13 - 07 - 2015

Rapport de la MECCS sur la dette des établissements publics de santé. Source : assemblee-nationale.fr

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 juillet 2015.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

en conclusion des travaux de la mission d’évaluation et
de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

sur la dette des établissements publics de santé,

ET PRÉSENTÉ PAR

Mme Gisèle BIÉMOURET,

Députée.

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SOMMAIRE

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Pages

SYNTHÈSE 7

LISTE DES PRÉCONISATIONS 11

INTRODUCTION 15

I. L’ENDETTEMENT MASSIF DES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ PÈSE SUR LA MODERNISATION DE L’OFFRE DE SOINS 19

A. DES ÉTABLISSEMENTS LÉGÈREMENT DÉFICITAIRES EN 2013 19

B. UN NIVEAU D’ENDETTEMENT ÉLEVÉ RÉSULTANT DES PLANS HÔPITAL 2007 ET HÔPITAL 2012 21

1. Le paysage de l’endettement des établissements de santé 22

2. L’investissement des hôpitaux publics sur la même période 24

3. Des procédures d’emprunt trop souples qui ont permis des dérives 28

4. Des emprunts toxiques dont il est difficile de se désengager 32

5. Le cas limite des centres hospitaliers sous administration provisoire 39

a. Le régime de l’administration provisoire 39

b. Le cas du centre hospitalier de Roanne 43

c. Le cas de l’hôpital André Grégoire à Montreuil 45

C. UN ACCÈS AU CRÉDIT CONTRASTÉ SELON LA TAILLE DES ÉTABLISSEMENTS 47

1. Des difficultés pour le financement à court terme et la gestion de la trésorerie 47

2. Des inégalités croissantes entre établissements pour financer les investissements de modernisation ou de renouvellement 48

II. UNE MEILLEURE PROGRAMMATION DES INVESTISSEMENTS ET UN ASSAINISSEMENT FINANCIER SONT INDISPENSABLES POUR CONFORTER LE SERVICE PUBLIC HOSPITALIER 51

A. LES PREMIÈRES MESURES POUR ENCADRER LE CHOIX ET LE FINANCEMENT DES INVESTISSEMENTS HOSPITALIERS DOIVENT ÊTRE CONFORTÉES 51

1. Mieux cibler et évaluer les projets d’investissement 51

2. Le rôle du COPERMO 56

a. Les projets d’investissement 56

b. L’amélioration de la performance des établissements de santé 62

3. Les schémas régionaux d’investissement en santé pour hiérarchiser les priorités 64

4. Encadrer le recours à l’emprunt de manière optimale 66

a. Le droit en vigueur 66

b. L’amendement au projet de loi de modernisation de notre système de santé limitant le recours aux emprunts en devises ou à taux variables 69

B. MIEUX PROGRAMMER LES PROJETS D’INVESTISSEMENT 70

1. Permettre un financement régulier des investissements 70

2. Mieux calibrer les grands projets d’investissement 71

3. Diffuser la doctrine du COPERMO 74

4. Renforcer la mutualisation des moyens 75

C. UNE SORTIE CONCERTÉE DES EMPRUNTS TOXIQUES AVEC UN PARTAGE DE LA CHARGE FINANCIÈRE ENTRE LES BANQUES ET LES ÉTABLISSEMENTS 78

1. La priorité donnée au désengagement et à la renégociation des emprunts toxiques 78

a. Qui supporte le coût du désengagement des emprunts toxiques ? 78

b. Le devoir de conseil des banques 81

c. La réaction des banques face aux demandes de sortie des emprunts toxiques 84

2. Un dispositif d’accompagnement financier spécifique aux établissements de santé 88

D. DE MEILLEURES COMPÉTENCES FINANCIÈRES POUR LES ÉTABLISSEMENTS 93

1. Permettre aux hôpitaux de disposer d’une expertise financière indépendante 93

2. Améliorer encore la formation des cadres dirigeants des centres hospitaliers et des ARS en matière de gestion financière 99

E. REVOIR CERTAINS MÉCANISMES FINANCIERS POUR POURSUIVRE L’EFFORT D’INVESTISSEMENT 104

1. Des modifications importantes dans la T2A (tarification à l’activité) 104

2. Faut-il dissocier le financement des investissements immobiliers et des équipements médicaux ? 108

3. Les relations entre les établissements et les agences régionales de santé (ARS) 111

4. Diversifier les financements possibles ? 112

a. Interdire l’accès des hôpitaux publics aux crédits de trésorerie ? 112

b. Permettre aux hôpitaux d’émettre des billets de trésorerie ? 114

c. Aller vers une plus grande mutualisation des trésoreries ? 115

TRAVAUX DE LA COMMISSION 117

 

SYNTHÈSE

Les établissements de santé sont confrontés aujourd’hui au double défi de gérer un endettement massif tout en ayant l’obligation de poursuivre la modernisation de l’offre de soins hospitalière qui doit faire face à des évolutions majeures : progrès accélérés dans le matériel biomédical, extension de l’informatique médicale et évolution des techniques de soins avec la montée en puissance de la chirurgie ambulatoire. Dans le même temps, les maladies chroniques et le vieillissement de la population induisent de nouvelles problématiques dans la prise en charge des patients.

Après une période de sous-investissement dans la deuxième moitié des années 1990, la Conférence des directeurs généraux de CHU a alerté le Gouvernement au début 2002 sur l’obsolescence des équipements hospitaliers et a recensé des besoins urgents d’investissement tout en soulignant qu’un meilleur entretien du bâti aurait sans doute permis de ralentir son vieillissement.

Soucieux de faire face à ce constat, le Gouvernement a lancé, dès 2002, deux grands programmes d’investissements, les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012 qui ont comblé ce retard mais qui ont eu aussi pour conséquence de faire tripler la dette de moyen et long terme des hôpitaux qui a ainsi atteint près de trente milliards d’euros à la fin 2013. En raison des contraintes financières pesant sur les finances publiques, cet effort d’investissement a été fondé sur un recours substantiel aux emprunts bancaires, dont une part est constituée d’emprunts structurés dits « toxiques ». Certains gestionnaires hospitaliers ont parfois mal mesuré les risques à terme de ces produits financiers complexes, alors qu’ils présentaient l’avantage de proposer des taux d’intérêt très intéressants au début de la période de remboursement.

À la suite de la crise financière de 2008 et du démantèlement de la banque Dexia, un des principaux financeurs du secteur hospitalier, les pouvoirs publics ont réagi en faisant intervenir la Caisse des dépôts et consignations et la Banque européenne d’investissement (BEI) pour éviter une trop forte contraction des crédits bancaires aux hôpitaux et des défaillances dans le remboursement des prêts.

Les emprunts structurés les plus risqués dits « hors charte Gissler » (1) représentent de l’ordre d’un milliard d’euros et sont concentrés sur moins d’une centaine d’établissements hospitaliers.

Le Gouvernement a cherché à définir une démarche de « désensibilisation » de ces emprunts toxiques pour permettre aux hôpitaux de se défaire de ces produits, notamment grâce à l’intervention d’un dispositif spécifique aux établissements publics de santé, financé au départ essentiellement par des fonds publics et pour une faible part par les banques, avant qu’un second dispositif ne vienne l’accroître très sensiblement après la « crise du franc suisse » du début de l’année 2015.

Les premières mesures adoptées en urgence visant à rendre plus difficile le recours à l’emprunt en le soumettant à une autorisation préalable des ARS et à interdire la souscription de produits dérivés doivent être confortées, sans excès de rigidification, et un amendement en ce sens a d’ores et déjà été adopté, à l’initiative de la rapporteure et du coprésident de la mission pour interdire les emprunts en devises et encadrer les emprunts à taux variable. Il faut en revanche accélérer la mise en place effective du dispositif de désensibilisation dont la dotation devrait être majorée suite à l’aggravation de la situation financière des hôpitaux causée par le renchérissement du franc suisse, les taux de certains emprunts structurés étant indexés sur le cours de cette monnaie.

La rapporteure a été frappée par la disparité des réactions des établissements hospitaliers, certains allant même jusqu’à refuser de renégocier leurs emprunts structurés car ils offrent aujourd’hui encore un taux d’intérêt intéressant ! D’autres apparaissent bien isolés pour négocier une sortie de leur emprunt et se voient parfois opposer un refus bancaire car le nouvel emprunt à contracter à taux fixe pour compenser le non-paiement de l’indemnité de sortie anticipée aurait un taux d’intérêt supérieur au taux de l’usure.

Les établissements bancaires mettent en avant la responsabilité partagée des autorités de tutelle et des directeurs d’établissement qui ont profité de l’effet d’aubaine de taux artificiellement bas en début de période d’endettement. La rapporteure reconnaît une chaîne complexe de responsabilités mais estime que les banques ne peuvent se dédouaner de toute responsabilité dans ce marketing offensif en faveur des emprunts structurés.

L’essentiel est cependant aujourd’hui de sortir au plus vite de cette phase d’endettement avec des emprunts structurés et de trouver des moyens équitables pour surmonter cette crise financière.

Les établissements bancaires ont reçu des aides massives de la puissance publique lors de la crise financière de 2008 et ont tout avantage à financer le secteur hospitalier dans des conditions assainies. C’est pourquoi la MECSS estime très important que les établissements hospitaliers et les banques partagent le coût financier de cette sortie de crise. La question des indemnités de sortie anticipée doit être réglée de manière homogène et faire l’objet d’une négociation globale pour éviter que des établissements de santé ne soient dans l’impossibilité de sortir de leurs emprunts toxiques en raison du coût parfois exorbitant de cette indemnité dont le montant varie avec une forte instabilité. La confiance entre les établissements de santé et les banques a été fortement ébranlée par les emprunts toxiques, parvenir à une sortie honorable pour les deux parties est fondamentale pour refonder un véritable partenariat pour moderniser l’offre hospitalière.

La question de l’endettement doit être aussi considérée au regard de l’ampleur des investissements à financer.

La rapporteure voudrait insister sur la mobilisation tout à fait remarquable des équipes de direction des hôpitaux et des personnels soignants pour continuer à assumer leurs missions de service public dans un contexte financier très contraint.

Au cours de ses déplacements en région marseillaise, à Saint-Étienne et à Roanne, ainsi qu’en région parisienne, la rapporteure a été frappée par le pragmatisme des équipes pour réussir à soigner tous les patients sans aucune sélection des risques, tout en faisant le maximum pour que les établissements continuent à se moderniser. Les choix au quotidien sont parfois douloureux : faut-il privilégier l’achat d’un appareil de radiologie plus moderne mais reporter des dépenses pourtant urgentes de mise aux normes des installations électriques par exemple ? Ces décisions sont d’autant plus complexes à prendre que les règles du jeu budgétaire sont changeantes, avec les fluctuations de tarifs liés à l’évolution de l’ONDAM annuel et les efforts de productivité demandés chaque année. Les médecins comme les directeurs semblent parfois découragés par l’opacité de certaines règles qui affectent directement leurs moyens de fonctionner au quotidien. Les ARS ont un rôle crucial à jouer pour épauler les établissements et expliquer la stratégie territoriale de l’offre de soins. Sans cet effort pédagogique, surtout lorsque des gains de productivité sont exigés, les hôpitaux publics ont l’impression d’être soumis à de très fortes contraintes et de jouer à armes inégales avec les établissements de l’hospitalisation privée qui orientent beaucoup plus facilement leurs activités vers de la médecine de pointe.

Aujourd’hui, certains hôpitaux peinent à financer leurs investissements courants en raison de leur fragilité financière. Concernant les grands projets de rénovation, il faudrait améliorer la planification des investissements pour intégrer cette programmation dans une réflexion sur la composition de l’offre territoriale hospitalière. En comparaison avec l’Allemagne par exemple, la France dispose d’une offre beaucoup plus dense, mais souvent mal répartie sur le territoire.

Les schémas régionaux d’investissement en santé (SRIS) doivent être améliorés pour tenir compte de l’évolution prévisible de l’offre de soins et la procédure devant le COPERMO (Comité interministériel de performance et de la modernisation de l’offre de soins) doit gagner en transparence.

L’instauration des groupements hospitaliers de territoire (GHT) constitue une occasion opportune de renforcer la coopération entre établissements et de mutualiser certaines fonctions de support, dont la gestion de la dette et de la trésorerie.

De grandes questions doivent par ailleurs encore être résolues pour conforter un investissement hospitalier soutenable et en phase avec le progrès médical. La tarification à l’activité a montré ses limites pour permettre de dégager des marges financières suffisantes pour les investissements lourds ; il faudra sans doute trouver des modes de financement différenciés pour financer les investissements immobiliers et les équipements biomédicaux.

Plus généralement, la tarification à l’activité ne permettant pas de financer convenablement l’investissement, il y a lieu de prévoir d’autres sources de financement qui ne soient pas uniquement des emprunts bancaires. Après la période récente de déstabilisation financière des établissements de santé, il ne faut pas craindre d’innover en cherchant des modes de financement alternatifs aux emprunts bancaires, sans perdre de vue la prudence qui s’impose naturellement en la matière. Certains acteurs économiques disposent de ressources de long terme et pourraient, sous conditions, contribuer à l’investissement hospitalier.

S’appuyant sur la communication de la Cour des comptes (2), portant sur l’endettement des établissements de santé et sur la souscription d’emprunts structurés, demandée par la commission des Affaires sociales, remise aux parlementaires en avril 2014 et présentée à la commission le 8 octobre 2014, la rapporteure a élaboré 13 préconisations présentées ci-après, grâce auxquelles elle souhaite proposer des perspectives pour l’avenir et éviter de laisser leur dette empêcher les hôpitaux publics de poursuivre leur nécessaire modernisation. Ces préconisations complètent les recommandations formulées par la Cour des comptes, retranscrites en annexe au présent rapport.

Au-delà, le présent rapport voudrait permettre de poser des questions urgentes, qui sont cependant souvent éludées : le réseau hospitalier n’est-il pas surabondant ? Ne faut-il pas clairement hiérarchiser les équipements des hôpitaux, pour constituer un réseau de soins avec des hôpitaux de proximité, des établissements généralistes et enfin des établissements de haute technicité ?

LISTE DES PRÉCONISATIONS

Préconisation n° 1 : Garantir un montant minimal et régulier d’investissement de renouvellement

Demander aux ARS d’autoriser les établissements de santé à consacrer au moins 3 % de leur budget pour permettre de réaliser chaque année un montant minimum d’investissements de renouvellement et éviter ainsi une obsolescence de l’offre de soins.

Préconisation n° 2 : Diffuser les enseignements tirés de l’instruction des dossiers d’investissement et d’amélioration de la performance présentés au COPERMO :

– Améliorer la transparence de la procédure devant le COPERMO pour les décisions concernant les projets d’investissement en explicitant notamment la décision finale et les écarts entre les aides à l’investissement attribuées par rapport à celles demandées.

–  Communiquer une synthèse sur les principaux enseignements à tirer des dossiers présentés, en termes de recherche de financement et d’adaptation de l’offre de soins aux nouveaux besoins sanitaires, réalisée par la cellule de la DGOS, chargée de l’instruction des dossiers devant le COPERMO.

Préconisation n° 3 : Gérer en commun la trésorerie et l’endettement

Prévoir que les établissements, constituant un GHT puissent gérer de manière commune certains aspects de leur politique d’endettement et de leur gestion de la trésorerie, afin de disposer d’une masse critique plus importante pour accéder aux marchés financiers et négocier avec les banques.

Préconisation n° 4 : Sortir des emprunts toxiques en partageant le coût de la désensibilisation entre établissements bancaires et établissements hospitaliers

– Rendre rapidement opérationnels les deux volets du dispositif de désensibilisation des emprunts pour les hôpitaux et trouver un « véhicule législatif » rapide pour permettre la modification du taux de la taxe de risque systémique perçue sur les banques pour le financer.

– Mener, en concertation avec les ARS, un travail de persuasion pour convaincre les directeurs d’établissements hospitaliers de sortir des emprunts structurés car, même si les taux actuels sont faibles, les risques latents demeurent élevés.

– Veiller à l’adoption définitive de l’article 26 bis du projet de loi de modernisation de notre système de santé en cours de navette parlementaire, qui interdit les emprunts en devises et impose que les emprunts à taux variables répondent à ces critères de simplicité ou de prévisibilité des clauses financières pour les hôpitaux qui les souscrivent, et renvoie la définition de ses conditions d’application à un décret simple.

– Clarifier la question de savoir si les établissements de crédit peuvent opposer ou non le respect du taux de l’usure dans leurs renégociations de prêt. À titre conservatoire, obtenir des établissements bancaires d’écrêter, au niveau du taux de l’usure, les taux d’intérêt fixes qu’ils proposent pour sortir des emprunts toxiques.

– En complément du dispositif de désensibilisation, engager une négociation avec les établissements bancaires, associer le ministère chargé des finances au ministère des affaires sociales, pour que les établissements de crédit renoncent collectivement à la perception de la totalité ou de la majeure partie des indemnités de sortie. Cette renonciation serait négociée au cas par cas et prendrait la forme d’une transaction avec les établissements emprunteurs.

Préconisation n° 5 : Renforcer la communication institutionnelle sur l’assainissement financier des établissements hospitaliers

Renforcer la confiance entre partenaires suppose que les banques aient une claire connaissance de l’ensemble des efforts menés depuis 2012 pour réduire le risque financier du secteur hospitalier. Il convient donc de renforcer la communication institutionnelle du ministère chargé de la santé et du COPERMO pour présenter de manière didactique l’ensemble des dispositions normatives visant à encadrer l’investissement et les mécanismes de financement des hôpitaux.

Préconisation n° 6 : Développer une expertise financière mutualisée

Favoriser le développement d’une expertise financière mutualisée, dans le sens de ce qu’a réalisé la mission MARTAA en région Pays-de-la-Loire, afin que les établissements de santé disposent d’une expertise indépendante capable de les appuyer dans différents aspects de leur gestion et de contribuer notamment à la diffusion d’outils de gestion comme les logiciels Ælipce ou Hospi Diag, conçus en tenant compte des contraintes spécifiques du service public hospitalier.

Cette expertise pourrait s’appuyer sur les ARS, sur l’Agence nationale compétente, ou, dans l’attente, sur des structures plus empiriques, telles que la mission MARTAA.

Préconisation n° 7 : Diversifier le recrutement des directeurs d’hôpitaux

Faire évoluer les épreuves du concours externe de recrutement des directeurs d’hôpitaux pour attirer des profils formés aux techniques de gestion.

Préconisation n° 8 : Renforcer les compétences en gestion financière

Renforcer la formation en techniques de gestion et culture financière des cadres des ARS appelés à instruire les dossiers de financement des investissements ou à exercer la tutelle financière sur les centres hospitaliers.

Préconisation n° 9 : renforcer la formation continue et le partage d’expérience entre pairs

Renforcer l’offre de formation continue en matière financière pour les directeurs hospitaliers, cadres des ARS en privilégiant une approche pratique. Encourager une nouvelle coopération entre le CNG et l’EHESP pour mettre en place des formations en ce sens, et développer la mise en place de groupe de travail pour promouvoir le partage de bonnes pratiques entre pairs.

Préconisation n° 10 : anticiper les recrutements de directeurs d’hôpitaux et développer le coaching

Développer la pratique du coaching individuel notamment pour les prises de fonction les plus délicates pour les directeurs. Mieux anticiper certains recrutements notamment à l’issue des périodes d’administration provisoire pour susciter des candidatures avec l’assurance que le candidat retenu sera accompagné par un coach ou des référents expérimentés.

Préconisation n° 11 : Clarifier et stabiliser les règles de la tarification à l’activité :

– Accélérer les travaux en cours sur la réforme de la T2A pour clarifier le devenir de cette tarification et lui faire gagner en stabilité, des décisions d’investissement de long terme ne pouvant être prises sur la base de règles tarifaires changeantes. Les tarifs doivent par ailleurs intégrer le financement de la dotation aux amortissements.

– Pour acter cet objectif de stabilité, la démarche contractuelle doit être renforcée : en contrepartie d’engagements sur des objectifs de productivité ou d’amélioration de l’offre de soins, les hôpitaux doivent disposer d’une visibilité au moins de trois ans sur les aides à l’investissement dont ils peuvent effectivement bénéficier.

