais rejeté par l’Assemblée des départements de France (voir encadré) consiste à transférer la part départementale de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) au bloc communal, soit 15,1 Md€ en 2020 (57 % de la recette à rétablir), et la compléter par une attribution d’impôt national.
Deux variantes sont proposées par la mission :
Quelle que soit la variante retenue, ce scénario permet « le remplacement de la TH par un surcroît d’imposition locale (la TFPB) en cohérence avec les missions exercées par les collectivités du bloc communal », avance la mission. Mais « il implique un effort de compensation des départements, qui perdent la TFPB, par un impôt national partagé, voire deux dans l’hypothèse où les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) des départements seraient également transférés à l’État ».
Le deuxième scénario consiste dans le remplacement direct de la TH du bloc communal par un impôt national partagé. Si ce scénario était retenu, la mission préconise « le partage d’une fraction d’imposition nationale non territorialisée et sur laquelle les communes et les EPCI ne détiendraient pas de pouvoir de taux ».
« Plus précisément, pour chaque commune et EPCI, et sur la base de la recette globale de l’impôt national retenu, la ‘fraction de produit’ transférée correspondrait, l’année n de la suppression de la TH, au montant de recette fiscale de TH perçue l’année n-1 de la réforme, auquel s’ajouterait la dynamique, entre l’année n-1 et l’année n, propre à l’impôt national que l’on aura choisi de partager », détaille le rapport.
Dans les deux scénarios, le transfert net de nouveaux produits d’impositions nationales vers les collectivités territoriales sera d’au moins 25 Md€, évalue la mission. Ainsi, « au vu des montants en jeu, seules les impositions produisant les plus importantes recettes peuvent être retenues pour cette répartition : la TVA, la contribution sociale généralisée (CSG), l’impôt sur le revenu et la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), dont la croissance programmée fera une recette substantielle », jugent les auteurs.
Pour autant, « les deux premières, TVA et CSG, sont celles dont la largeur d’assiette et la bonne corrélation avec l’activité économique générale font les ressources les plus sécurisantes pour les collectivités bénéficiaires », estime la mission, qui « met en garde contre l’hypothèse d’une ‘localisation’ de telles fractions d’impôt national ».
Face aux « sérieux inconvénients des DMTO comme ressource des départements », les auteurs du rapport suggèrent en outre de remplacer cet impôt « dans les recettes des départements par une part d’impôt national et d’en transférer le produit à l’État, seul apte à réformer progressivement cet impôt porteur de distorsions ». Dans cette hypothèse, il serait « justifié » de réserver aux départements « une répartition entre deux impôts nationaux, qui serait de nature à enrichir leur « ‘panier fiscal’ déjà composé de la CVAE, de la TICPE et de la TSCA ».
Comme déjà évoqué lors de ses travaux, la mission estime que la révision des valeurs locatives des locaux d’habitation, qui doit permettre de « les aligner sur la réalité du marché locatif et de renouer le lien avec les facultés contributives des propriétaires », est « une condition majeure de l’équilibre de la réforme de la fiscalité locale ». D’autant que la mission estime que la TFPB doit demeurer la principale ressource à assiette locale des collectivités.
Les auteurs considèrent en outre que la pression fiscale de cette taxe foncière, « croissante en longue période, [et de nature à] compromettre la vitalité du secteur immobilier et la production de logements », doit être maîtrisée, via « un plafonnement de taux plus strict que celui en vigueur ».
Cette réforme de la TFPB devrait également être l’occasion de revoir le système d’imposition des logements locatifs sociaux, qui bénéficient d’une exonération pendant 25 ans, décidée par l’Etat mais « quasiment non compensée ». La mission préconise la mise en place, « sans surcharge pour les budgets locaux ou nationaux », d’une exonération de TFPB de 50 % sur 50 ans pour les opérations futures de construction de logements sociaux.
La mission passe également en revue les effets de la disparition de la TH sur les impositions associées, au premier rang desquelles la TH sur les résidences secondaires.
Jugeant qu’il n’est « pas nécessaire » d’étendre la suppression de la TH sur les résidences principales à la taxation des résidences secondaires et des logements vacants, la mission suggère « la poursuite de ces prélèvements applicables à tout local sous-occupé (ne constituant ni une résidence principale, ni un logement loué plus de six mois par an) ». Laquelle « reprendrait la TH des résidences secondaires sous la forme d’une contribution assise sur la base imposable de la TFPB avec un taux permettant le maintien de l’impôt antérieurement payé sauf allègement décidé par la collectivité compétente ».
La TH sert en outre de point d’appui à deux prélèvements complémentaires – taxe spéciale d’équipement et taxe Gemapi -, tous deux assis sur les bases de la TH, des deux taxes foncières et de la cotisation foncière des entreprises, rappelle le rapport. Pour le premier, « dont le produit actuel se révèle excédentaire par rapport à sa destination, la contribution assise sur la TH pourrait être supprimée sans alourdissement impactant les trois autres taxes », estiment les auteurs. Quant à la Gemapi, « une réflexion prospective devrait être engagée par le gouvernement », indique la mission.