– Poursuivre dans la voie engagée dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, qui a modifié le financement des hôpitaux de proximité. L’article 52 de cette loi prévoit de faire bénéficier les « établissements de proximité » d’un financement mixte, associant tarifs nationaux de prestations et dotations forfaitaires pour les activités de médecine. La spécificité des petits établissements contribuant à l’aménagement du territoire doit être réaffirmée et leur mode de financement doit être adapté.

Préconisation n° 12 : Faire évoluer les règles de financement des investissements :

– Engager une réflexion avec les professionnels sur l’évolution du financement des investissements, en s’inspirant notamment des expériences étrangères.

– Veiller à dégager des marges financières suffisantes pour permettre le financement des grands projets immobiliers lorsqu’ils sont indispensables.

– Compte tenu du risque d’obsolescence rapide du parc de matériel biomédical lourd, du fait du progrès médical et des moyens financiers contraints, inciter à trouver des modes alternatifs de financement, inspirés par exemple du mécanisme du crédit-bail.

Préconisation n° 13 : Diversifier les modes de financement des investissements hospitaliers

Rechercher des modes de financement alternatifs au financement bancaire, en associant des spécialistes de la finance et de la gestion hospitalière, mais aussi des directeurs d’hôpitaux de terrain. Sous réserve d’une grande prudence, pour éviter de réitérer les choix hasardeux des emprunts toxiques, encourager à la réflexion en faveur de solutions innovantes, en analysant notamment les expériences étrangères pour trouver d’autres angles d’approche du financement de l’offre de soins et recenser les pratiques nouvelles pertinentes, qui ont pu être réalisées localement par des gestionnaires très pragmatiques et soumis à de fortes contraintes budgétaires.

INTRODUCTION

La crise financière de 2008 et le démantèlement de DEXIA, principal établissement financier prêteur pour le secteur de la santé, sont intervenus alors que les établissements hospitaliers avaient lancé de grands projets d’investissement grâce aux plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012, en les finançant essentiellement par l’emprunt.

Le recours à des produits financiers complexes dont les risques avaient été mal appréciés a eu des conséquences dramatiques pour un certain nombre d’établissements qui ont connu parfois des situations proches de la cessation de paiement.

Il est apparu clairement qu’il fallait d’urgence réduire les projets d’investissement et surtout inciter les établissements à renégocier leurs emprunts structurés qualifiés depuis de « toxiques » tellement leurs conséquences en termes de frais financiers sont apparues délétères.

Le dernier et brutal soubresaut de cette crise a eu lieu en janvier 2015, la brusque envolée du franc suisse par rapport à l’euro ayant eu pour conséquence de doubler ou même tripler les taux d’intérêt de certains prêts indexés sur la parité de cette monnaie. En l’espace de quelques jours, certains établissements hospitaliers ont vu leur endettement augmenter de plusieurs millions d’euros, annulant tous leurs efforts de redressement réalisés dans le cadre de contrats de retour à l’équilibre pourtant très contraignants.

Les pouvoirs publics ont pris des mesures en urgence, comme la création en deux temps d’un dispositif spécifique aux établissements de santé pour les aider à renégocier leurs prêts structurés ou encore le contrôle a priori des autorisations d’emprunts pour les hôpitaux les plus endettés. Ces mesures doivent être confortées mais elles méritaient d’être complétées par une réflexion sur la manière optimale de financer les investissements, indispensables pour moderniser l’offre hospitalière.

La présidente de notre commission des affaires sociales, Mme Catherine Lemorton, et les coprésidents de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS), MM. Pierre Morange et Jean-Marc Germain ont sollicité, en application de l’article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières et par lettre du 16 octobre 2012, l’assistance, l’expertise et les moyens de la Cour des comptes.

La communication de la Cour (3), portant sur l’endettement des établissements de santé et sur la souscription d’emprunts structurés, se situe dans le prolongement des travaux menés par la Cour sur les emprunts toxiques contractés par les collectivités locales et sur son analyse de la faillite de DEXIA. Elle a été remise aux parlementaires en avril 2014 et présentée à la commission des Affaires sociales le 8 octobre 2014.

Cette étude témoigne une fois encore du caractère fructueux de l’assistance apportée par la Cour au Parlement dans sa mission constitutionnelle de contrôle de l’application des lois de financement de la sécurité sociale et d’évaluation des politiques publiques prévu par l’article 47-2 de la Constitution.

La Cour a notamment relevé que les établissements de santé ont fait le pari risqué d’augmenter leurs recettes et de compter sur les dotations en capital de l’assurance maladie et de l’État pour être en mesure d’assumer les charges de remboursement des emprunts. Or il s’avère que les prévisions d’exploitation ont été trop optimistes et l’évaluation du coût des travaux assez peu rigoureuse. La Cour a aussi souligné que les investissements réalisés n’étaient pas toujours inspirés par une recherche d’efficience ni de retour sur investissement. Ils n’ont pas toujours été non plus été le levier d’une reconfiguration de l’offre de soins qui reste souvent surdimensionnée au plan immobilier ou mal adaptée à l’évolution des techniques de soins.

S’appuyant sur les principaux constats de la Cour, la MECSS a souhaité approfondir certains aspects de son analyse. Elle a ainsi procédé à seize auditions depuis décembre 2014, en recueillant l’avis des principaux acteurs du monde hospitalier mais aussi des établissements bancaires ayant financé les plans d’investissement. Elle s’est aussi intéressée à la formation des directeurs d’hôpitaux en gestion financière, à l’évolution de la tutelle financière sur les établissements de santé confiée aux agences régionales de santé et à la gouvernance des grands projets immobiliers dans le cadre du COPERMO notamment.

Ayant suivi les différents travaux des corps de contrôle sur l’endettement et l’accès au crédit des établissements de santé, la rapporteure a choisi de se rendre auprès d’établissements en difficulté financière, comme l’Assistance publique de Marseille, le CHU de Saint-Étienne, le centre hospitalier de Roanne à la fin de sa période de mise sous administration provisoire ou encore plusieurs établissements d’Île-de-France, comme l’hôpital intercommunal de Montreuil ou le groupe hospitalier du Nord-Essonne. Elle a tenu aussi à rencontrer des responsables dans les ARS, chargés d’instruire les projets d’investissements.

Ces déplacements ont conforté la rapporteure dans son souci de soutenir l’hôpital public, dont la spécificité doit être soulignée. Le service public hospitalier doit continuer à relever le défi consistant à être à la fois un modèle de médecine de pointe, mais aussi le lieu où il est possible d’accueillir n’importe quel patient, fût-il en situation précaire et sans couverture sociale. Il faut reconnaitre que l’hôpital public est soumis à des contraintes contradictoires et que sa force est justement de savoir les concilier. Les déplacements de la rapporteure ont permis de rencontrer des équipes ayant connu des périodes de crise très graves, parfois la quasi cessation de paiement, mais, malgré ces difficultés, les personnels ont réussi à poursuivre leur mission, même si des inquiétudes se sont exprimées sur les risques d’obsolescence de l’hôpital public incapable de financer des équipements de pointe et qui perd certains praticiens découragés de devoir se battre au quotidien pour avoir les moyens d’offrir une médecine de qualité.

Des choix importants doivent être faits pour financer la modernisation hospitalière et il faut éviter que le poids de la dette n’obère le futur.

Ce rapport présente plusieurs recommandations pour sortir au plus vite des emprunts structurés qui handicapent la modernisation des établissements de santé et ont gravement entamé la confiance qui existait entre les centres hospitaliers et les établissements financiers partenaires.

Les pouvoirs publics doivent jouer un rôle moteur pour favoriser une sortie rapide et équitable de cette crise en veillant à ce que les coûts de la « désensibilisation » soient équitablement répartis.

Ce rapport incite aussi à explorer de nouvelles pistes pour diversifier les outils financiers permettant de lancer de nouveaux projets d’investissement. Il faut aussi changer de regard et éviter de penser à des établissements toujours plus grands alors que la qualité passe aujourd’hui plutôt par des plateaux techniques très modernes mais utilisés de manière continue avec des patients rapidement réorientés vers un parcours de soins extra-hospitalier.

I. L’ENDETTEMENT MASSIF DES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ PÈSE SUR LA MODERNISATION DE L’OFFRE DE SOINS

Après une période de forte dégradation des comptes des établissements de santé en raison de la brusque remontée des taux d’intérêt des emprunts structurés lors des années 2009-2011, la situation s’est stabilisée mais reste préoccupante car l’endettement et la détention d’emprunts toxiques sont concentrés sur un petit nombre d’établissements, dont certains ont une faible marge de négociation du fait de leur petite taille.

A. DES ÉTABLISSEMENTS LÉGÈREMENT DÉFICITAIRES EN 2013

Selon les informations publiées par la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) en septembre 2014 (4), les soins hospitaliers publics et privés (hors soins de longue durée aux personnes âgées) représentaient 85,1 milliards d’euros en 2013, soit 46,6 % de la consommation individuelle de soins et biens médicaux française ce qui place la France en 2e position par rapport aux autres pays de l’OCDE,

La situation financière des hôpitaux s’était avérée légèrement excédentaire en 2012. Elle est repassée en léger déficit en 2013 (de – 100 millions d’euros, soit 0,2 % de leur chiffre d’affaires), dans une situation bien meilleure que de 2006 à 2011, mais également contrastée : beaucoup d’établissements sont légèrement déficitaires, mais 40 établissements cumulent 50 % du déficit. Pour mémoire, ce déficit était de 345 millions d’euros en 2008, de 223 millions en 2009, de 227 millions en 2010 et de 354 millions en 2011.

La dégradation en 2013 serait totalement imputable à la dégradation du budget principal (5) qui présenterait un déficit de 320 millions d’euros contre 140 millions d’euros en 2012. En 2013, les hôpitaux seraient encore plus nombreux dans cette situation : près de la moitié des hôpitaux publics (46 %) seraient en situation de déficit, avec un déficit cumulé de 476 millions d’euros. Les centres hospitaliers de bonne taille affichent un très léger déficit de 8 millions d’euros et s’accommodent mieux de la tarification T2A : leur activité connaît une dynamique suffisante, et leur taille leur permet d’absorber leurs effets de structure.

Le nombre d’établissements publics de santé déficitaires continue d’augmenter en 2012 et 2013 malgré l’amélioration observée en 2012 et le niveau assez bas du déficit constaté en 2013 : 420 hôpitaux déficitaires en 2013 contre 361 en 2012 et 350 en 2011. La part d’établissements déficitaires est ainsi passée de 37 % en 2011 à 46 % en 2013, avec un déficit cumulé de 476 millions d’euros. Toutefois, ce déficit reste concentré sur un petit nombre d’établissements : la moitié de ce déficit cumulé est imputable à près de 40 établissements en 2012 et en 2013.

Quant aux établissements excédentaires, leur résultat net comptable positif s’élevait à 374 millions d’euros en 2013 contre 431 millions d’euros en 2012.

La progression des charges résulte principalement de l’accélération des dépenses de personnel (+ 2,7 % en 2013 contre + 2,3 % l’année précédente) qui s’explique essentiellement par une hausse des charges sociales (+ 4,6 % en 2013 contre + 2,4 % en 2012), la masse salariale n’évoluant que plus modérément (+ 2,2 %). Les autres charges, notamment médicales, hôtelières et générales, connaîtraient une décélération, avec + 2,5 % en 2013 contre + 4,6 % en 2012. La progression des recettes résulte principalement de celle des produits versés par l’assurance maladie. Ces derniers, y compris le fonds d’intervention régional (FIR), auraient augmenté de + 2,4 % en 2013 contre + 2,7 % l’année précédente.

Le volume des investissements est resté limité : 4,1 milliards d’euros en 2012 pour 3,8 en 2013, ce qui génère tout de même un ralentissement de la croissance de l’encours de la dette qui s’établirait à 29,1 milliards d’euros. La part des dépenses d’investissement au sein des produits a diminué de 10,9 % en 2009 à 8,7 % en 2012 pour s’établir à 7,6 % en 2013. Le taux d’indépendance financière, mesurant la part des dettes au sein des ressources stables, atteint près de 50 %. Ce ralentissement très net de l’investissement est lourd de conséquences pour l’avenir. La DREES constate toutefois que « la vétusté du parc hospitalier peut générer un effet rebond à cette austérité et relancer le cycle de l’endettement d’ici quelques années ».

Au total, la marge brute d’exploitation (6) des établissements diminuerait en 2013 pour s’établir à 4,7 milliards d’euros. Corrélée à la faiblesse de l’investissement, donc à une réduction des charges d’amortissement, cette situation est favorable à un résultat équilibré mais obère l’avenir. Corrélativement, la capacité d’autofinancement diminuerait de près de 300 millions d’euros pour n’atteindre que 3,8 milliards d’euros en 2013. Le taux d’autofinancement continuerait de baisser en 2013). Le seul point positif à retenir semble donc le ralentissement de la croissance de l’encours de la dette, sous l’effet conjugué de la baisse des taux et de l’absence de programmes soutenus d’investissement.

Cette situation est préoccupante. Il semblerait que les hôpitaux publics aient exploité les gisements de productivité et d’efficience dont ils pouvaient disposer sans devoir recourir à des investissements productifs. Aujourd’hui, la réfaction tarifaire, le gel des enveloppes et les politiques publiques générant un enchérissement de la dépense rendent plus difficile de dégager des marges suffisantes pour financer des investissements pour restructurer l’offre de soins. Si ces facteurs perdurent, il est probable que les hôpitaux auront beaucoup de difficultés à se moderniser et risquent de creuser leur déficit, entrant dans une infernale spirale d’endettement.

La problématique financière de l’hospitalisation privée est très différente. Le secteur lucratif a opéré un mouvement très important de concentration et de réduction du nombre de lits. De plus, comme l’a expliqué M. Lamine Gharbi, président de la Fédération hospitalière privée, lors de son audition par la mission, les établissements privés ont anticipé le développement de la chirurgie ambulatoire et de la réduction de la durée moyenne de séjour : « en vingt ans nous sommes passés, dans le secteur privé de 2 000 à 1 000 établissements et d’une taille moyenne modeste de 70 lits à 120 lits ». Leur endettement a été contenu et n’atteint que 2 milliards d’euros. Dans le même temps, la gestion de l’immobilier a été rationalisée : beaucoup d’établissements ont cédé la propriété de leurs murs pour ne pas avoir à supporter la charge de leur entretien et se concentrent sur la gestion médicale en payant un loyer au propriétaire des murs, ce qui représente une garantie de stabilité.

Les cliniques privées à but lucratif ont réalisé en 2012 un chiffre d’affaires d’environ 13,6 milliards d’euros, en progression de 500 millions d’euros par rapport à 2011 (soit + 4,1 %). Le chiffre d’affaires ne prend pas en compte les honoraires des praticiens libéraux qui y exercent. Dans leur ensemble, les cliniques privées ont dégagé un résultat excédentaire en 2012, comme lors des exercices précédents.

Cette situation économique, globalement satisfaisante, reste toutefois marquée par de fortes disparités. Plus d’un tiers des cliniques subissent des pertes alors qu’une sur dix affiche un taux de rentabilité nette supérieur à 10 %. En outre, les niveaux de rentabilité sont très variables selon le secteur d’activité. Les cliniques psychiatriques demeurent les plus rentables en 2012 (5,2 %, mais avec une diminution de – 0,6 point), devant les cliniques de SSR – soins de suite et de réadaptation – dont la rentabilité (3,2 %) repart à la hausse (+ 0,3 point) après deux années de baisse. Les cliniques MCO (médecine, chirurgie, obstétrique) demeurent les moins rentables (à 1,2 %, en baisse de – 1,2 point).

B. UN NIVEAU D’ENDETTEMENT ÉLEVÉ RÉSULTANT DES PLANS HÔPITAL 2007 ET HÔPITAL 2012

Partant du constat d’un retard d’investissements dans le secteur hospitalier, les pouvoirs publics ont mis en place deux plans d’investissement ambitieux : Hôpital 2007 et Hôpital 2012.

Or, comme l’ont constaté l’ensemble des interlocuteurs entendus par la MECSS, l’ampleur de ces plans d’investissement et les modalités de financement choisies ont conduit à un accroissement important de l’endettement des établissements publics de santé.

Comme l’a souligné M. Yves Gaubert, responsable du pôle Finances et Banque de données hospitalières de la Fédération hospitalière de France (FHF), la dette des hôpitaux est devenue préoccupante à partir de 2003-2004. Ensuite les gouvernements ont en effet promu des plans d’investissements qui ont fait passer son montant de 10 milliards d’euros à près de 30 milliards d’euros en dix ans. Pour les hôpitaux publics, le financement de ces grands plans, notamment ceux de 2007 et 2012, reposait quasi exclusivement sur des dettes contractées auprès du secteur bancaire classique à des taux d’intérêt supérieurs d’environ 1 % à ceux de la dette de l’État.

Ces prêts avaient de plus une durée longue puisque leur durée de vie résiduelle est encore aujourd’hui de dix-huit ans. Ce niveau d’endettement, même s’il a tendance à se réduire depuis 2013, a de fâcheuses conséquences pour la modernisation de l’offre hospitalière. Pour M. Gaubert ces emprunts « obèrent en conséquence une partie de la capacité d’autofinancement des hôpitaux : 2,5 milliards d’euros sur les 3,5 milliards d’autofinancement dégagés annuellement sont aujourd’hui destinés à l’amortissement de la dette. Ce sont autant de fonds qui manquent pour la modernisation et la restructuration des établissements. »

1. Le paysage de l’endettement des établissements de santé

À fin 2013, la dette des hôpitaux publics s’élevait à 29,3 milliards d’euros.

Elle se répartissait comme suit :

● entre catégories d’établissements :

Catégorie d’établissement Encours fin 2013

(en millions d’euros)

Proportion
Assistance publique Hôpitaux de Paris (AP-HP) 2 238 7,7 %
CH Régionaux 8 634 29,7 %
CH budget > 70 millions d’euros 10 675 36,7 %
CH budget 20-70 millions d’euros 3 602 12,4 %
CH budget < 20 millions d’euros 518 1,8 %
CH de proximité (ex HL) 1 655 5,7 %
CHS 1 569 5,4 %
GCS 28 0,1 %
Autres 191 0,7 %
Total 29 111 100,0 %

Source : DGFiP, retraitements DGOS.

CH : centre hospitalier

CHS : centre hospitalier spécialisé

GCS : groupement de coopération sanitaire

● entre régions :

Région Encours fin 2013

(en millions d’euros)

Alsace 617
Aquitaine 980
Auvergne 686
Basse-Normandie 625
Bourgogne 1 117
Bretagne 1 416
Centre 1 166
Champagne-Ardenne 529
Collectivités d’outre-mer 70
Corse 111
Franche-Comté 736
Guadeloupe 282
Guyane 84
Haute-Normandie 772
Ile-de-France 4 640
La Réunion 338
Languedoc-Roussillon 1 136
Limousin 199
Lorraine 1 331
Martinique 386
Mayotte 58
Midi-Pyrénées 1 074
NDA 0
Nord-Pas-de-Calais 1 834
Pays de la Loire 1 226
Picardie 1 266
Poitou-Charentes 685
Provence-Alpes-Côte d’Azur 2 561
Rhône-Alpes 3 187
Total 29 111

Source : DGFiP, retraitements DGOS.

De 2003 à 2012, la dette hospitalière a triplé, passant de 9,8 milliards d’euros courants à 29,3 milliards. Elle a encore progressé d’un milliard d’euros en 2013. Elle a connu sur cette période une dynamique particulièrement élevée – augmentant parfois jusqu’à 19 % d’une année à l’autre. Pour la période 2006-2009, elle a crû en moyenne de 16 % par an. Ce rythme s’est néanmoins sensiblement infléchi à la baisse puisqu’il est revenu à une hausse moyenne annuelle de l’ordre de 10 % dans les années récentes et de 6 % aujourd’hui.

2. L’investissement des hôpitaux publics sur la même période

C’est afin de remédier à la problématique de la nécessaire modernisation des hôpitaux – développement de la médecine ambulatoire et renouvellement des équipements – que le plan Hôpital 2007 et le plan Hôpital 2012 ont été mis en œuvre.

– Le plan Hôpital 2007, dont l’initiative est partie du constat d’une grande vétusté dans de nombreux établissements, prévoyait le financement de 10 milliards d’euros d’investissement sur cinq ans, grâce à une aide nationale de 6 milliards, dont 1 milliard a été versé sous forme de capital par le Fonds de modernisation des établissements de santé publics et privés (FMESPP), et 4,7 milliards sous forme d’aide en fonctionnement, c’est-à-dire avec le versement d’une part de dotation permettant de couvrir des annuités de remboursement des emprunts des établissements.

Le rythme de financement des subventions en capital attribuées au titre du FMESPP, initialement prévu à 300 millions d’euros par an, a été revu en cours de plan. Dès l’année 2006, il y a eu substitution partielle entre les deux modes de financement et 428 millions d’euros ont été convertis de FMESPP en ONDAM. Au total, le soutien financier attribué depuis le lancement du plan Hôpital 2007 s’élève, en capital versé par le FMESPP, à 1,061 milliard d’euros.

Comme l’a rappelé le directeur général de la direction générale de l’offre de soins (DGOS), M. Jean Debeaupuis, lors de son audition : « Ce mécanisme, qui n’était pas celui initialement prévu par le gouvernement de 2002, puisqu’une part plus large en capital avait été envisagée, s’est révélé efficace en termes de modernisation des installations, de regroupement de sites, d’amélioration de l’hôtellerie hospitalière, de renouvellement des plateaux techniques. En revanche, il a présenté l’inconvénient majeur, pointé tant par les acteurs de santé que par les pouvoirs publics et la Cour des comptes, d’alimenter l’endettement des établissements, qui s’est accru sur la période. »

Aujourd’hui, le montant total des investissements correspondants est estimé à 16,8 milliards d’euros. L’aide apportée via ce plan a permis un accroissement de l’ordre de 40 % des investissements hors plan entre 2002 et 2007.

INVESTISSEMENT DES ÉTABLISSEMENTS PUBLICS DE SANTÉ DE 2001 À 2007

(en milliards d’euros)

Source : Direction générale de la compatibilité publique (devenue DGFiP) et Sidonih 2008.

– Le Plan Hôpital 2012 avait pour objet de permettre l’amélioration de l’efficience des établissements de santé, tout en maintenant un niveau d’investissement permettant la poursuite de la modernisation du patrimoine (7).

L’effort d’investissement visé par ce plan était de 10 milliards d’euros sur cinq ans. Ce montant plafond s’entendait comme un effort supplémentaire s’ajoutant aux investissements courants. Il devait permettre de maintenir, sur la période 2008-2012, un niveau comparable à celui du plan précédent.

Le gouvernement de l’époque n’en a lancé que la première tranche, à hauteur de 4,6 milliards d’euros, dont 2,2 milliards d’euros d’aides versés avec des ratios légèrement améliorés en part en capital, à hauteur de 626 millions d’euros, et le reste également sous forme d’aide couvrant le coût du recours à l’emprunt.

– L’effet d’accumulation des dossiers d’investissement s’est traduit entre 2002 et 2009 par un doublement du niveau d’investissement des établissements publics de santé, qui est ainsi passé de 3 milliards à 6,6 milliards d’euros sur la période. Ce pic historique de 2009 s’est révélé insoutenable, si bien que la ministre a prévu, pour la période 2012-2022, de ramener ce niveau à 4,5 milliards d’euros par an. Il devrait être atteint en 2014, après avoir progressivement décru, à 5 milliards d’euros en 2013.

En matière d’investissements, on peut distinguer trois périodes sur les deux dernières décennies.

La période 1992-2001 s’est caractérisée par un investissement de l’ordre de 2,5 milliards d’euros par an.

Entre 2002 et 2011, l’investissement a « explosé », pour passer à 6 milliards par an en moyenne, et même à 7 milliards en 2009, encouragé par les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012.

Enfin, à partir de 2011, avec une décélération très progressive et un investissement ramené à moins de 5 milliards en 2013, l’objectif a été fixé à 4,5 milliards d’euros par an.

Quant à l’endettement, il est passé de 9 milliards en 2002 à 30 milliards d’euros en 2013, rythme de croissance deux fois plus rapide que celui des collectivités locales. Or les comptes des établissements montrent très nettement que le triplement de l’endettement ne s’est en rien appuyé sur une augmentation de la capacité d’autofinancement. D’où une symétrie parfaite entre la courbe de l’endettement net et celle de l’investissement annuel, celui-ci entraînant celui-là.

Plusieurs personnes auditionnées par la MECSS ont ainsi constaté les limites de cette méthode de financement par « plan » avec des objectifs de dépenses, conduisant à des investissements souvent rapidement réalisés et faisant l’objet de trop peu d’études préalables.

Ainsi, M. Yves Gaubert, responsable du pôle Finances et Banque de données hospitalière de la Fédération hospitalière de France (FHF), a constaté : « Puisque j’évoque ce plan, il faut également dire que les choses se sont faites à l’époque dans une certaine précipitation. Au-delà de la volonté de moderniser les hôpitaux, il s’agissait, en 2007, d’afficher des résultats en termes de relance économique. Les premiers dossiers de ce plan ont donc été lancés extrêmement rapidement, parfois par des structures qui ne disposaient pas d’autofinancement. On peut parler d’une fuite en avant. Une fois le projet mis en œuvre, il fallait bien le faire fonctionner ce qui, surtout à l’époque, était encore plus coûteux qu’aujourd’hui car on ne lésinait pas sur les mètres carrés. Ces conditions expliquent que la volonté de diminuer la charge de la dette en première période ait conduit à la souscription d’emprunts dangereux. »

M. Michel Rosenblatt, secrétaire général du syndicat des cadres de direction, médecins, dentistes et pharmaciens des établissements sanitaires et sociaux publics et privés (SYNCASS-CFDT), a analysé ainsi les raisons du recours à l’endettement lors de son audition par la MECSS : « Pourquoi la situation est-elle tendue aujourd’hui ? L’endettement des hôpitaux n’est pas né par hasard. C’est la conséquence d’un choix déterminé de relance des investissements hospitaliers à partir de 2002 à travers le plan Hôpital 2007 qui a été prolongé par le plan Hôpital 2012. Le constat était à l’époque que les hôpitaux qui avaient, pour des raisons essentiellement financières, limité leurs efforts d’investissements en infrastructures et en équipement, étaient dans une situation de désolation et qu’il fallait donc relancer la machine, ce qui pouvait d’ailleurs contribuer à relancer la croissance, soit par des subventions d’investissements, soit par le recours à l’emprunt, soit par des partenariats public-privé (PPP). (…) On a privilégié le financement par l’emprunt par rapport à la dotation directe en capital parce que cela permettait un effet de levier ; et on a imposé des normes techniques très optimistes et exagérément exigeantes, ce qui fait qu’on a construit trop grand et trop cher. La compensation du coût des investissements qui était promise n’a pas été assurée. Les dotations des missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation (MIGAC) devaient compenser le surcoût des amortissements et des frais financiers. Or cela a très souvent été oublié, notamment lorsqu’on est passé à l’intégration dans les fonds d’intervention régionale (FIR). Souvent, des promesses de financement sur le long terme – dix, vingt, voire trente ans – se sont perdues en cours de route lors du changement de système. Les hôpitaux se sont retrouvés sans l’assurance des ressources qui leur étaient promises. »

Ces investissements ont été dans leur grande majorité dirigés vers des projets immobiliers et très peu centrés sur les systèmes d’information, la performance ou les projets de restructuration, occasionnant dans certains cas un surdimensionnement des structures. Les opérations immobilières ont ainsi représenté près de 95 % de ce plan, les opérations d’équipements et de systèmes d’information hospitaliers (SIH) seulement 5 %.

Tel est le constat dressé par M. Gautier Bailly, sous-directeur à la direction du budget au ministère des finances et des comptes publics : « La question a été posée de la nécessité de cet investissement. On sait que les besoins étaient extrêmement importants au regard de la vétusté de certains établissements, des mises aux normes nécessaires en matière de sécurité et d’incendie, mais aussi de la concurrence entre établissements liée à la T2A (tarification à l’activité). Pour autant, l’investissement a été concentré sur l’immobilier, l’accroissement des surfaces et des capacités hospitalières. Ainsi, l’investissement immobilier lourd est le principal contributeur à la croissance des investissements, puisqu’il est passé de 1,4 milliard d’euros en 2002 à 4,2 milliards d’euros en 2009, soit là encore un triplement. »

Celui-ci a fait part du constat suivant que, pour les CHU, qui représentent un quart du patrimoine immobilier hospitalier, la part du bâti neuf ou réhabilité a augmenté de 70 % et les surfaces globales de 30 % durant la même période, alors que le nombre de mètres carrés obsolètes ou vétustes, lui, n’a pas toujours diminué. Ainsi, les opérations ont été réalisées sans réel effort de densification et dans le sens d’une extension globale des surfaces.

En outre, la capacité hospitalière a augmenté de 5 % entre 2010 et 2011, alors que l’activité était stable, voire en léger recul, que la durée moyenne de séjour a baissé et que le recours à la chirurgie ambulatoire a progressé. Des exemples de projets surdimensionnés ou mal adaptés à cette évolution des pratiques médicales sont mentionnés dans le rapport de la Cour des comptes sur le plan Hôpital 2007.

Au total, les taux d’occupation des structures hospitalières restent relativement faibles, à hauteur d’environ 75 % en MCO, et entre 10 000 et 11 000 lits ont un taux d’occupation de moins de 50 %.

En définitive, cet investissement, présenté comme nécessaire, voire indispensable, s’est appuyé sur l’encouragement à l’emprunt, conduisant parfois à une sélection trop rapide des projets, ainsi que sur des sous-jacents médico-économiques parfois trop ambitieux.

Ces conclusions ont conduit le Gouvernement actuel à abandonner cette logique de plan et à installer, fin décembre 2012, le Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (COPERMO), chargé de la supervision financière des établissements (cf. infra).

Ces orientations, conjuguées à la décision d’abandonner la deuxième tranche du plan Hôpital 2012, ont permis une légère amélioration des indicateurs financiers. En effet, entre 2009 et 2013, le montant des investissements annuels est revenu à un niveau plus raisonnable, passant de 6,7 milliards d’euros à 4,9 milliards ; les emprunts nouveaux sont passés de 5 milliards d’euros à 3 milliards ; et l’endettement net n’a progressé que de 0,9 milliard d’euros, passant de 28 milliards d’euros à 29 milliards en 2013. La phase de désendettement n’est pas encore amorcée, mais elle le sera sans doute vers 2016-2017 si les perspectives fixées par le gouvernement sont respectées.

3. Des procédures d’emprunt trop souples qui ont permis des dérives

Le dynamisme de l’investissement hospitalier a été entretenu par l’abondance des projets présentés par les établissements eux-mêmes, ce qui a donné, dans le contexte de la mise en œuvre de la tarification à l’activité (T2A) et d’un regain d’activité des hôpitaux qui était source de recettes supplémentaires, le sentiment que le recours à l’emprunt était un moyen de financer dans de bonnes conditions ce surplus d’investissements. Au total, de 2003 à 2012, l’emprunt représentait le tiers des ressources consacrées à l’investissement par les établissements hospitaliers, soit bien davantage que ce qui avait été projeté par les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012.

La seconde raison de l’emballement constaté a été l’allégement progressif des contrôles de l’administration sur les stratégies de dette des établissements publics hospitaliers. Jusqu’en 2005, ces derniers devaient soumettre leurs emprunts à leur conseil d’administration, donnant à l’agence régionale d’hospitalisation (ARH), saisie des délibérations du conseil d’administration, la possibilité de réagir. Même si les ARH intervenaient rarement, au moins étaient-elles informées de la stratégie d’endettement des hôpitaux. Or une ordonnance de 2005 a modifié ce régime en donnant davantage de latitude aux établissements hospitaliers dans la souscription de leurs emprunts, et la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) a encore élargi cette marge d’autonomie en donnant aux directeurs des hôpitaux une compétence pleine et entière en la matière.

Cette forme de libéralisation du recours à l’emprunt a eu lieu au moment où le levier de la dette était le plus fortement mobilisé. La perspective d’un surcroît d’activité lié à l’entrée en vigueur de la T2A a facilité le recours à la dette. De ce fait, l’attention portée au choix des projets d’investissements a peut-être été moins vigilante qu’il n’eût fallu. La Cour des comptes et les chambres régionales des comptes ont ainsi constaté à de nombreuses reprises que ces choix n’avaient pas été guidés par un souci d’efficience, et qu’on avait construit des établissements surdimensionnés par rapport à la réalité de leur activité.

L’emballement de la dette hospitalière a longtemps été négligé, ce qui explique le caractère tardif de la réaction des pouvoirs publics. Ce n’est qu’à partir de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 que le Gouvernement a cherché à mieux réguler l’appel à l’emprunt. Un décret a été pris à l’automne 2011 pour soumettre à autorisation d’emprunt les établissements les plus endettés ; il ne permet toutefois de réguler qu’une partie de l’appel à l’emprunt, compte tenu des dispositions qui définissent les établissements surendettés et du fait que ces derniers soumettent aux agences régionales de santé (ARS) non pas leurs emprunts mais leurs plans prévisionnels d’endettement, c’est-à-dire le volume d’emprunts qu’ils envisagent de souscrire.

Ce fort recours à l’endettement s’explique aussi par un marketing offensif des établissements bancaires. M. Patrice Chatard, directeur de Finance active, a ainsi expliqué lors de son audition par la mission :

« (…) le marché commercial était guidé par les banques – dont certaines comportaient des équipes de plus de 300 commerciaux – et, toute la journée, les directeurs financiers des collectivités locales et des établissements publics de santé étaient sollicités pour réaliser ce type de produit. Il n’y a donc aucune ambiguïté ; le marché était parfaitement organisé par les banques à l’époque : Dexia en tête, Caisse d’Épargne, Crédit Agricole, Royal Bank of Scotland (RBS), etc. »

Une très forte offensive a été menée pour avoir des coûts très attractifs :

« Dans tous les cas, la politique commerciale des banques était claire : il s’agissait de remporter l’appel d’offres sur le financement et donc l’encours, si bien qu’elles étaient prêtes à casser les prix. Les commerciaux ont annoncé aux hôpitaux avoir “mieux” à leur proposer que du “Euribor trois mois sans marge”, à savoir des produits structurés dont certains se sont révélés très toxiques. C’est ainsi que les choses sont arrivées. »

Pour les banques, les produits structurés répondaient à deux objectifs.

Le premier était de créer davantage de rémunération. Le marché du secteur public local au sens large est peu rémunérateur du fait de la règle de dépôts des fonds au Trésor, alors que la « bancarisation », c’est-à-dire la gestion des flux, est le nerf de la guerre pour les banques. Au surplus, la concurrence avait fait baisser les marges sur les crédits standards à des niveaux très bas. Par conséquent, des produits complexes, avec de l’ingénierie financière, assuraient de facto davantage de rémunération.

Ensuite, le second objectif était d’avoir la « mainmise » sur les encours. Il était très difficile, voire impossible aux clients de sortir d’un encours en produit structuré – des produits indexés sur le franc suisse, notamment.

Cela explique l’impact commercial très important de ces produits. On peut même dire que cette offre a créé sa demande : un taux facial faible pouvait rencontrer une demande en raison des plans d’investissement très importants et de la nécessité de chercher des marges de manœuvre.

L’appréciation de l’implication de chacun des acteurs est cependant divergente selon les personnes que la MECSS a pu auditionner.

Il apparaît à la rapporteure que les responsabilités sont largement partagées entre la tutelle, les établissements hospitaliers et les établissements bancaires.

Lors de son audition, M. Guillaume Wasmer, représentant le syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), a bien cerné la responsabilité respective des acteurs : « …la dette est la résultante d’un système “pousse au crime”, puisque les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012 n’ont pas été des plans d’investissement au sens strict, mais des plans d’aide à l’emprunt. Sur les 6 milliards d’euros du plan Hôpital 2007, il n’y avait qu’un milliard sous forme de subventions. On a donc poussé les établissements à s’endetter. Les agences régionales de santé qui avaient une marge de manœuvre qui n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’elle est aujourd’hui ont accompagné le système avec exactement le même type de financement, c’est-à-dire non sous forme de subventions mais sous forme d’aide au remboursement des seuls frais financiers. Les dossiers ont été choisis sur des critères de rapidité de réalisation et non d’endettement ».

M. Éric-Alban Giroux, directeur d’hôpital, au cours de cette même audition a souligné que les plans Hôpitaux avaient fortement favorisé les banques :

« Les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012 ont été vécus comme un soutien davantage au monde bancaire qu’au monde hospitalier public. Le privé a bénéficié de subventions tandis que le public a eu le droit d’emprunter moyennant la couverture de ses intérêts d’emprunt ou de faire des partenariats public-privé. En fait, on a demandé au public, soit de s’endetter définitivement sur une longue période, soit de supprimer complètement son titre IV, c’est-à-dire les amortissements et les frais financiers, au profit d’un bâtisseur privé, c’est-à-dire d’avoir les pieds et poings liés à un bâtisseur privé qui faisait payer cher le moindre changement de cloison ».

Cet emballement de la dette, depuis 2003, a mis certains hôpitaux dans une situation critique.

L’alourdissement de la dette a eu, très logiquement, une incidence forte sur les ratios habituellement utilisés pour apprécier la situation financière des établissements. Le ratio de dépendance financière, c’est-à-dire la part de la dette dans les capitaux permanents, a augmenté de moitié et approche désormais 50 %. Le taux d’endettement, à savoir l’encours de la dette sur le total des produits d’activité, a lui-même doublé en dix ans et avoisine 40 %. Cet endettement élevé compromet le financement des investissements courants et des investissements incompressibles de renouvellement des équipements.

La marge brute des établissements, autrement dit le surcroît de recettes que leur activité dégage par rapport à leurs dépenses, s’élevait en 2011 à 5,1 %. Sur ces 5,1 %, ils doivent en moyenne consacrer 4,1 % au remboursement de leurs emprunts ; il ne leur reste donc qu’une marge nette de 1 %, alors que 3 %, au moins, seraient nécessaires pour financer leurs investissements courants comme le renouvellement des équipements. Aussi, compte tenu du poids de la dette, les établissements ne sont-ils pas à même de financer leurs investissements courants sans aides complémentaires de la part des pouvoirs publics.

ÉVOLUTION DE LA DETTE À MOYEN ET LONG TERMES DES EPS

(en milliards d’euros)

2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012
Encours de la dette 9,8 10,9 12,0 13,5 15,9 18,9 21,9 24,2 26,5 29,3
Évolution N/N-1 10 % 11 % 10 % 13 % 18 % 19 % 16 % 10 % 10 % 10 %

Source : Direction générale des finances publiques et direction générale de l’offre de soins.

DÉTAIL DE LA DETTE À LONG ET MOYEN TERMES DES EPS EN 2011 ET 2012

(en millions d’euros)

2011 2012
Chapitre 16 – emprunts et dettes assimilées 26 758 29 382
Dont 163 – emprunts obligataires 1 606 1 695
164 – emprunts auprès des établissements de crédit 24 551 25 930
167 – emprunts assortis de conditions particulières 377 1 503
Dont 1675 – dettes – partenariats public-privé 30 1 179
168 – autres emprunts et dettes assimilés 205 234

Source : Comptes financiers des EPS. Extraction Cour des Comptes.

La charge de la dette a heureusement progressé moins rapidement que son encours en raison du faible niveau des taux d’intérêt. Le montant global des intérêts est cependant passé de 403 millions d’euros à 928 millions entre 2003 et 2012 et représentait en 2012 1,4 % des charges d’exploitation.

ÉVOLUTION DES RATIOS D’ENDETTEMENT DES EPS

2003 2007 2011 2012
Dépendance financière 33 % 40 % 49 % 50 %
Taux d’endettement 19 % 27 % 37 % 39 %
Durée apparente de la dette (dette/CAF) 3,4 5,6 6,3 7,1
Charges d’intérêt sur charges exploitation 0,9 % 1,0 % 1,3 % 1,4 %
Service de la dette sur produits d’exploitation 3,8 % 3,7 % 4,1 % 4,7 %

Source : Cour des comptes (à partir de données transmises par la direction générale des finances publiques).