D’après la mission, la suppression intégrale de la TH coûterait environ 10 Md€ à l’Etat, non intégrés à ce jour dans la trajectoire des finances publiques. Elle dit avoir, à la demande du gouvernement, « examiné plusieurs pistes pour combler cet écart, à savoir les compléments de TFPB sur les logements vacants ou occupés temporairement ; la poursuite sous une autre forme de la taxation sur les résidences secondaires ; la renonciation à certains allègements fiscaux déjà intégrés à la trajectoire des finances publiques ; la suppression ou la réduction de certaines ‘niches’ de TVA ».
Comme expliqué récemment par le ministre de l’Action et des Comptes publics, les auteurs du rapport considèrent qu’une « part substantielle de cette compensation devrait toutefois provenir de nouvelles mesures d’économie que l’Etat arrêtera dans le processus de modernisation aujourd’hui engagé ». Pour autant, elle juge « légitime de faire peser sur les 20 % de contribuables bénéficiaires de la suppression finale de la TH une partie au moins du coût budgétaire de cette réforme ».
FOCUS
Le gouvernement a fait savoir, ce mercredi en Conseil des ministres, que les « différentes pistes identifiées pour compenser les communes et établissements intercommunaux de la perte de la taxe d’habitation » seraient soumises à la concertation. L’instance de dialogue de la Conférence nationale des territoires, qui se réunira le 17 mai, inaugurera « ce cycle de concertations ». A cette occasion, Matignon a insisté sur sa volonté de « mettre à la concertation le maintien de la taxation des résidences secondaires et logements vacants » et « d’écarter catégoriquement toute création d’un nouvel impôt. »
La mission recommande que le projet de loi portant suppression intégrale de la TH et refonte de la fiscalité locale soit adopté au plus tard début 2019. « Cela présenterait l’avantage de conclure ce débat public avant les élections municipales de 2020, de donner de la visibilité aux élus locaux pour anticiper la réforme dans la préparation de leurs budgets et la définition de leurs politiques publiques, et de limiter toute dynamique ‘opportuniste’ des taux votés », explique-t-elle. Mais Matignon semble déjà ne pas tenir compte de cette recommandation . Le Premier ministre a annoncé dans un communiqué que « la suppression complète de la taxe d’habitation interviendra au plus tard d’ici à 2021 ».
C’est le temps que se donne le groupe de travail pour parachever la réforme fiscale. Il propose ainsi « d’engager les travaux effectifs de refonte de la fiscalité locale, en concertation avec les élus locaux, avant la fin de l’année 2018, d’inscrire les premières mesures dans le projet de loi de finances (PLF) 2019, de présenter les dispositions principales au premier semestre 2019, dans un PLFR spécifique, et de procéder, le cas échéant, aux ajustements et compléments nécessaires dans les PLF 2020 et 2021, pour une mise en œuvre effective avant la fin du quinquennat ».
FOCUS
L’ADF « s’oppose fermement » à « un scénario qui verrait la part départementale de la taxe sur les propriétés bâties transférée au bloc communal et les DMTO remis au niveau national pour être ensuite répartis localement par l’Etat », assurait l’association dès le début de la semaine. Cette hypothèse « ferait perdre toute autonomie fiscale aux exécutifs départementaux et porterait ainsi atteinte au fondement même de la démocratie et de la décentralisation », estime-t-elle.
L’association considère que « le mécanisme de partage d’un impôt à un niveau national, qui aurait l’avantage de correspondre à l’évolution de la richesse ou de la croissance nationale, présente le mérite de la simplicité ». Mais « ne peut avoir une véritable pertinence » qu’en étant assorti d’un système de correction des inégalités territoriales (système national de péréquation) ». .
« C’est un rapport technique [qui] reprend largement le constat chiffré du CFL et sa proposition d’attribuer la TFPB départementale au bloc communal accompagné d’un transfert d’une partie de la TVA pour trouver les 26 Md€ nécessaires au financement de la disparition de la taxe d’habitation à l’horizon 2020 ».
« Mais c’est un rapport vicieux car cette hypothèse est assortie d’une autre totalement contradictoire qui consiste à supprimer pour le bloc communal tout impôt territorialisé et à pouvoir de taux par une part d’impôt national. C’est inacceptable et je défendrai la position du CFL le 17 mai en conférence nationale des territoires.
On savait pertinemment que certaines hypothèses théoriques n’avaient strictement aucun sens sur le terrain. On voit surtout que le gouvernement a bricolé une réforme dans le cadre d’une promesse électorale ni suffisamment étudiée ni raisonnablement chiffrée ».