PART DE L’ENDETTEMENT DANS LE FINANCEMENT
DES INVESTISSEMENTS HOSPITALIERS DE 2003 À 2012

(en milliards d’euros)

Emplois Ressources
Investissements 55,0 Endettement net 18,7 32 %
Abondements fonds de roulement 3,3 Capacité d’autofinancement 34,8 59 %
Autres emplois 0,6 Subventions et cessions 5,4 9 %
Total 58,9 Total 58,9 100 %

Source : Direction générale des finances publiques et direction générale de l’offre de soins (calculs Cour des comptes).

Sur la période 2003-2012, les subventions et les cessions ont représenté moins de 10 % des ressources d’investissement des établissements publics de santé, tandis que la capacité d’autofinancement en a constitué près de 60 %. Le recours à l’endettement a finalement représenté près du tiers (32 %) des moyens mobilisés par les établissements publics de santé pour financer leurs investissements et, de manière plus marginale, pour abonder leur fonds de roulement, durant ces dix années de très forte modernisation des équipements et du parc immobilier des hôpitaux.

4. Des emprunts toxiques dont il est difficile de se désengager

Bien plus que le niveau d’endettement, c’est le type d’emprunts souscrits qui a fortement obéré la situation financière des établissements de crédits. Pour profiter de taux apparemment attractifs et en raison d’une politique commerciale très offensive de certaines banques, les établissements de santé ont souscrit massivement des emprunts structurés que l’on a qualifiés ultérieurement de « toxiques » tant leurs conséquences furent déplorables pour la stabilité financière de ces établissements.

Les emprunts structurés (cf. annexe 3) sont des prêts combinant dans un seul et même contrat un prêt bancaire classique et un ou plusieurs dérivés, dont les intérêts sont déterminés selon l’évolution d’un indice sous-jacent non standard (8) (taux de change, différentiel entre un taux long et un taux court, écart de valeur entre deux indices d’inflation…) ou sont calculés selon des formules complexes pouvant être non linéaires de sorte que l’évolution des taux supportés peut être plus que proportionnelle à celle de l’index lui-même (c’est notamment le cas des produits affectés de coefficients multiplicateurs).

L’une des caractéristiques des produits structurés tient à la présence de plusieurs périodes de taux successives :

– la première, en général de deux ou trois ans, est marquée par un taux d’intérêt fixe bonifié (en dessous du cours du marché, voire nul) ;

– la deuxième période, très longue, est assortie d’un taux qui résulte d’une formule arithmétique contenant un ou plusieurs produits dérivés du contrat assis sur des indices non standards ;

– une troisième période peut éventuellement exister, de courte durée (un ou deux ans), assortie d’un taux fixe égal ou proche du taux de la première période.

En raison du caractère attractif des taux bonifiés et des difficultés d’appréhension des risques encourus, un nombre significatif de collectivités territoriales et d’établissements publics locaux ont eu recours aux produits structurés depuis leur introduction au début des années 1990 et plus particulièrement au cours des années 2007 et 2008. La crise financière de 2008, qui a entraîné des niveaux de volatilité de forte amplitude des indices utilisés dans les formules de calcul des taux des emprunts structurés, a révélé la réelle dangerosité de certains des emprunts contractés.

La signature en 2009 d’une charte de bonne conduite dite « charte Gissler » entre les établissements bancaires et les collectivités locales et la diffusion de la circulaire du 25 juin 2010 ont permis de mettre fin à la commercialisation des produits structurés à risque.

La mise en place dans le cadre de la charte de bonne conduite d’une classification des produits structurés et la rénovation des annexes budgétaires des collectivités territoriales relatives à la dette ont permis d’améliorer de façon significative l’information des élus et des citoyens sur la dette publique locale, notamment sur les risques liés aux emprunts structurés.

La classification Gissler permet de les ranger selon une matrice à double entrée : le chiffre (de 1 à 5) traduit la complexité de l’indice servant au calcul des intérêts de l’emprunt et la lettre (de A à E) exprime le degré de complexité de la formule de calcul des intérêts. Par extension, la circulaire du 25 juin 2010 définit une catégorie « Hors Charte » (F6) qui regroupe tous les produits déconseillés par la Charte et que les établissements signataires se sont engagés à ne plus commercialiser.

Dans un climat de concurrence exacerbée, les établissements de crédit ont sollicité les établissements de santé pour qu’ils souscrivent des emprunts sophistiqués avec, dans un premier temps, une phase de bonification – donc avec un intérêt immédiat à la souscription –, mais, dans un second temps, une indexation les exposant à des risques considérables.

Dans l’encours des dettes hospitalières, les emprunts à risque élevé représentent 2,5 milliards d’euros, soit 9 % de l’encours total Les emprunts particulièrement délétères représentent pour leur part environ un milliard d’euros, soit 4 % des encours. Selon les données de la Société de financement local (SFIL), qui a repris à Dexia son portefeuille d’emprunts, les hôpitaux connaissent un niveau de risque équivalent à celui des collectivités locales : 34 % des encours des établissements publics de santé auprès de la SFIL correspondent à des emprunts structurés, contre 35 % pour les collectivités locales. Ces emprunts structurés représentent donc une part importante de l’encours de la dette hospitalière, et sont d’autant plus dangereux qu’ils sont concentrés sur un nombre limité d’établissements. Une centaine d’entre eux sont très fortement « chargés » en emprunts toxiques, certains importants comme le centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Étienne, d’autres bien plus modestes comme le centre hospitalier intercommunal de Montreuil.

Cette situation, marquée par l’importance des emprunts toxiques, n’est pas encore totalement visible dans la comptabilité des hôpitaux, qui n’ont été tenus de provisionner leurs risques qu’à partir de l’exercice 2014. Or ces risques sont importants. Les éléments d’information recueillis montrent que le coût de sortie des emprunts structurés – soit le rachat des options liées à ces emprunts toxiques – représente, en cas de remboursement anticipé, une dépense de l’ordre de 1,5 milliard d’euros, dont un milliard pour certains emprunts parmi les plus risqués, que les établissements bancaires ne consentent plus aujourd’hui ni aux collectivités locales ni aux établissements publics de santé car ils sont particulièrement dangereux.

Pour les établissements de crédit, les établissements publics de santé sont considérés comme moins rassurants que les collectivités locales : s’ils ont la même structure d’emprunt, ils n’ont pas, contrairement à elles, la possibilité de lever l’impôt. Aussi les établissements de crédit relèguent-ils en deuxième position les demandes d’emprunts des établissements hospitaliers.

Cette situation a été en partie palliée par la montée en puissance de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui a dégagé des enveloppes de crédit en faveur des établissements publics de santé, sous réserve que ces crédits soient d’une durée assez longue.

Selon une enquête menée par la DGOS, avec l’appui de l’ATIH (agence technique de l’information sur l’hospitalisation), auprès des établissements début 2014 sur leur encours à fin 2013, 84,3 % de l’encours de dette était composé de prêts dits non structurés (classé 1A dans la matrice de risque Gissler), soit environ 24,5 milliards d’euros.

Parmi les emprunts structurés (soit 15,7 % de l’encours de dette), le niveau de risque de taux varie selon la nature du contrat de prêt (formule d’indexation du taux). Les emprunts structurés dits hors charte, les plus risqués, représenteraient presque 1 milliard d’euros, soit 3,4 % de l’encours. Les prêts structurés très sensibles mais conformes à la charte dite Gissler (cotés 3E, 4E et 5E) représenteraient 2,7 % de l’encours soit environ 800 millions d’euros. Enfin, les autres emprunts structurés, dits moins sensibles, représenteraient 9,7 % de l’encours soit 2,7 milliards d’euros.

En conclusion, le niveau de risque des emprunts est globalement en diminution entre 2012 et 2013. Il est possible de présenter la décomposition des emprunts selon le degré de risque :

– l’encours des emprunts non structurés (1A : non risqués) a augmenté de + 4,4 %, passant de 20,9 milliards d’euros en 2012 (81,7 % des encours) à 21,8 milliards d’euros en 2013 (84,0 %) ;

– en parallèle, l’encours des emprunts structurés (autres catégories de risque : de faible à très élevé) a diminué de 11,1 %, passant de 4,7 milliards d’euros en 2012 (18,3 %) à 4,2 milliards d’euros en 2013 (16,0 %). En particulier l’encours des emprunts structurés à risque très élevé (6F, dits « hors charte ») a diminué de 5,0 %, passant de 906 millions d’euros en 2012 (3,5 %) à 861 millions d’euros en 2013 (3,3 %).

EMPRUNTS STRUCTURÉS « HORS CHARTE GISSLER »
PAR EPS, CLASSÉS PAR RÉGION

(en euros)

Raison sociale Région Catégorie

D’EPS

Encours 6F au 31/12/2013 ou 2014 quand l’information est disponible
Centre hospitalier de Sélestat Alsace CH 8 176 017
Centre hospitalier de Mulhouse Alsace CH 1 928 571
Hôpitaux universitaires de Strasbourg Alsace CHU 25 301 727
Centre hospitalier de Brioude Auvergne CH 3 073 296
Centre hospitalier de Vichy Auvergne CH 14 188 931
Centre hospitalier de Montluçon Auvergne CH 6 359 945
Centre hospitalier d’Autun Bourgogne CH 6 385 986
Centre hospitalier de Clamecy Bourgogne CH ex HL 2 101 939
Centre hospitalier spécialisé de Sevrey Bourgogne CH ex CHS 1 950 000
Centre hospitalier universitaire de Dijon Bourgogne CHU 57 923 998
Centre hospitalier de Paimpol Bretagne CH 2 529 453
Centre hospitalier des Pays de Morlaix Bretagne CH 1 815 159
Centre hospitalier de Dreux Centre CH 1 528 920
Centre hospitalier de Bonneval Centre CH ex CHS 2 400 000
Centre hospitalier de Chartres Centre CH 4 236 239
Centre hospitalier Geneviève de Gaulle-Anthonioz (Saint-Dizier) Champagne-Ardenne CH 7 600 000
Hôpital local de Bonifacio Corse CH ex HL 2 500 000
Centre hospitalier d’Ajaccio Corse CH 7 500 000
Centre hospitalier de Haute-Comté Franche-Comté CH 7 056 321
Centre hospitalier de la Haute-Saône Franche-Comté CH 8 851 351
Long séjour du centre de gérontologie Chevreuse Île-de-France USLD 3 392 00
Centre hospitalier André Grégoire (Montreuil) Île-de-France CH 24 809 901
Centre hospitalier de Juvisy-sur-Orge Île-de-France CH 12 160 714
Centre hospitalier intercommunal de Villeneuve-Saint-Georges Île-de-France CH 8 226 666
Centre hospitalier de Rambouillet Île-de-France CH 11 304 996
Centre hospitalier de Meaux Île-de-France CH 20 000 000
Centre hospitalier du parc-Sarreguemines Lorraine CH 16 484 070
Centre hospitalier spécialisé de Sarreguemines Lorraine CH ex CHS 2 756 074
SlNCAL Lorraine SIH 11 045 385
Centre hospitalier Pierre Delpech de Cazeville Midi-Pyrénées CH 1 666 729
Centre hospitalier de Villefranche de Rouergue Midi-Pyrénées CH 5 495 275
Centre hospitalier intercommunal du Val-d’Ariège Midi-Pyrénées CH 5 159 559
Centre hospitalier « Hôpital Jacques Puel » de Rodez Midi-Pyrénées CH 14 440 594
Centre hospitalier Le Cateau-Cambresis Nord-Pas-de-Calais CH 8 051 198
Centre hospitalier d’Arras Nord-Pas-de-Calais CH 49 968 367
Centre hospitalier de Denain Nord-Pas-de-Calais CH 2 603 037
Centre hospitalier de Dunkerque Nord-Pas-de-Calais CH 3 232 804
Centre hospitalier de Douai Nord-Pas-de-Calais CH 3 232 804
Centre hospitalier du Havre Haute-Normandie CH 4 958 243
Centre hospitalier universitaire de Rouen Haute-Normandie CHU 7 000 000
Hôpital intercommunal Sèvre et Loire Pays-de-la-Loire CH ex HL 6 058 273
Pôle santé Sarthe et Loir Pays-de-la-Loire CH 25 666 667
Hôpital local du sud-ouest mayennais Pays-de-la-Loire CH ex HL 2 920 111
Centre hospitalier de Fontenay-la-Cointe Pays-de-la-Loire CH 2 800 000
Centre hospitalier de La Ferté-Bernard Pays-de-la-Loire CH 359 774
Centre hospitalier universitaire de Nantes Pays-de-la-Loire CHU 90 536 555
Centre hospitalier du Mans Pays-de-la-Loire CH 6 592 000
Centre hospitalier de Loire Vendée Océan à Challans Pays-de-la-Loire CH 6 080 000
Centre hospitalier de Saint-Valéry-sur-Somme Picardie CH ex HL 3 485 931
Centre hospitalier de Saintonce Poitou-Charentes CH 4 200 000
Centre hospitalier de Briancon Provence-Alpes-Côte d’Azur CH 10 365 250
Centre hospitalier intercommunal de Toulon La Seyne Provence-Alpes-Côte d’Azur CH 24 000 000
Centre hospitalier de Salon-de-Provence Provence-Alpes-Côte d’Azur CH 4 417 238
Centre hospitalier d’Orange Provence-Alpes-Côte d’Azur CH 2 600 000
APHM Provence-Alpes-Côte d’Azur CHU 70 463 862
GCS-ES Institut cancérologie Lucien Neuwirth Rhône-Alpes CH 11 182 248
Centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne Rhône-Alpes CHU 90 793 209
Centre hospitalier de Roanne Rhône-Alpes CH 9 528 952
Hôpital de Gier Rhône-Alpes CH 3 848 795
Hôpitaux des pays du Mont-Blanc Rhône-Alpes CH 5 267 387
Centre hospitalier Saint-Jean-de-Maurienne Rhône-Alpes CH 3 608 667
Centre hospitalier Vals d’Ardèche Rhône-Alpes CH 4 069 893
Hôpitaux du Léman Rhône-Alpes CH 5 575 692
Centre hospitalier universitaire de Grenoble Rhône-Alpes CHU 11 001 976
Centre hospitalier de Mayotte Z-Réunion CH 19 200 000
EPSMR Z-Réunion CH ex CHS 1 964 286
GH Est-Réunion Z-Réunion CH 18 846 614
Centre hospitalier de Basse-Terre Z-Guadeloupe CH 13 000 000
Centre hospitalier universitaire de Martinique Z-Martinique CHU 26 270 327
Total 882 883 173

Source : Direction générale de l’offre de soins – février 2015.

CH : centre hospitalier ; CHU : centre hospitalier universitaire ; HL : hôpital local ; CHS : centre hospitalier spécialisé ; USLD : unité de soins de longue durée.

L’appréciation des responsabilités respectives des établissements bancaires et des établissements hospitaliers dans la souscription massive des emprunts structurés fait l’objet d’analyses divergentes selon les acteurs.

Pour les représentants de la profession bancaire et les établissements de crédits eux-mêmes on ne peut pas affirmer que les établissements ont failli à leur devoir de conseil en incitant les centres hospitaliers à souscrire à des produits financiers très risqués.

M. Richard Boutet, représentant la Fédération bancaire française, a souligné lors de sa deuxième audition par la MECSS, la responsabilité partagée (9) de tous les acteurs et a indiqué que la Cour des comptes faisait ce même constat.

« La Cour explique que la responsabilité de ces emprunts risqués est partagée par les pouvoirs publics qui portent la responsabilité au premier chef puisqu’ils ont privilégié le levier de la dette pour financer un plus grand nombre d’opérations sans avoir instauré de procédure de choix rigoureux des investissements et tout en allégeant leur contrôle sur la nature et le montant des emprunts souscrits.

Les gestionnaires hospitaliers ne sont pas non plus sans responsabilités, l’argent de la dette a pu leur paraître un argent facile dans un contexte réglementaire permissif et dans un climat de concurrence entre les établissements bancaires qui a favorisé le développement d’offres de crédits structurés dont les risques considérables ne sont apparus qu’ensuite.

La Cour des comptes n’incrimine donc pas les banques comme seules responsables de cette situation, mais insiste sur une responsabilité partagée entre différents acteurs, aggravée par les options de gouvernance des hôpitaux publics. »

M. Hervé Leroux, directeur des entreprises et du secteur public au Crédit Agricole, a souligné lors de la première table ronde des banques tenue le 27 janvier 2015 que sa « banque n’avait pas cherché à orienter tel ou tel prêt structuré vers tel ou tel client. Les hôpitaux qui ont souscrit ces emprunts avaient des tailles très significatives et avaient la capacité de comprendre parfaitement les produits proposés. »

Cette absence de stratégie délibérée pour « placer » des emprunts toxiques a été confirmée par M. Cédric Mignon, directeur du développement des Caisses d’épargne du groupe BPCE. Il a souligné que « pour chaque demande de financement, sa banque proposait deux produits, l’un à taux fixe, l’autre sous forme de crédit structuré. Il a d’ailleurs considéré que durant plusieurs années ces produits structurés avaient correspondu à un financement usuel chez certains acteurs économiques dont certains d’ailleurs étaient assistés de conseils tout à fait experts dans le domaine. ».

Les directeurs des établissements hospitaliers font valoir qu’ils ont été très fortement incités à souscrire de tels emprunts par les discours rassurants des établissements bancaires. A posteriori, il est difficile d’apprécier, si les responsables hospitaliers et de la tutelle avaient conscience des caractéristiques de ces emprunts structurés et des risques latents qu’ils représentaient. Il est certain en revanche, que dans un contexte financier contraint, les établissements avaient tout intérêt à souscrire des emprunts qui dans une première phase permettait de bénéficier de taux d’intérêt intéressants.

Le cabinet « Finance active » a bien souligné lors de son audition qu’il avait tenté de dissuader certains établissements de s’engager dans un tel processus en raison des risques potentiels ultérieurs mais le marketing offensif des banques et les autorités de tutelles qui n’ont fait aucune objection à ces souscriptions expliquent le succès de ces produits structurés.

La rapporteure estime que les responsabilités sont largement partagées entre les différents acteurs, les autorités de tutelle ayant singulièrement manqué de prudence dans l’appréciation des produits financiers proposés.

5. Le cas limite des centres hospitaliers sous administration provisoire

Certains établissements particulièrement fragilisés par leur endettement ont été mis sous administration provisoire, ce qui a permis souvent de revoir en profondeur leur mode de gestion. Cette décision est prise en cas de situation très grave et fait parfois suite à une mission d’appui et de conseil, réalisée par des membres de l’IGAS, lorsque cet accompagnement s’est révélé insuffisant.

a. Le régime de l’administration provisoire

L’administration provisoire des établissements publics de santé est encadrée par des conditions légales et réglementaires prévues par le code de la santé publique. Son article L. 6143-3-1 prévoit que le directeur général de l’ARS peut placer sous administration provisoire un établissement, « en cas de manquement grave portant atteinte à la sécurité des patients ou lorsque, après qu’il a mis en œuvre la procédure prévue à l’article L. 6143-3, l’établissement ne présente pas de plan de redressement dans le délai requis, refuse de signer l’avenant au contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens ou n’exécute pas le plan de redressement, ou lorsque le plan de redressement ne permet pas de redresser la situation de l’établissement ».

Au total, le placement sous administration provisoire reste une décision exceptionnelle : sur plus de 3 000 établissements, 15 administrations provisoires ont été déclenchées depuis 2008, dont une procédure n’a pas abouti, pour des durées allant de 6 mois à 24 mois et essentiellement pour des motifs financiers. Cette décision intervient le plus souvent après un plan de redressement infructueux (déficit de plus de 2 % ou 3 % du total des produits ; CAF insuffisante pour couvrir le remboursement en capital des emprunts…).

L’analyse des situations de fin de mise sous administration provisoire amène le constat de l’amélioration systématique des situations budgétaires des établissements, de leur gouvernance, des relations sociales et des orientations stratégiques d’activité. Les transformations importantes constatées portent notamment sur les impacts financiers qui permettent le redressement.

ÉTABLISSEMENTS PLACÉS SOUS ADMINISTRATION PROVISOIRE DEPUIS 2008

Établissement placé sous MSAP Année de déclenchement Durée Motifs (endettement ou autres critères) Modalités Résultats
Ajaccio 2008 12 mois puis renouvelée 12 mois Absence de production d’un plan de redressement assurant le retour à l’équilibre 3 CGES (conseillers généraux des établissements de santé) nommés avec les attributions du directeur et du conseil d’administration Le CH a retrouvé le chemin de l’équilibre financier. Développement de nouvelles activités et dialogue social renoué. Pilotage du projet de reconstruction de l’hôpital de la Miséricorde
2012 12 mois prorogée de 12 mois Gravité et urgence de la situation financière ; 30 millions d’euros de dettes institutionnelles et 50 millions d’euros de dettes financières IGAS/CGES ayant les attributions de directeur
CH de Lens 2011 12 mois Objectifs du plan de redressement non respectés et urgence de la situation ; en position critique vis-à-vis des établissements bancaires DH (directeur d’hôpital) puis CGES ayant les attributions de directeur Retour à l’équilibre progressif et amélioration de sa situation financière
HOSPITALOR (association hospitalière Lorraine) 2011 6 mois Le plan de redressement ne permet pas de redresser la situation financière de l’établissement ; tensions de trésorerie et difficultés à obtenir des prêts bancaires ; impossibilité d’assurer ses engagements financiers fin 2010 et notamment le versement des salaires 1 IGAS et 1 CGES nommés avec les attributions de directeur Amélioration de la situation financière. Augmentation de l’activité. Établissement qui fait partie du projet de recomposition de l’offre de soins en Moselle Est
SIH Montceau Le Creusot 2011 12 mois Article L. 6143-3-1 CSP ; remise des créances de l’ordre de 40 % du montant total des dettes de la fondation 3 CGES nommés avec les attributions du secrétaire général du SIH Amélioration même si l’établissement continue de rencontrer des difficultés financières. Accompagnement de l’ANAP pour consolider le retour à l’équilibre dans le cadre d’une approche territoriale
CICH Unisanté (Forbach St Avold) 2011 6 mois puis renouvelée 12 mois Pian de redressement qui ne permet pas de redresser la situation financière 1 DH nommé avec les attributions de directeur Amélioration de la situation financière. Établissement qui fait partie du projet de recomposition de l’offre de soins en Moselle Est
CH de Colson 2012 6 mois Poursuite de la dégradation financière malgré la présentation d’un plan de redressement ; endettement excessivement élevé 1 IGAS et 1 CGES nommés avec les attributions de directeur Signature d’un CREF (contrat de retour à l’équilibre financier) et retour à l’équilibre progressif
Basse-Terre 2012 6 mois Le plan de redressement ne permet pas de redresser la situation financière 2 CGES et 2 IGAS ayant les attributions du directeur Plan de retour à l’équilibre arrêté par l’administrateur provisoire en juin 2013 et traduit dans un CREF dans le cadre du CPOM (contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens) qui prévoit une résorption complète du déficit pour 2015
CH André Grégoire – Montreuil 2012 12 mois puis renouvelée 6 mois Le plan de redressement ne permet pas de redresser la situation financière ; dysfonctionnement de la gouvernance et de l’organisation médicale 1 DH ayant les attributions du directeur Stabilisation de l’organisation et redressement de la situation financière. Mise en place d’un PREF (plan de retour à l’équilibre financier) depuis 2013. Gouvernance restaurée. Refonte du projet médical
CH de Montluçon 2013 6 mois puis renouvelée 6 mois Plan de redressement insuffisant et partiellement mis en œuvre. Urgence de la situation financière et difficultés de trésorerie 2 IGAS et 1 CGES ayant les attributions du directeur et du conseil de surveillance Situation qui s’est améliorée suite à l’administration provisoire. Appui de l’ANAP dans l’élaboration de la feuille de route de retour à l’équilibre. Établissement qui continue d’être suivi en Copermo performance
CH de Sarrebourg 2013 6 mois La situation financière de l’établissement est fortement obérée et le plan de redressement proposé dans le délai réglementaire ne permet pas de redresser la situation 1DH ayant les attributions de directeur Rétablissement du fonctionnement institutionnel et amélioration de la situation financière. Présentation du projet d’établissement
CH de Roanne 2014 12 mois Article L. 6143-3-1 CSP : non-exécution du plan de redressement qui ne permet pas de redresser la situation financière de l’établissement 2 CGES et 1 DH ayant les attributions de directeur En cours. Amélioration de la situation financière et validation d’un plan de retour à l’équilibre à l’horizon 2016
CH de Briançon 2014 12 mois Déséquilibre financier important et l’établissement n’a pas présenté un plan de redressement dans les délais réglementaires 1 IGAS et 1 CGES ayant les fonctions de directeur Mission en cours
CH de Chauny 2014 12 mois Le plan de redressement ne permet pas de redresser la situation financière de l’établissement 2 DH ayant les attributions de directeur Mission en cours

Source : Direction générale de l’offre de soins – février 2015.

Votre rapporteure s’est rendue dans deux centres hospitaliers ayant connu ce statut d’administration provisoire et a pu constater que cette période avait permis de redéfinir la stratégie et les modes de gestion de ces établissements.

b. Le cas du centre hospitalier de Roanne

L’exemple du centre hospitalier de Roanne qui a été mis sous administration provisoire le 28 mai 2014 pour une durée d’un an, montre tout l’intérêt d’une telle décision. Auparavant, l’établissement avait bénéficié d’un suivi attentif par le ministère durant plusieurs années. L’IGAS a procédé en 2011 à une mission de contrôle et a fait des préconisations qui ont été complétées par l’avis du Comité des risques qui, en mars 2011, conseillait un durcissement du plan de redressement. Courant 2013, un nouveau plan de redressement a été élaboré à cause de l’aggravation de la situation financière. La chambre régionale des comptes a aussi mené une enquête très détaillée et a conclu en avril 2014 que ce deuxième plan serait insuffisant.

Devant la dégradation de la situation financière avec des déficits cumulés atteignant à la fin 2013, 24,6 millions d’euros et un taux de marge brute ayant baissé de 5,2 % en 2012 à 3,2 % en 2013, il a été décidé de confier l’administration provisoire du centre hospitalier à trois conseillers généraux des établissements de santé qui avaient une expérience opérationnelle de la direction d’établissement.

Leur lettre de mission fixait des objectifs précis de redressement, notamment en termes de gouvernance et de redéfinition du projet médical.

La reconstruction et l’extension de l’établissement, qui sont intervenues en plusieurs étapes entre 2009 et mai 2015 pour les urgences, permettent de disposer d’un outil modernisé mais qui est aujourd’hui surdimensionné, les prévisions de hausse d’activité ayant été exagérément optimistes. Les travaux ayant été mal supervisés, ils ont abouti à un dépassement très important, passant de quatre-vingts millions estimés à près de cent cinquante millions réalisés, ce qui a contribué à dégrader l’endettement de l’hôpital malgré des subventions d’investissement de 6 millions d’euros versés annuellement par l’ARS (sur une durée de vingt ans dans le cadre d’un contrat de retour à l’équilibre) et une aide ponctuelle supplémentaire de 6 millions d’euros pour 2014 afin de limiter le recours à l’emprunt.

Les administrateurs provisoires ont donc eu pour première mission de retrouver des marges de manœuvre financière avec pour objectif de dégager un taux de marge brute d’exploitation de 8,9 % à l’horizon de 2017 tout en définissant un projet stratégique permettant d’atteindre cet objectif. Le conseil de surveillance a adopté le 12 mars 2015 les orientations stratégiques de l’établissement pour la période 2015-2020, qui a été approuvé à l’unanimité par la commission médicale d’établissement.

Un des chantiers les plus importants a consisté à rétablir une gouvernance apaisée de l’établissement car les derniers mois de la direction précédente avaient été marqués par un blocage des instances de concertation avec les partenaires sociaux et avec le conseil de surveillance.

Le positionnement de l’hôpital de Roanne doit être redéfini car il se caractérise par un environnement défavorisé en termes d’offre médicale libérale surtout pour les médecins spécialistes. Cette carence de la médecine ambulatoire conduit à ce que l’hôpital joue un rôle de soins de premier recours alors que ce n’est pas sa véritable vocation.

À terme, l’ARS devra décider clairement si l’hôpital de Roanne accroît sa coopération avec le CHU de Saint-Étienne en développant par exemple des services accueillant des permanences de médecins hospitaliers de Saint-Étienne venant opérer ou consulter régulièrement à l’hôpital de Roanne ou si cet hôpital devient plutôt l’hôpital de référence pour le nord du département de la Loire en développant un soutien aux hôpitaux locaux et aux EHPAD, situés à proximité.

Afin de dynamiser l’ensemble des équipes, les administrateurs provisoires ont lancé une grande consultation interne pour aboutir à un projet médical rénové qui puisse attirer de nouveaux praticiens car l’hôpital peine à recruter et est actuellement pénalisé par le départ de trois chirurgiens viscéraux. La situation devrait s’améliorer en 2016 car des recrutements sont en cours en gynécologie et pour la chirurgie digestive.

Un gros effort a été mené pour réduire la durée moyenne de séjour qui est plus élevée que dans des établissements comparables du fait de la population vieillissante mais surtout d’une mauvaise coordination avec les lits d’aval.

En effet, la chambre régionale des comptes notait qu’en 2012 la durée moyenne de séjour était supérieure de 20 % à celle des établissements comparables à celui de Roanne les moins performants. La situation s’est cependant améliorée en 2014.

Un cadre infirmier a donc été chargé de se consacrer à ce problème crucial pour éviter d’encombrer des lits « aigus » alors que les patients pourraient être orientés vers des établissements de rééducation ou de long séjour plus ou moins médicalisés.

Des lits de médecine ont été réouverts à effectifs constants pour permettre une meilleure fluidité de la prise en charge post-urgences et l’année prochaine il est prévu que l’hôpital ouvre des lits saisonniers en médecine gériatrique avec recrutements de personnel soignant en contrat à durée déterminée pour s’adapter aux flux de malades durant la période hivernale. Cette réorganisation a été rendue possible grâce à la fermeture de lits de chirurgie et à la fusion de certaines unités chirurgicales avec un développement de la chirurgie ambulatoire, ce qui a permis de réorganiser les équipes de personnel paramédical.

Le plan de retour à l’équilibre 2014-2016 a prévu de se focaliser sur la baisse des dépenses qui représente 80 % du plan et qui se traduit par une suppression de 84 postes sur 2 000 et une réduction de dix postes médicaux.

Les premiers résultats positifs sont déjà enregistrés : le déficit de fin 2014 a été plus modeste que prévu atteignant 2,8 millions d’euros contre six millions attendus. De sérieuses économies ont été réalisées sur les achats (3 millions) et sur la pharmacie (un million d’économie) et il est vraisemblable que les objectifs de redressement fixés pour 2017 pourraient être atteints avec un an d’avance.

La principale difficulté est aujourd’hui pour le nouveau directeur de continuer sur cette lancée de réorganisation profonde dans un contexte financier très contraint. Il a été dit à la rapporteure par plusieurs interlocuteurs, qu’il était dommage que le Centre national de gestion (CNG) n’ait pas mieux anticipé le recrutement du nouveau directeur arrivé début juin 2015. Le CNG n’a pas eu d’attitude « pro active » pour rechercher un profil adapté à cette gestion de crise. Après un appel à candidature très classique, deux candidats seulement répondaient aux critères demandés. De plus, il est dommage que le nouveau directeur n’ait pu bénéficier d’une période plus longue de mise au courant avec la présence effective des administrateurs provisoires pour permettre un « tuilage » efficace.

a. Le cas de l’hôpital André Grégoire à Montreuil

La rapporteure s’est rendue également en région parisienne à l’hôpital André Grégoire à Montreuil.

Le bilan de la mise sous administration provisoire de cet hôpital durant un an et demi, jusqu’à la fin avril 2014, y est plus mitigé.

Ce sont aussi des raisons financières qui ont conduit à cette décision après de gros travaux réalisés dans le cadre du plan Hôpital 2007 (passage d’une surface immobilière de 38 000 m² à 52 000 m² avec aujourd’hui des locaux vides sur plus de 4 000 m²).

Le positionnement de l’hôpital est complexe car il est à la fois un hôpital de proximité pour certaines spécialités mais aussi un établissement de pointe pour le pôle mère-enfant avec une maternité de niveau 3, un service de cardiologie qui fait référence et un service de néphrologie qui est le seul à permettre des soins de dialyse pour le secteur public dans ce département. La problématique des coopérations est donc essentielle pour gagner en qualité des soins et en efficience.

Cet établissement a repositionné son offre de soins et augmenté son activité (+ 8 % en 2013 et 2014). Des lits supplémentaires ont été ouverts dans plusieurs services. Ainsi, le nombre de naissances annuelles est passé de 3 200 à 3 500 environ. L’hôpital a renforcé des spécialités de proximité comme la médecine interne, la gériatrie, la cardiologie et la néphrologie. Le site a par ailleurs noué des partenariats pour des consultations avec le Groupe hospitalier universitaire Paris Seine-Saint-Denis (regroupant les hôpitaux Avicenne-Jean Verdier et René Muret de l’AP-HP), permettant de proposer aux patients des parcours de soins adaptés à leur état de santé et à proximité de leur domicile. Une autre collaboration s’est engagée avec l’hôpital Robert-Ballanger d’Aulnay pour y transférer les urgences de nuit concernant la neurologie.

La rapporteure a pu rencontrer plusieurs médecins siégeant à la CME qui lui ont fait part des difficultés de nouer des coopérations entre hôpitaux de taille trop disparates comme c’est le cas avec les hôpitaux dépendant de l’AP-HP. C’est pourquoi ils préféreraient développer des liens avec celui de Montfermeil avec qui des liens interpersonnels entre équipes médicales existent déjà.

Le plan de retour à l’équilibre des finances a été présenté en décembre 2013 et comporte une trajectoire dynamique avec des prévisions de hausse d’activité. Il a en partie porté ses fruits avec une réduction du déficit qui est passé de 13,7 millions d’euros en 2012 à 5,9 en 2013. En augmentant son activité, et en développant les consultations externes, l’hôpital a pu dynamiser ses recettes. Toutefois la situation de l’hôpital reste fragile car l’hôpital n’a aucune capacité d’autofinancement et doit supporter une dette de 99 millions d’euros, soit un taux d’endettement de 92 %. Selon la directrice de l’hôpital, la situation est devenue encore plus grave depuis le renchérissement du franc suisse qui va annuler par les charges d’intérêt nouvelles, tous les efforts d’économies menés depuis deux ans.

Ces nouveaux frais financiers vont rendre sans doute indispensable la définition d’un nouveau plan de redressement à l’équilibre car le plan de 2013 reposait sur des hypothèses de croissance d’activité trop optimistes et difficiles à tenir sur plusieurs années. De plus, ce plan ne comportait pas assez de mesures visant à générer de nouvelles économies. Selon la directrice, des marges peuvent être trouvées comme le prouvent les économies déjà réalisées sur les frais de laboratoire notamment pour le service de réanimation où ils ont été divisés par deux. Le service de restauration va être profondément remanié avec un volet de réduction d’effectifs tandis que le service de facturation peut gagner beaucoup en efficacité. Il sera sans doute nécessaire de fermer certaines capacités qui avaient été créées récemment, l’objectif étant de densifier les services existants et de regrouper les services de médecine. Certaines consignes nationales comme le développement de la chirurgie ambulatoire se heurtent à Montreuil à des facteurs sociologiques : il est impossible de réaliser certaines opérations si le patient vit dans un habitat précaire ou est totalement isolé.

À la différence de beaucoup autres hôpitaux, l’établissement de Montreuil est un équipement nécessaire pour la médecine de premier recours, particulièrement en pédiatrie car il n’y a que deux pédiatres libéraux à proximité. Les urgences sont ainsi encombrées de patients qui devraient relever de soins ambulatoires ou qui restent plus longtemps en hospitalisation faute de structures d’accueil pour les personnes âgées dépendantes.

Dans le cas de Montreuil, il s’avère que la période de l’administration provisoire a permis d’impulser une réorganisation, mais les résultats attendus sont parfois plus longs que prévus à se matérialiser et la fragilité financière rend la gestion quotidienne très complexe car il n’existe aucune marge de manœuvre pour faire de petits investissements courants.

L’établissement fait toujours partie du programme d’accompagnement des hôpitaux en difficulté financière de l’ARS, parmi une quinzaine en Île-de-France. La directrice a aussi souligné l’intérêt d’être accompagnée par un cabinet de consultants privés qui lui permet de suivre et d’apprécier l’évolution du risque des emprunts toxiques. Ce cabinet lui permet aussi de disposer d’une meilleure visibilité sur l’état des finances de l’hôpital à l’échéance d’un an, ce qui est primordial pour mener à bien certains projets. Cette projection dans l’avenir est indispensable pour mobiliser les équipes soignantes qui ne doivent pas avoir l’impression que l’hôpital prépare son désengagement ou un repli vers une simple activité de proximité.

C. UN ACCÈS AU CRÉDIT CONTRASTÉ SELON LA TAILLE DES ÉTABLISSEMENTS

1. Des difficultés pour le financement à court terme et la gestion de la trésorerie

Dans son rapport, la Cour des comptes fait état des difficultés de trésorerie rencontrées par plusieurs établissements sur la période récente (2011 et 2012). Elles se sont traduites par l’allongement des délais fournisseurs et le gonflement des dettes sociales.

La situation est aujourd’hui très contrastée : certains établissements profitent à plein d’un crédit à taux très bas et d’autres déjà fortement endettés éprouvent des difficultés à accéder à toute forme de crédit même à une simple ligne de trésorerie, comme le centre hospitalier d’Aubagne par exemple.

Pour éviter toute rupture de trésorerie, les pouvoirs publics ont octroyé des aides d’urgence aux hôpitaux les plus concernés par les tensions de trésorerie en 2012 puis en 2013. Parallèlement, le ministère a mis en place un dispositif de veille régionale sur la trésorerie des hôpitaux.

En 2013 comme en 2014, les ARS ont travaillé, notamment dans le cadre des comités de veille active des situations de trésorerie, à résorber les situations les plus compliquées en contractualisant avec les établissements des plans de redressement. Les aides nationales exceptionnelles de soutien aux établissements en difficulté viennent soutenir la mise en œuvre de ces plans et servent en priorité à réduire les dettes non financières.

En 2013 et 2014, les difficultés de trésorerie ont sensiblement diminué. Les situations de rupture brutale de trésorerie ont disparu, la gestion des flux de trésorerie ayant été optimisée et l’utilisation des lignes de trésorerie rationalisée. Les aides exceptionnelles versées par le niveau national ont été revues à la baisse. Il ressort que le dispositif mis en place a permis de sensibiliser les ARS et les établissements aux enjeux d’une meilleure gestion de la trésorerie dans un contexte de désengagement des banques dans le financement de court terme. Le dispositif se poursuit en 2015.

L’accès au crédit de court terme pour les hôpitaux est un sujet controversé : un rapport de l’IGF de mars 2013 préconisait de supprimer cet accès. Ce point qui pose une question de principe est évoqué infra.

Depuis 2013, est constatée une rationalisation de l’utilisation des lignes de trésorerie. Les plafonds de tirage autorisés par les établissements de crédit pour 2013 s’élevaient à 1,75 milliard d’euros contre un plafond estimé à 3 milliards d’euros en 2011. En outre, les montants tirés à fin d’année sont passés, selon les données fournies par la DGFiP, de 1,1 milliard d’euros à 400 millions d’euros entre 2011 et 2013.

2. Des inégalités croissantes entre établissements pour financer les investissements de modernisation ou de renouvellement

Après une période de rétractation des liquidités bancaires, court et long terme, au cours des exercices 2011 et 2012, le marché est revenu à peu près à la normale.

Les hôpitaux ont un recours à l’emprunt en baisse régulière depuis 2009, le montant emprunté étant passé de 5 à 3 milliards d’euros entre 2009 et 2013. La pression sur le marché est donc moindre et les banques de nouveau en forte concurrence entre elles. En 2014, la tendance baissière se confirme.

L’offre bancaire s’est fortement réorganisée en 2012 et 2013, avec le retrait des banques classiques (Dexia, Crédit Agricole et Société Générale) et l’arrivée de deux nouveaux acteurs, la Caisse des dépôts et consignations et la Banque Postale (LBP). Ces deux établissements ont pénétré le marché des prêts aux hôpitaux à « marche forcée » et ont permis de diversifier l’offre et d’abaisser les conditions financières. En parallèle, la Banque européenne d’investissement (BEI) a ouvert une enveloppe de financements intermédiés dédiés au secteur hospitalier, ce qui a donné un signal positif pour ce marché.

Lors de leur audition devant la mission, les consultants de Finance active ont souligné que la part des financements alternatifs avait tendance à croître comme celle du financement obligataire, celle de la Banque européenne d’investissement (BEI), et tout particulièrement celle de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qui a augmenté de manière importante sur la même période, ce qui traduit une intervention déterminante des pouvoirs publics. L’une des conséquences en est toutefois maintenant que les banques acceptent de financer certains établissements à condition que la CDC s’engage elle-même à le faire
– celle-ci apparaissant comme un déclencheur nécessaire.

Certains analystes considèrent qu’il y a un excès d’offre sur le marché du financement du secteur public local, où les offres des banques représentent entre 25 et 30 milliards d’euros, mais la plus grande part est consacrée aux collectivités locales alors que les établissements de santé ne « profitent » que d’une part excédentaire de 2 à 2,5 milliards d’euros.

Il faut par ailleurs distinguer deux marchés à l’intérieur de ce marché apparemment en excès d’offre. D’un côté, les grands établissements hospitaliers, relativement en meilleure santé que les autres, peuvent mettre les banques en concurrence, bénéficier des financements de la CDC, de ceux de la BEI au titre des grands projets, éventuellement d’un financement obligataire. Ils pourront donc bénéficier de cette liquidité excédentaire. À l’inverse, les plus petits établissements, en difficulté, rencontrent beaucoup de difficultés à trouver des financements. Certains sont même obligés de reporter des projets d’investissement, comme la rapporteure a pu le constater sur place.

Ainsi, pour M. Mathieu Colette de Finance active, l’accès au crédit risque de devenir plus inégalitaire selon les établissements : « même si la liquidité est disponible et assez peu onéreuse aujourd’hui, un marché à deux vitesses est en train de se créer, si bien que le retour de la concurrence sur ce marché ne bénéficie pas à tout le monde. »

Il semble que le recours au crédit est un peu plus difficile pour les établissements publics de santé que pour les collectivités. Même ceux qui arrivent à boucler leurs appels d’offres sont obligés de s’adresser à plusieurs banques. Par exemple, un établissement qui recherche 10 millions d’euros recevra 2 millions d’euros de la Caisse d’épargne, 2 millions du Crédit Agricole, 4 millions d’euros de la CDC, etc. C’était tout à fait différent en 2007, où il y avait une surabondance d’offres. Aujourd’hui, les établissements, même les plus gros, sont obligés de panacher, et certains établissements plus petits ne trouvent pas de financement et sont obligés de reporter les investissements – même si ce n’est pas la majorité.

II. UNE MEILLEURE PROGRAMMATION DES INVESTISSEMENTS ET UN ASSAINISSEMENT FINANCIER SONT INDISPENSABLES POUR CONFORTER LE SERVICE PUBLIC HOSPITALIER

Face à la dégradation des finances des établissements publics de santé, le Gouvernement a pris des mesures pour mieux encadrer les décisions d’investissement et le recours à l’emprunt. Ces premières mesures doivent être confortées et complétées pour parvenir à une meilleure programmation des investissements et à dégager des financements qui n’hypothèquent pas l’avenir.

A. LES PREMIÈRES MESURES POUR ENCADRER LE CHOIX ET LE FINANCEMENT DES INVESTISSEMENTS HOSPITALIERS DOIVENT ÊTRE CONFORTÉES

1. Mieux cibler et évaluer les projets d’investissement

Afin de mieux encadrer les opérations d’investissement, le gouvernement a pris un certain nombre de mesures depuis 2011 pour mieux suivre les projets. En partenariat avec les ARS, la DGOS a mis en place une démarche de revue annuelle des plans nationaux d’investissement afin de s’assurer de la bonne exécution des projets et de l’adéquation des financements proposés.

La première circulaire en ce sens a été l’instruction DGOS/PF1/MSIOS n° 2010-460 du 27 décembre 2010 relative à l’organisation des revues de projets des plans nationaux d’investissement 2011.

Dans cette instruction (10) était précisée la nature des investissements concernés par cet inventaire.

Pour le volet immobilier, les revues de projets concernaient les opérations de la première tranche du plan Hôpital 2012, les opérations du plan Hôpital 2007 non livrées, le plan de santé mentale PRISM, ainsi que les opérations des autres plans d’investissement (UMD (11), UHSA (12)). Pour le volet système d’information (SI), elles concernaient les projets de la première tranche du plan Hôpital 2012.

Pour faciliter ce recensement et l’exploitation des données recueillies, un outil informatique a été créé, intitulé : dossier de revue projet investissement. Chaque établissement hospitalier devait compléter une grille informatique où étaient décrites les caractéristiques suivantes des projets d’investissement :

– présentation du projet, regroupant les données relatives aux informations générales du projet, et le suivi des conditions suspensives de validation ;

– avancement du projet : calendriers prévisionnels et réalisés, avancement physique du projet, suivi des dépenses et évolution des surfaces ;

– suivi du financement du plan : tableau de financement du projet et suivi des financements, subvention du fonds pour la modernisation des établissements de santé publics et privés (FMESSP), délégations de crédits par les établissements.

Les ARS devaient renseigner les données sur la délégation de crédits et le plan de financement,

La DGOS devait, quant à elle, regrouper les données financières et créer des fiches de projet. Elle devait aussi élaborer des tableaux de bord permettant de suivre l’avancement des projets, y compris financier, ainsi que des synthèses régionales.

Chaque projet devait être classé selon trois catégories :

– les projets sans observations ;

– les projets à surveiller ;

– les projets à risques.

La dernière circulaire parue relative aux investissements souligne les réformes apportées depuis 2011. L’instruction DGOS du 13 février 2014 précise ainsi que la stratégie de soutien à l’investissement en santé a pour objectif de « mieux insérer les projets d’investissement dans les territoires » et que les investissements doivent « être mis au service du parcours des patients ». Cette stratégie doit intégrer les investissements immatériels via les programmes « hôpital numérique » et « territoires de soins numériques ».

Cette approche territoriale et transversale des investissements est formalisée et mise en œuvre par les ARS dans le cadre des schémas régionaux des investissements en santé (SRIS) dont une première version a été produite en 2013 et qui seront enrichis progressivement.

L’instruction rappelle aussi que, dans ce cadre, une révision du pilotage des investissements portés par les établissements de santé a été engagée autour de deux principes directeurs, tendant à :

– conduire un effort régulier d’investissement de l’ordre de 4,5 milliards d’euros par an pour soutenir la modernisation continue de l’offre de soins sans recourir à des plans de relance ;

– centrer la politique nationale d’intervention pilotée par le COPERMO (Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soin) sur un nombre limité de projets particulièrement structurants. Le montant des investissements aidés au niveau national était fixé à titre indicatif à 300 millions d’euros pour l’année 2014.

Cette nouvelle procédure s’accompagne également d’un effort d’évaluation de ces investissements publics.

L’évaluation des projets

Le décret n° 2013-1211 du 23 décembre 2013, relatif à la procédure d’évaluation des investissements publics, pris en application de l’article 17 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 du 31 décembre 2012, crée une nouvelle procédure d’évaluation pour les projets d’investissements de l’État, de ses établissements publics et établissements publics de santé.

Pour tous les projets d’investissement publics dont le montant est supérieur à 20 millions d’euros, la réalisation d’une expertise socio-économique, communicable à sa demande au Commissaire Général à l’Investissement, est rendue obligatoire.

En outre, pour les projets d’investissement dont le montant excède 100 millions d’euros, une contre-expertise socio-économique, produite par un tiers indépendant nommé par le Commissaire Général à l’Investissement, doit être réalisée.

La principale nouveauté de cette procédure tient au fait qu’elle s’applique à l’ensemble des investissements publics quel que soit leur mode de réalisation alors que, jusqu’à présent, la procédure d’évaluation préalable en vigueur était réservée aux seuls projets réalisés en contrat de partenariat public-privé (PPP).

L’évaluation préalable introduite par l’ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 prévoyait en effet une justification du contrat de partenariat. Dans ce cadre, les projets devaient faire l’objet d’une analyse comparative de faisabilité juridique, technique et financière, incluant une analyse des risques, des modes de portage envisageables, ainsi que la justification du recours à ce mode dérogatoire de la commande publique. Toutefois, l’évaluation préalable ne permettait pas de se prononcer sur le bien-fondé économique d’un projet. Elle visait à comparer et à justifier le mode contractuel retenu.

Un autre texte est venu renforcer le mécanisme d’évaluation en amont. Le décret n° 2012-1093 du 27 septembre 2012 a étendu de manière significative l’évaluation préalable pour les projets à réaliser en contrat de partenariat, bail emphytéotique hospitalier ou autorisation d’occupation temporaire, par une analyse des conséquences budgétaires du projet d’investissement sur les finances du porteur du projet.

Suite aux difficultés générées par des décisions d’investissement sans réflexion aboutie sur leurs modalités de financement, le décret du 23 décembre 2013 précité apporte une nouvelle dimension à la démarche de l’État en tant qu’investisseur. Les décrets précédents encadrant le recours aux PPP au stade où la décision d’investissement était déjà prise par les donneurs d’ordres publics, les études consistaient donc à choisir le mode de portage et à vérifier la soutenabilité budgétaire du projet pour la personne publique considérée. Ce nouveau décret impose, à partir de 20 millions d’euros de financement, l’étude de variantes et alternatives au projet, une analyse des risques ainsi qu’une étude de la performance et de l’utilité du projet. L’attention porte donc à présent sur la pertinence de l’investissement, quel que soit son mode de portage. Le législateur a voulu introduire une réflexion en amont visant à mieux orienter l’investissement public vers les projets les plus pertinents au regard de leur utilité socio-économique.

Ce décret distingue le type d’analyse à réaliser en fonction du montant de financement public apporté par les personnes morales. Les seuils déterminant la procédure à conduire sont les suivants :

– montant inférieur ou égal à 20 millions d’euros ;

– montant supérieur à 20 millions d’euros ;

– montant de financement supérieur à 100 millions d’euros et dont la participation des autres personnes morales que l’établissement porteur du projet dépasse 5 % du financement global.

Les seuils sont ainsi appréciés en tant que niveau de financement public par les personnes morales et non en fonction du montant d’investissement total du projet, ce qui permet d’inclure dans le champ de l’étude des projets portés par des tiers (collectivités territoriales par exemple) dont le financement est en partie assuré par l’État ou les établissements publics de santé ou les structures de coopération sanitaires.

Pour les projets inférieurs à 20 millions d’euros de financement public, l’évaluation socio-économique est obligatoire, mais le décret ne donne pas de précisions sur le contenu du dossier d’évaluation ; il est uniquement précisé que l’évaluation doit permettre de déterminer les coûts et bénéfices attendus des projets concernés.

Pour les projets d’au moins 20 millions d’euros de financement public, la procédure se déroule en deux étapes. Dans un premier temps, il est demandé d’informer en amont de toute dépense, en dehors des frais d’études préalables, le Commissaire général à l’investissement par une description générale du projet incluant des informations sur son financement.

Dans un deuxième temps, il est demandé de réaliser l’étude d’évaluation socio-économique dont le contenu précisé par ledit décret inclut les éléments suivants :

– exposé détaillé du projet d’investissement intégrant les variantes et alternatives au projet ;

– dimensionnement et calendrier de réalisation ;

– indicateurs socio-économiques pertinents ;

– analyse comparée des modes de financement ;

– analyse des risques juridiques ;

– cartographie des risques.

Le décret ne précise toutefois pas le contenu attendu pour chaque critère, notamment ceux relatifs aux indicateurs socio-économiques et de performance dont le choix est laissé aux personnes morales initiatrices du projet.

Le dossier d’évaluation socio-économique n’est transmis au Commissaire général à l’investissement que sur demande de ce dernier. Cependant, il est demandé de déclarer à l’inventaire annuel de ce dernier l’ensemble des projets supérieurs à 20 millions d’euros de financement.

Instauration d’une contre-expertise au rapport socio-économique

Pour les projets supérieurs à 100 millions d’euros, et sauf si la nature des travaux à réaliser concerne une mise en conformité avec les normes de sécurité, le décret rend obligatoire une contre-expertise indépendante de l’évaluation. Cette contre-expertise est également obligatoire dans le cas où pour des projets portés par des tiers, la participation financière des personnes morales représente plus de 5 % du financement. Le décret précise que la contre-expertise est réalisée dans un délai maximal de quatre mois par un expert désigné par le Commissaire général à l’investissement. Les modalités de désignation de l’expert ne sont quant à elles pas précisées, ce qui pose la question des modalités de contrôle par le Commissaire général à l’investissement et de la garantie de l’indépendance des experts nommés.

À l’issue de la contre-expertise, le Commissaire général à l’investissement émet un avis qui fait l’objet d’une transmission au Premier ministre. Le ministre chargé de la santé, exprime alors les suites qu’il souhaite donner à l’avis exprimé par le Commissaire général à l’investissement.

L’ensemble des frais d’expertise et de contre-expertise sont à la charge de la personne publique porteuse du projet.

Le caractère public du rapport d’expertise et de contre-expertise

Une particularité du décret réside également dans le caractère public du rapport d’expertise et de contre-expertise.

Le décret prévoit la réalisation d’un inventaire des projets supérieurs à 20 millions d’euros de financement qui fait l’objet d’une publication synthétisée au sein du rapport annuel du commissariat général à l’investissement. Le décret ne précisant pas les éléments de synthèse qui doivent figurer au sein du rapport, il y a lieu de s’interroger sur l’impact de cette publication sur la conduite des négociations dans le cadre de la réalisation des projets.

Par ailleurs, pour les projets dont le montant est supérieur à 100 millions d’euros, et s’ils sont soumis à enquête publique, le rapport de contre-expertise et l’avis du Commissaire général à l’investissement sont versés au dossier d’enquête publique.

2. Le rôle du COPERMO

Pour garantir des décisions optimales en matière d’offre de soins, le Gouvernement a décidé en 2013 de créer le Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (COPERMO).

Ce comité a deux fonctions qui sont fortement imbriquées : il évalue les projets d’investissements et décide du montant des subventions d’investissement mais il a aussi pour mission d’aider les établissements de santé à améliorer leur performance (qualité, efficience économique, modernisation de l’offre de soins…). Ces deux fonctions sont étroitement liées car certains conseils reçus dans le cadre de l’accompagnement à la performance auront une traduction en termes d’investissement. Dans certains cas, comme pour l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille le respect du plan de retour à l’équilibre, négocié par le COPERMO dans son volet performance, conditionnera l’examen ultérieur des projets d’investissement devenus éligibles car la trajectoire financière de l’investissement se sera améliorée.

a. Les projets d’investissement

Pour l’aspect investissement, il s’agit d’améliorer la prise de décision en matière d’investissements des établissements de santé aussi bien en termes de soutenabilité financière et de juste dimensionnement que de valeur ajoutée pour l’offre de soins.

Le COPERMO a aussi pour mission de recommander les mesures nécessaires au retour à l’équilibre financier de certains établissements en difficulté.

La circulaire interministérielle DGOS/PF1/DSS/DGFiP n° 271 du 5 juin 2013 relative à la mise en place du Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers fixe ainsi les objectifs prioritaires :

– valider, en lien avec les ARS, les projets d’investissement, les modalités de leur réalisation et la trajectoire financière correspondante ;

– diffuser les référentiels et les outils susceptibles de faire progresser les modalités d’évaluation des projets et de favoriser la mise en œuvre des SRIS par les ARS ;

– assurer la coordination des programmes nationaux d’amélioration de la performance des établissements de santé (programme PHARE, gestion des lits, projets performance…) ;

– arrêter, en lien avec les ARS, les modalités du retour à l’équilibre financier des établissements les plus en difficulté et du respect de la trajectoire fixée.

Ce comité s’est substitué au comité des risques financiers, au comité national de validation des projets d’investissement et au comité de pilotage des projets performance.

Son originalité est de rassembler des spécialistes des questions hospitalières et des finances publiques. Il est composé en l’espèce des personnes suivantes :

– le secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales ;

– le directeur général de l’offre de soins ;

– le directeur de la sécurité sociale ;

– le directeur général des finances publiques ;

– le directeur du budget ;

– le directeur de la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés ;

– le chef de l’inspection générale des affaires sociales ;

– le délégué général à l’Outre-Mer ;

– le directeur général de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux ;

– le Commissaire général à l’investissement.

Le comité peut décider de recourir à des personnalités qualifiées ne disposant pas de voie délibérante, en fonction des sujets abordés, notamment des personnalités qualifiées dans le domaine des investissements hospitaliers.

La Direction générale de l’offre de soins assure le secrétariat du comité.

Les décisions du comité sont préparées sous la responsabilité d’un groupe technique interministériel.

Le COPERMO intervient pour les projets suivants portés par les établissements de santé :

– À titre principal, les projets d’un montant supérieur à 50 millions d’euros HT de travaux quel que soit leur mode de financement.

– À titre exceptionnel, les projets d’un montant inférieur à 50 millions d’euros HT de travaux et pour lesquels les ARS jugent que le plan de financement ne peut manifestement pas être équilibré sans un soutien national sous forme de subventions ou de conditions d’emprunt préférentielles.

La procédure applicable devant le COPERMO

– Le rôle des ARS dans l’évaluation socio-économique préalable

Le processus d’évaluation socio-économique préalable des projets d’investissement est de la responsabilité des services de la DGOS, qui en assure la supervision en lien étroit avec les ARS et les établissements concernés.

Cette évaluation socio-économique, validée par l’ARS considérée, doit répondre a minima aux objectifs suivants :

– vérifier la justesse du dimensionnement capacitaire du projet d’investissement. Une attention particulière doit être accordée par les ARS aux hypothèses d’activité sous-jacentes au programme capacitaire proposé par l’établissement, tenant compte de l’évolution des modes de prise en charge, notamment en faveur de l’ambulatoire ;

– vérifier l’opportunité du projet au regard de l’organisation territoriale de l’offre de soins. L’ARS doit s’assurer de la nécessité du projet et de son dimensionnement envisagé au regard de l’offre de soins dans les domaines d’activité concernés, des projets d’investissements et du patrimoine des autres établissements du territoire ;

– vérifier la pertinence de la conception technique du projet, notamment de son organisation spatiale et fonctionnelle ainsi que la conformité et la pertinence du dimensionnement physique des locaux et des circulations au regard des référentiels et outils de l’ANAP ;

– garantir la soutenabilité financière du projet, en s’assurant notamment que l’établissement mobilise au maximum l’autofinancement et que le niveau d’endettement prévu dans le plan de financement du projet est acceptable, compte tenu de la marge brute non aidée de l’établissement.

Cette démarche d’évaluation doit s’articuler avec la mise en place des schémas régionaux de l’investissement en santé (SRIS), de façon à garantir que les projets soutenus par les ARS sont performants non seulement pour l’établissement concerné mais surtout du point de vue de la réponse au besoin territorial. Ils doivent s’insérer dans l’offre de soins, d’accompagnement social et médico-social sans générer de surcapacités coûteuses pour les finances publiques. Ils doivent être financièrement soutenables par les établissements qui les portent. Enfin, leur conception doit répondre aux exigences de qualité architecturale et environnementale en vigueur. La démarche d’élaboration du SRIS doit ainsi permettre de hiérarchiser et d’analyser les priorités de soutien parmi l’ensemble des projets hospitaliers déjà recensés notamment en vue d’un examen par le COPERMO.

– Concernant le stade d’avancement des projets soumis au COPERMO :

Les décisions du comité sont prises pour des projets pour lesquels aucun ordre de service n’a encore été passé par l’établissement. Les projets doivent donc être soumis au plus tard durant la phase de pré-programmation et en tout état de cause avant la passation des contrats de maîtrise d’œuvre ou des contrats avec le groupement entreprises et maîtrise d’œuvre en cas de conception-réalisation.

Le COPERMO juge d’abord de l’éligibilité du projet, après transmission par l’ARS à la DGOS du dossier d’évaluation socio-économique préalable.

La première décision (éligibilité) a pour objectif de valider l’entrée du projet dans le dispositif. Cette décision ne contient pas d’engagement ni sur la validation finale ni sur le montant de l’engagement financier.

En vue de la seconde décision (validation) du comité, l’ARS transmet à la DGOS un dossier d’évaluation socio-économique préalable complété au regard des remarques formulées par le COPERMO à l’occasion de la décision d’éligibilité initiale. C’est sur la base de ce dossier que se fondera soit la contre-expertise indépendante pour les projets d’un montant de travaux supérieur à 50 millions d’euros HT, soit l’analyse du groupe technique pour les projets d’un montant de travaux inférieur à 50 millions d’euros HT.

– Pour l’ensemble des projets, la décision d’éligibilité est prise au regard des critères suivants :

– le degré de maturité : les projets doivent pouvoir être soumis à une évaluation préalable ;

– le soutien de l’ARS matérialisé par l’inscription du projet dans les priorités du SRIS dès leur établissement ;

– le caractère d’urgence notamment au regard des mises aux normes de sécurité exceptionnelles.

– Pour les projets de moins de 50 millions d’euros HT de travaux :

– le respect du principe de subsidiarité : les projets doivent justifier une intervention nationale ;

– l’opportunité d’une aide nationale au regard de la situation financière de l’établissement, de l’effort d’autofinancement de l’établissement, de la disponibilité de financements régionaux.

– La deuxième décision (validation) consiste à émettre un avis sur la réalisation ou non du projet et le cas échéant de formuler une recommandation sur le montant de l’accompagnement financier consenti par l’État.

Les aides à l’investissement sont octroyées :

– en tenant compte de la situation financière de l’établissement. Les aides sont prioritairement attribuées aux établissements dont la situation financière est dégradée et ne leur permet pas de faire face à des investissements de sécurité. Une aide ne sera octroyée que s’il est établi que l’établissement ne peut supporter le coût du projet malgré les gains de productivité qui en sont attendus, l’optimisation de sa situation patrimoniale et les gains d’efficience obtenus dans le cadre du retour à l’équilibre financier et si l’ARS a mobilisé l’ensemble de ses marges de manœuvre ;

– sous condition de leur compatibilité avec le cadrage financier d’ensemble et de la trajectoire de l’ONDAM qui ne permet de financer qu’un nombre très limité de projets.

Dans le cas de l’attribution d’une aide, l’établissement bénéficiaire doit respecter les conditions validées par le COPERMO (coût, calendrier, surfaces, hypothèses de gains). Ces dernières font l’objet d’une notification détaillée dont le respect conditionne les délégations des crédits. Le projet est suivi tous les ans dans le cadre des revues de projets d’investissement afin de surveiller la trajectoire définie.

Le premier bilan de l’action du COPERMO

Depuis sa création, le COPERMO a validé 29 projets pour un montant d’investissement évalué à 3,266 milliards d’euros.

La rapporteure a pu rencontrer la cellule de la DGOS qui étudie les dossiers qui feront l’objet d’une décision du COPERMO. Il est apparu que les dossiers soumis font l’objet d’un long travail de redéfinition entre l’établissement, l’ARS et la cellule compétente de la DGOS, ce qui conduit à améliorer le contenu des projets notamment pour mieux dimensionner les travaux immobiliers ou pour « densifier » l’offre de soins suite à une réorganisation des services.

Cette phase d’instruction permet de replacer le projet d’investissement dans un contexte plus large et de voir comment il s’intègre dans l’offre de soins de proximité. Il s’agit d’un travail largement interministériel, l’IGAS participant par ailleurs systématiquement à l’analyse des dossiers notamment pour apprécier les questions de projets médicaux. Le Commissariat général à l’Investissement permet une analyse extérieure avec le recours à la fois à des experts issus du milieu hospitalier mais aussi à des économistes ayant des compétences plus financières.

Un exemple : La procédure devant le COPERMO
de la reconstruction du CHU de Rouen

L’examen du dossier du CHU de Rouen permet d’analyser comment un projet initial est amélioré au cours de la procédure devant le COPERMO et quel peut être l’apport de la contre-expertise du Commissariat général à l’investissement.

Le projet de restructuration du CHU fait suite à de premiers travaux importants réalisés dans le cadre du plan Hôpital 2007 et intervient après un plan de retour à l’équilibre qui a démontré la capacité de l’établissement à suivre un plan d’économies sur plusieurs années.

Le projet consiste à regrouper les activités de court séjour sur un seul site ainsi que les activités externes (consultations, explorations…) L’objectif est aussi de réduire le nombre de lits (réduction de 118 lits sur 848 avant travaux) en développant la chirurgie ambulatoire (dont le nombre de places passerait ainsi de 83 à 132) Il est prévu la construction d’un nouveau plateau technique lourd et mutualisé. Les locaux dégagés par le regroupement du court séjour seraient transformés en un établissement de soins de suite. Au total la surface utile de l’établissement serait réduite de 66 532 m² à 56 032 m².

Lors de l’examen de l’éligibilité du projet, il a été demandé à l’établissement de présenter les scénarios alternatifs à celui retenu, de préciser le devenir des locaux libérés avec la possibilité ou non de cessions, Le premier projet présenté a été jugé insuffisant dans sa réduction capacitaire et les objectifs de développement de la chirurgie ambulatoire pas assez ambitieux. Il était aussi demandé des précisions sur l’évolution des outils informatiques envisagés avec présentation des gains d’efficience attendus. Enfin il était demandé de prévoir un cadre pour optimiser la fonction achat notamment durant la période des travaux.

La contre-expertise du CGI a noté un réel effort d’optimisation du coût des travaux qui sont passés de 147 à 122 millions d’euros et la rigueur avec laquelle les travaux qui doivent s’étaler sur 9 ans ont été décomposés en trois phases, ce qui permettra d’évaluer la tenue des engagements pris lors de chaque phase et d’éventuellement en reconfigurer certains aspects. Le CGI a insisté sur la nécessité d’adapter la politique de recrutement avec l’avancée des travaux et de tenir compte des gains de productivité avec le regroupement des blocs opératoires par exemple. Il a été proposé de conditionner le versement échelonné des aides à l’investissement au respect du plan d’économies et de réorganisation des services.

Le CGI a souligné la durée très longue des travaux qui peut entraîner un certain dérapage dans le coût et les délais et a considéré que le récent redressement financier de l’établissement rendait la situation délicate. La conduite de ce projet devra donc se faire avec une grande prudence pour éviter que l’endettement ne s’accroisse au-delà du plan initial. Le projet de cession immobilière devra être mené à bien pour ne pas déséquilibrer le plan financier.

La décision finale du COPERMO a donc été d’accorder une aide à l’investissement représentant 15 % de l’investissement soit 22 millions d’euros (au lieu des 29 millions d’euros demandés). Cette aide sera versée pour 50 % sous forme de capital et pour 50 % sous la forme d’un emprunt aidé sur vingt ans.

Au total, ce projet permettra de conforter la modernisation de l’offre de soins et de positionner le CHU de Rouen comme centre hospitalier de référence. La qualité des soins sera améliorée et la densification de l’offre sera tout à fait notable par rapport au projet initial. 118 postes devraient être économisés, 8 blocs opératoires sur 36 seront supprimés pour une capacité opératoire supérieure. Les coûts de fonctionnement devraient être maîtrisés avec une réduction de 8,5 % de la surface et une masse salariale gérée de manière rigoureuse.

b. L’amélioration de la performance des établissements de santé

Les établissements rencontrant de graves difficultés financières pourront faire l’objet d’un suivi par le COPERMO. Concernant le suivi individuel de certains établissements, le comité conduit sa mission dans le strict respect du principe de subsidiarité, c’est-à-dire en traitant uniquement des situations pour lesquelles une intervention de l’échelon national est absolument nécessaire et utile et dans le respect des missions confiées aux ARS, échelon de droit commun pour traiter ces sujets.

La supervision nationale est réservée aux situations les plus complexes et à fort enjeu.

Le comité intervient ainsi en priorité pour les établissements ayant un budget annuel supérieur à 80 millions d’euros.

La sélection des établissements s’appuie par ailleurs notamment sur les indicateurs issus du dispositif du réseau d’alerte mis en place par la DGOS et la DGFiP (13), ainsi que sur la liste des établissements suivis dans le cadre du comité de veille active sur la situation de trésorerie.

Pour solliciter l’expertise du COPERMO, l’ARS compétente établit un diagnostic des difficultés du centre hospitalier et arrête un plan d’actions avec des mesures de retour à l’équilibre. Ce plan est préparé en concertation avec l’établissement concerné. Le diagnostic est conduit sur la base d’une méthodologie commune comprenant une synthèse de la situation de l’établissement portant notamment sur les thèmes suivants :

– le positionnement dans le territoire ;

– l’évolution des activités ;

– l’attractivité ;

– la qualité et la sécurité et des soins, notamment le positionnement de l’établissement dans la procédure de certification par la Haute Autorité de santé ;

– la performance des organisations et des prises évaluées par rapport aux référentiels nationaux existants ;

– la gestion des ressources humaines ;

– la situation budgétaire et financière actuelle et les perspectives financières intégrées dans le plan global de financement pluriannuel.

Ce diagnostic a pour principal objectif de déterminer l’effort budgétaire attendu de l’établissement pour parvenir à un équilibre financier structurel. Il doit permettre d’aboutir à la conclusion d’un plan d’actions fixant des objectifs précis et évaluables et garantissant l’atteinte du niveau de marge brute d’exploitation nécessaire à la soutenabilité de la charge de la dette et des investissements courants. Pour l’élaboration de ce plan, les établissements peuvent bénéficier d’un appui de l’ANAP.

La décision du comité doit permettre de fixer la trajectoire de redressement à court terme (3 ans) et de déterminer les jalons annuels ou infra-annuels que doit respecter l’établissement pour atteindre la cible fixée c’est-à-dire le retour à l’équilibre financier structurel.

L’instruction précitée liste les axes clefs pour parvenir à établir un plan de redressement.

Elle indique également que la mise en œuvre de mesures de redressement doit prioritairement porter sur des économies. Les recettes supplémentaires issues du développement d’activité doivent être précisément justifiées par l’ARS et l’établissement en fonction du contexte territorial.

Tout au long du processus de retour à l’équilibre des établissements, les comités régionaux de veille active interviennent notamment pour surveiller les plans de trésorerie des établissements afin d’éviter tout incident de paiement et de veiller à ce que les établissements paient leurs dettes à leur échéance.

Ces établissements ainsi suivis au plan national le sont également au niveau régional pour mener à bien leur redressement. Le plus souvent, dans le mois qui suit la réunion du comité, le plan d’actions fait l’objet d’un avenant au contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) passé entre l’ARS et l’établissement. Les engagements pris au titre du retour à l’équilibre financier des établissements correspondent à la mise en œuvre d’un plan de redressement. L’avenant ainsi signé se substitue aux contrats de retour à l’équilibre financier (CREF) déjà mis en œuvre le cas échéant.

Un rapport trimestriel est réalisé par l’ARS sur l’exécution du plan d’actions et des contrôles sur pièces et sur place sont réalisés systématiquement par l’IGAS dans un délai de 6 mois après la conclusion du contrat pour apprécier l’efficience des actions engagées par l’établissement sur sa situation présente et son évolution potentielle.

Si un écart substantiel est constaté avec la trajectoire fixée, l’IGAS peut intervenir dans une mission d’assistance renforcée.

3. Les schémas régionaux d’investissement en santé pour hiérarchiser les priorités

Certains projets d’investissement ont été financés alors qu’ils étaient manifestement surdimensionnés car les ARS ne disposaient pas d’outils de planification pour déterminer les projets d’investissements prioritaires.

L’instruction DGOS/PF1/DGCS n° 216 du 28 mai 2013 relative au cadrage général de la démarche d’élaboration du schéma régional d’investissement en santé (SRIS) explique les raisons pour lesquelles ces nouveaux instruments de planification ont été mis en place, de façon à garantir la meilleure allocation des ressources et contribuer à la bonne prise en charge de chaque personne, malade ou en perte d’autonomie, au coût le plus faible et pour le meilleur résultat possible en termes de qualité.

Cette démarche stratégique et transversale, placée sous la responsabilité des agences régionales de santé (ARS), concerne l’ensemble des acteurs de l’offre de soins au cours des dix prochaines années, dans les domaines de l’immobilier, des équipements et des systèmes d’information.

Elle doit garantir que les investissements futurs seront cohérents avec la stratégie nationale de santé et participeront à la qualité des parcours des patients.

Il s’agit, ce faisant, de passer d’une approche déclinée projet par projet à une approche stratégique et territoriale, qui dépasse la dichotomie entre établissements sanitaires et établissements médico-sociaux.

Chaque projet d’investissement devra ainsi être directement mis au service de la politique de santé déterminée dans le projet régional de santé (PRS), répondre à un besoin clairement identifié et tenir compte de l’offre et du patrimoine existants.

Dans cette perspective, l’instruction définit ainsi les SRIS : « les schémas régionaux d’investissement en santé (SRIS) garantiront la mise en cohérence de l’ensemble des investissements à l’échelle d’un territoire. Ces schémas régionaux devront également contribuer à optimiser les décisions d’investissement en fixant à tout projet porté aussi bien par les établissements des secteurs sanitaire et médico-social que par les acteurs des soins de ville, des critères exigeants quant à leur valeur d’usage présente et future et leur contribution à la réponse aux besoins de la population. Ces schémas, enfin, devront assurer la soutenabilité financière de long terme des projets d’investissements, dans le cadre de l’enveloppe nationale dévolue. »

S’agissant de leur contenu, les SRIS comprennent plusieurs parties :

● Un inventaire du patrimoine existant faisant apparaître un bilan des opérations d’investissement réalisées depuis 10 ans ainsi que les capacités foncières ou immobilières mobilisables disponibles pour répondre aux besoins identifiés par les ARS ou par des acteurs de l’offre de soins sanitaire ou médico-sociale.

Tout projet de reconstruction ou de développement d’un établissement de santé devant répondre à des besoins nouvellement identifiés devra par exemple être conditionné à l’analyse des capacités existantes et du potentiel de mobilisation d’investissements déjà réalisés pour y répondre. L’évolution des techniques ou des modalités de prise en charge des patients à l’hôpital (comme la diminution des durées d’hospitalisation en chirurgie ou l’optimisation du fonctionnement des blocs opératoires) doivent être particulièrement analysées pour assurer que les investissements déjà réalisés ne sont pas en mesure de répondre à des besoins futurs.

● Une analyse stratégique des besoins d’investissements menée en référence aux orientations du PRS, fondée sur l’étude des besoins de santé et visant à l’optimisation des parcours des patients. Cette démarche doit conduire à identifier les investissements les plus adaptés pour répondre à ces besoins, quels que soient leur nature (immobilier, équipements médicaux, systèmes d’information) et leur secteur (ville, hôpital, médico-social). Son objectif est de promouvoir dès à présent une approche territoriale des projets d’investissement susceptibles d’être conduits dans les 10 prochaines années par les établissements des secteurs sanitaire et médico-social et par les acteurs des soins de ville tout en tenant compte des investissements déjà réalisés ou en cours.

À titre d’illustration, les besoins d’investissements en faveur de la prise en charge des personnes âgées ou des personnes handicapées, qui peuvent relever des secteurs sanitaire (soins de suite et réadaptation et soins de longue durée) ou médico-social (établissements pour personnes âgées dépendantes, maisons d’accueil spécialisé), doivent être évalués de manière transversale dans le cadre de ces schémas, conformément aux orientations du PRS.

● Une cartographie présentant, par ordre de priorité, l’ensemble des projets programmés sur les champs sanitaire et médico-social comportant notamment des indications synthétiques sur leur opportunité, leur coût et leur plan de financement prévisionnel.

● Une étude d’impact financier global contenant notamment une analyse de la soutenabilité des scénarios au regard de la capacité d’autofinancement actuelle et prévisionnelle des établissements et des structures ainsi que des financements susceptibles d’être mobilisés sur les dotations régionales ou auprès des collectivités territoriales.

Ces nouveaux outils sont encore en voie de gestation car dans beaucoup d’ARS, il n’existe qu’une photographie de l’existant, le travail prospectif restant à mener, mais cette initiative doit être encouragée.

4. Encadrer le recours à l’emprunt de manière optimale

a. Le droit en vigueur

L’ordonnance du 2 mai 2005 simplifiant le régime juridique des établissements de santé a supprimé les emprunts de la liste de leurs décisions soumises à la délibération du conseil d’administration. Le recours à l’emprunt est donc devenu de la seule compétence du directeur. Le conseil de surveillance n’est informé qu’a posteriori des emprunts souscrits par l’établissement.

Suite aux nombreux emprunts toxiques contractés par les établissements hospitaliers et les collectivités locales, des mesures, tout d’abord réglementaires puis législatives, ont cependant été prises pour encadrer plus strictement leur recours à l’emprunt.

Le décret n° 2011-1872 du 14 décembre 2011 et la circulaire interministérielle DGOS-DGFIP n° 195 du 9 mai 2012 relative aux limites et réserves du recours à l’emprunt par les établissements publics de santé ont précisé ces nouvelles règles.

● L’article D. 6145-70 du code de la santé publique crée un régime d’autorisation préalable pour les établissements publics de santé dont la situation financière est caractérisée par au moins deux des trois critères suivants :

– leur ratio d’indépendance financière excède 50 %. Le ratio d’indépendance financière mesure le poids de l’endettement dans l’ensemble des ressources stables ou capitaux permanents (apports, réserves, subventions d’investissement, report à nouveau et provisions) de l’établissement. Cet indicateur mesure le niveau de dépendance financière de l’établissement vis-à-vis de ses prêteurs et permet d’apprécier les marges de manœuvre réellement disponibles ;

– le ratio de durée apparente de leur dette excède 10 ans. Le ratio de durée apparente de la dette rapporte le total de l’encours de la dette à la capacité d’autofinancement (CAF). Il permet de mesurer, au 31 décembre de l’année N, le nombre d’années d’autofinancement qui serait nécessaire pour éteindre l’encours de la dette si l’intégralité de la CAF était consacrée à cet objectif. Cet indicateur permet d’apprécier la capacité d’un établissement à rembourser sa dette, compte tenu des excédents potentiels de trésorerie issus de ses opérations ;

– leur ratio de l’encours de la dette rapporté au total de leurs produits annuels toutes activités confondues excède 30 %.

Le directeur de l’établissement public de santé, dont les ratios répondent aux critères précités, doit obtenir l’accord du directeur général de l’ARS avant de recourir à l’emprunt. La demande porte sur le montant global d’emprunt auquel l’établissement public de santé envisage de recourir au cours de l’exercice budgétaire.

De plus, lorsque la demande d’autorisation n’est pas présentée en même temps que l’état des prévisions de recettes et dépenses (EPRD), le directeur de l’établissement transmet une proposition de mise à jour du dernier PGFP (plan global de financement pluriannuel) approuvé, afin de tenir compte de l’impact prévisionnel de nouveaux emprunts sur l’équilibre financier.

● La deuxième mesure restrictive mise en œuvre par les deux textes précités consiste à proscrire les emprunts reposant sur des mécanismes de financement trop complexes, ceux-là mêmes qui ont abouti à la crise des emprunts toxiques.

– En application de l’article D. 6145-71 du code de la santé publique, les établissements publics de santé peuvent souscrire auprès des établissements de crédit des emprunts à taux d’intérêt fixe ou variable. Les emprunts à taux variable doivent néanmoins répondre à des conditions précises en termes d’indices sous-jacents utilisés et de formule d’indexation pour limiter les risques financiers qui en découlent.

Deux types d’indices sous-jacents sont autorisés, qui peuvent éventuellement se combiner entre eux :

– les emprunts ayant une clause d’indexation sur l’indice du niveau général des prix, ou sur l’indice harmonisé des prix à la consommation de la zone euro, définis à l’article D. 112-1 du code monétaire et financier ;

– les emprunts avec clause d’indexation sur un taux usuel du marché interbancaire, du marché monétaire de la zone euro ou du marché des valeurs de l’État français.

Les emprunts à taux d’intérêt variable souscrits auprès des établissements de crédit par les établissements publics de santé sont autorisés dans deux cas définis à l’article D. 6145-71.

Dans le premier cas, le taux d’intérêt variable est défini comme la simple addition d’un indice usuel (de taux ou d’inflation) et d’une marge fixe exprimée en point de pourcentage.

Dans le deuxième cas, le taux d’intérêt variable est défini par une formule plus complexe. Dans cette hypothèse, l’établissement ne peut souscrire l’emprunt que s’il est prévu un plafond dans la fixation du taux, afin d’éviter une évolution non soutenable du taux variable. Ce plafond est au maximum égal au double du taux d’intérêt nominal appliqué au cours de la première période de l’emprunt.

Par exemple, si la formule de l’emprunt variable implique un taux d’intérêt contractuel de 3 % lors de la première période de remboursement, la formule d’indexation prévue par le contrat d’emprunt doit être plafonnée au maximum à 6 % pour chacune des périodes de remboursement ultérieures.

– Le recours aux « produits dérivés » est aussi strictement encadré.

En application de l’article D. 6145-72 du code de la santé publique, les contrats financiers (dits également produits dérivés) souscrits à l’occasion d’un emprunt bancaire sont autorisés lorsqu’ils sont relatifs à des taux d’intérêt. Les contrats financiers autorisés sont cependant limités à certaines catégories de contrats et doivent répondre à des conditions précises en termes d’indices sous-jacents utilisés et d’évolution des taux d’intérêt.

ÉTABLISSEMENTS SOUMIS À AUTORISATION DE L’ARS
POUR LEUR DÉCISION D’EMPRUNT

Catégorie 2 critères 3 critères 2 ou 3 critères % du total de la catégorie
Assistance publique de Paris 0 0 0 0 %
Hôpitaux de proximité (ex-HL) 47 44 91 27 %
CH (centres hospitaliers), budget < 20 M€ 18 9 27 28 %
CH, budget> 70 M€ 42 38 80 49 %
CH budget 20-70 M€ 44 42 86 43 %
CH Régional 6 9 15 48 %
CH spécialisé 10 4 14 15 %
Groupements de coopération sanitaires 1 0 1 50 %
Divers 13 8 21 48 %
Total général 181 154 335 35 %

Source : Direction générale de l’offre de soins (à partir des comptes 2012).

b. L’amendement au projet de loi de modernisation de notre système de santé limitant le recours aux emprunts en devises ou à taux variables

Lors de la discussion en première lecture à l’Assemblée nationale du projet de loi de modernisation de notre système de santé, les deux coprésidents de la MECSS ont présenté un amendement visant à limiter, pour les établissements publics de santé, la possibilité de recourir aux emprunts en devises ou à taux variables.

Cet amendement, adopté en commission des Affaires sociales, prévoit d’étendre aux établissements de santé les dispositions restrictives adoptées pour les collectivités territoriales, elles aussi très affectées par la souscription d’emprunts toxiques.

Les dispositions adoptées pour les collectivités territoriales à l’initiative du précédent rapporteur général de la commission des Finances de notre Assemblée, avec l’article L. 1611‑3‑1 du code général des collectivités territoriales, ont été adaptées au cas des hôpitaux publics.

Il apparaît en effet que, sur les 30 milliards d’euros de dette des hôpitaux publics, les emprunts toxiques représentent de l’ordre d’un milliard et demi d’euros de capital restant dû, et au moins autant en termes de coût de sortie de ces emprunts. La récente décision des autorités monétaires helvétiques en janvier dernier d’abandonner la défense d’une parité fixe du franc suisse contre l’euro a eu pour conséquence immédiate de renchérir considérablement les frais financiers dus au titre d’un certain nombre de ces emprunts toxiques, dont les formules d’indexation tenaient compte de cette parité. Par ailleurs, un certain volume d’emprunts avaient été contractés par des hôpitaux en francs suisses, avec un relèvement consécutif immédiat de leur valeur en euros.

Il convenait donc, sans délai et sans attendre les conclusions du présent rapport, d’interdire, pour l’avenir, aux hôpitaux publics de contracter à nouveau de tels emprunts toxiques, en s’inspirant, tout en les rendant plus rigoureuses encore, des règles prévues pour les collectivités territoriales. Il importait notamment d’exclure la possibilité pour les hôpitaux d’emprunter en devises, cette faculté n’ayant pas lieu d’être pour cette catégorie de personnes morales publiques dont la politique de financement doit être particulièrement encadrée.

Ce dispositif, devenu article 26 bis du projet de loi précité, a été adopté par l’Assemblée nationale sous forme d’un nouvel article L. 6145-16-1 du code de la santé publique, qui interdit les emprunts en devises et impose que les emprunts à taux variables répondent à ces critères de simplicité ou de prévisibilité des clauses financières pour les hôpitaux qui les souscrivent, et renvoie la définition de ses conditions d’application à un décret simple.

B. MIEUX PROGRAMMER LES PROJETS D’INVESTISSEMENT

1. Permettre un financement régulier des investissements

Le gouvernement a pris conscience des graves conséquences des plans hôpitaux de 2007 et 2012 qui ont favorisé des vagues massives d’investissements et encouragé le surdimensionnement de certains projets. Depuis 2011, la doctrine du ministère chargé de la santé est clairement d’éviter ces mouvements de stop and go tout en veillant à ce que les établissements puissent financer un flux régulier d’investissements.

Même si cette prise de conscience est indéniable, de nombreux établissements ont du mal à assurer le renouvellement de leurs investissements courants.

La rapporteure partage la recommandation présentée par M. Christian Béréhouc, directeur associé de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), lors de son audition devant la MECSS. Celui-ci a ainsi proposé de « sanctuariser » ce qui est du domaine des investissements courants, de la maintenance, du gros entretien, « en fixant un minimum de 3 % du budget, au-dessous duquel on considère que l’établissement prend un risque de dégradation à terme de son patrimoine. Il faut fixer un seuil évitant à l’établissement d’arriver, après dix ans d’incurie, à une dégradation telle qu’il faille nécessairement tout reconstruire. »

Durant ses déplacements, la rapporteure a recueilli plusieurs témoignages, notamment de soignants, qui lui ont expliqué, comme à Roanne, que le laboratoire de biologie était devenu totalement obsolète. Ce blocage du renouvellement des équipements conduit d’ailleurs à des décisions qui peuvent paraître anti-économiques car certains appareils plus modernes seraient rapidement amortis en permettant de faire des économies sur les produits consommables. Les sommes nécessaires ne sont pas considérables puisque les besoins les plus urgents s’élèveraient à 200 000 euros (sur un budget d’investissement courant de 8 millions d’euros), pour le centre hospitalier de Roanne.

Au centre hospitalier de Montreuil, comme à celui de Roanne d’ailleurs, certains praticiens hospitaliers ont quitté leur poste ou certains postes restent vacants car le plateau technique ou le matériel pour les explorations fonctionnelles est devenu trop vétuste. Le président de la CME (Commission médicale de l’établissement) a d’ailleurs signalé à la rapporteure qu’il craignait qu’à court terme, de nombreux établissements dont celui de Montreuil, se trouvent dans une situation de « paupérisation technologique » notamment à cause de l’importance des investissements à venir pour l’informatique médicale et le développement de la télémédecine.

Le professeur Fabrice Zeni, doyen de la faculté de médecine de Saint-Étienne, et M. Frédéric Boiron, directeur général du Centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne, ont d’ailleurs insisté sur l’importance de la réorganisation de l’hôpital qui va regrouper au nord de l’agglomération tous les services aigus et la recherche clinique afin de disposer d’équipements de pointe. Le CHU rénové se situant à proximité de la Faculté de médecine, une véritable synergie devrait pouvoir s’opérer entre enseignement et recherche clinique. Le développement de la recherche clinique reste un critère essentiel pour l’attractivité du CHU tant pour les patients que pour le corps médical.

Préconisation n° 1 : Garantir un montant minimal et régulier d’investissement de renouvellement

Demander aux ARS d’autoriser les établissements de santé à consacrer au moins 3 % de leur budget pour permettre de réaliser chaque année un montant minimum d’investissements de renouvellement et éviter ainsi une obsolescence de l’offre de soins.

2. Mieux calibrer les grands projets d’investissement

Même si des progrès significatifs ont été faits pour mieux planifier l’offre de soins au plan régional, via les SRIS, des progrès restent à accomplir. M. Michel Rosenblatt, secrétaire général du Syndicat des cadres de direction, et médecins des établissements sanitaires et sociaux publics et privés (SYNCASS CFDT), dans son audition devant la MECSS a souligné le caractère encore balbutiant de la planification de l’offre qui est indispensable pour éviter des investissements surdimensionnés : « Il est tout à fait paradoxal que dans la période passée, alors qu’il aurait fallu une planification fine, on se soit contenté d’une logique de simple régulation de l’offre, ce que nous avions critiqué du point de vue syndical. Nous avions dit qu’il fallait, au contraire, définir de manière plus stricte et plus précise les modalités et les décisions de répartition de l’offre sanitaire sur le territoire. La régulation a conduit à préparer des contrats pluriannuels alors même que les ARS n’avaient connaissance de leurs capacités financières que chaque année successivement. Les modalités de travail étaient donc structurellement peu opérationnelles. Très souvent, nous ne connaissons nos ressources qu’après le 31 décembre de l’année. Il ne faut donc pas s’étonner que les capacités de prévision fine des gestionnaires hospitaliers soient parfois insuffisantes ».

La rapporteure a été frappée lors de son déplacement à Roanne de constater que, malgré l’attention des autorités de tutelle sur le fonctionnement de cet hôpital, des travaux manifestement surdimensionnés ont été menés sans réelle justification. Lors de la rencontre avec les administrateurs provisoires, il a été impossible de savoir pourquoi une telle augmentation de capacité avait été décidée. Les membres de la CME ont en revanche expliqué que la direction précédente avait un projet de coopération avec la principale clinique de la ville et qu’il avait été envisagé que la clinique utilise des locaux du centre hospitalier. Aucune archive ne permet cependant de corroborer ces informations. Il n’en demeure pas moins que le centre hospitalier de Roanne a dû fermer quatre salles opératoires sur douze et dispose de locaux flambant neufs vacants, ce qui alourdit ses coûts de fonctionnement alors que l’établissement est dans une situation financière par ailleurs très délicate.

M. Gautier Bailly, sous-directeur à la direction du budget au ministère des finances et des comptes publics, a confirmé lors de son audition que les derniers grands plans d’investissement avaient conduit à étendre le parc immobilier des hôpitaux. Pour les CHU, qui représentent un quart du patrimoine immobilier hospitalier, la part du bâti neuf ou réhabilité a augmenté de 70 % et les surfaces globales de 30 % sur la période 2002-2010, alors que le nombre de mètres carrés obsolètes ou vétustes, lui, n’a pas toujours diminué. Ainsi, les opérations ont été réalisées sans réel effort de densification et dans le sens d’une extension globale des surfaces.

Il a aussi souligné que : « la capacité hospitalière a augmenté de 5 % entre 2010 et 2011, alors que l’activité était stable, voire en léger recul, que la durée moyenne de séjour a baissé et que le recours à la chirurgie ambulatoire a progressé. Des exemples de projets surdimensionnés ou mal adaptés à cette évolution des pratiques médicales sont mentionnés dans le rapport de la Cour des comptes sur le plan hôpital 2007.

Au total, les taux d’occupation des structures hospitalières restent relativement faibles, à environ 75 % en MCO (médecine, chirurgie, obstétrique), et 10 000 à 11 000 lits ont un taux d’occupation de moins de 50 %. »

Il concluait que : « en définitive, cet investissement, présenté comme nécessaire, voire indispensable, s’est appuyé sur l’encouragement à l’emprunt, conduisant parfois à une sélection trop rapide des projets, ainsi que sur des sous-jacents médico-économiques parfois trop ambitieux. »

Pour éviter de prolonger cette tendance à toujours plus construire comme si les extensions immobilières étaient, à elles seules, un gage de modernisation, il convient de mieux analyser l’évolution de la demande de soins.

Il faut donc accentuer la politique engagée consistant à graduer l’offre de soins sur les territoires. M. Jean Debeaupuis, directeur général de la direction générale de l’offre de soins (DGOS) au ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, a souligné lors de son audition l’importance de la planification territoriale : « Les notions de régionalisation et de territorialisation de l’offre de soins – reprises par le projet de loi de santé – signifient que les établissements ne peuvent pas faire tout et n’importe quoi dans leur coin. D’où la nécessité d’une politique régionale, d’une part, et d’une coopération au niveau des territoires, d’autre part, gages de qualité et de sécurité des soins au bénéfice des patients. »

Il a aussi insisté sur la nécessité de structurer le réseau hospitalier en trois niveaux : les hôpitaux de proximité (ex-hôpitaux locaux), les établissements moyens, qui disposent d’un plateau technique plus important et proposent une offre de soins développée pour le deuxième niveau et enfin, les 32 établissements dits « régionaux », lieux de formation et de recherche, qui constituent le niveau le plus élevé.

La médecine hospitalière a déjà connu de grands changements technologiques mais doit faire un réel effort pour anticiper certaines évolutions. Elle devra surmonter la contradiction existante entre le temps long nécessaire à l’investissement immobilier et la nécessité de s’adapter rapidement pour disposer de matériels lourds incorporant les dernières innovations biomédicales.

M. Christian Anastasy, directeur général de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP), a souligné lors de son audition devant la MECSS la nécessité de revoir la stratégie d’investissement pour s’adapter à des réalités nouvelles. Il a ainsi déclaré : « La fréquentation de l’hôpital a peut-être été à son apogée dans les années 1990-2000. Demain, il y aura sans doute de plus en plus de prises en charge télé-réparties, parce que les moyens technologiques permettront l’éducation thérapeutique chez soi. L’enjeu n’est donc pas forcément de construire des murs. Aujourd’hui, 40 % des prescriptions médicamenteuses ne sont pas suivies par les patients, ce qui nécessite de l’éducation thérapeutique à distance. À ce jour, le développement de la télémédecine en est encore à ses débuts. Peut-être faut-il cesser d’investir dans les murs pour investir dans les technologies de l’information parce que c’est ce qui permettra de maintenir les gens chez eux, où ils se sentiront mieux qu’à l’hôpital ou dans une maison de retraite. Il faut donc plutôt miser sur cet investissement immatériel. »

L’ANAP joue en l’espèce déjà un rôle majeur pour aider les ARS et établissements à avoir une vision dynamique de l’adaptation de l’offre de soins.

M. Christian Béréhouc, directeur délégué de l’ANAP, a également expliqué que son organisme apportait son concours à certaines ARS pour dynamiser les SRIS : « il faut fournir des éléments de projection aux établissements et aux ARS. On s’est aperçu que les établissements avaient tendance, peut-être parfois sous la pression des personnels, à toujours envisager des projets visant à simplement améliorer l’existant, en reprenant pour une bonne part les modes de prise en charge du jour, voire de la veille, ce qui, de temps en temps, peut poser problème.

Aussi, nous avons, dans le cadre des SRIS, proposé des éléments de projection concernant les prises en charge, les évolutions techniques, voire technologiques, pour aider les établissements et les ARS à les anticiper pour le projet dès son ouverture plutôt que de constater a posteriori que celui-ci est conforme à ce que l’on faisait en 2005 ou en 2010. »

3. Diffuser la doctrine du COPERMO

Au cours des auditions de la MECSS et lors des déplacements de la rapporteure, un consensus est apparu pour estimer que si le COPERMO avait l’incontestable avantage d’objectiver les critères permettant de recevoir des aides à l’investissement, sa procédure pouvait paraître manquer de transparence.

Les praticiens ont aussi critiqué sa lourdeur, sans qu’ils aient l’impression d’être réellement associés à la prise de décision. Même si la procédure d’instruction laisse place à une certaine négociation sur la définition du futur projet d’investissement, il n’en demeure pas moins qu’elle n’est pas vraiment contradictoire, certains échanges se déroulant directement entre l’ARS et la cellule de la DGOS qui instruit les dossiers du COPERMO, sans que le directeur concerné ne puisse connaître les arguments échangés. De plus, même si les experts qui travaillent pour le Commissariat général à l’investissement sont souvent issus de la communauté des directeurs d’hôpitaux, les praticiens de terrain ont l’impression d’être « jugés » par des spécialistes qui méconnaissent parfois les contraintes très particulières de la gestion d’un établissement de soin.

Ce sentiment est encore plus vif pour les établissements qui font l’objet d’un suivi en procédure « performance ». Ce sont les ARS qui décident quels établissements seront accompagnés et cette procédure est souvent perçue comme une sorte de désaveu de l’équipe de direction. Compte tenu du caractère centralisé de la procédure, les fonctionnaires experts qui font des recommandations au titre de la performance ignorent souvent la réalité concrète des établissements et certaines pesanteurs locales.

L’ensemble des dossiers examinés en COPERMO a en revanche permis de recueillir une masse considérable d’informations sur les projets d’investissement, les difficultés de financement ou sur la difficulté de suivre les contrats de retour à l’équilibre pour le volet performance. Il est dommage que la DGOS n’ait pas encore fait un travail d’analyse sur ces dossiers pour essayer d’évaluer la valeur ajoutée apportée par cette procédure en termes de densification des structures de soins, de réorganisation des services ou de réduction de lits. Cette procédure permet aussi de repérer un certain nombre de bonnes pratiques dans l’évaluation de la demande future de soins, dans la mutualisation de certaines fonctions support, dans la négociation avec les établissements bancaires… Toutes ces informations gagneraient à être mieux exploitées.

Même si la DGOS a affiché l’intention de procéder à une analyse qualitative de toutes ces données et de produire un rapport d’activité du comité, la rapporteure estime très important d’améliorer la transparence de la procédure afin qu’elle soit plus contradictoire avec l’établissement bénéficiaire. De plus, la DGOS devrait exploiter régulièrement ces informations pour synthétiser une forme de doctrine sur l’amélioration des procédures d’investissement. Après deux ans de fonctionnement, il doit être possible de tirer un certain nombre d’enseignements des dossiers présentés et de les communiquer à la communauté hospitalière.

Préconisation n° 2 : Diffuser les enseignements tirés de l’instruction des dossiers d’investissement et d’amélioration de la performance présentés au COPERMO

Améliorer la transparence de la procédure devant le COPERMO pour les décisions concernant les projets d’investissement en explicitant notamment la décision finale et les écarts entre les aides à l’investissement attribuées par rapport à celles demandées.

Communiquer une synthèse sur les principaux enseignements à tirer des dossiers présentés, en termes de recherche de financement et d’adaptation de l’offre de soins aux nouveaux besoins sanitaires, réalisée par la cellule de la DGOS, chargée de l’instruction des dossiers devant le COPERMO.

4. Renforcer la mutualisation des moyens

L’effort de coordination entre établissements et recherche d’une d’offre de soins graduée, qui s’est imposé depuis de nombreuses années, doit être poursuivi et approfondi pour mettre en place des réseaux d’établissements avec des coopérations opérationnelles.

M. Frédéric Boiron, président de l’Association des directeurs d’hôpital, a insisté devant la mission sur l’importance de la coopération entre établissements et sur la mutualisation des moyens comme de certaines fonctions support : « Cela suppose de renoncer à certaines prérogatives et à certains symboles parfois artificiels d’autonomie. Dans le système de santé, les hôpitaux ont besoin les uns des autres : il faut que le petit puisse s’appuyer sur le gros et inversement. Les équipements de biologie médicale, chers et de plus en plus complexes en raison des normes de certification, ne peuvent être déployés partout. Nous avons intérêt à regrouper nos plateaux de biologie et à définir le niveau de compétence de tel établissement par rapport à tel autre ».

Ces politiques territoriales appellent des décisions qui dépassent le seul cadre des établissements.

Le rôle des autorités de tutelle est essentiel mais les acteurs locaux contestent parfois leur légitimité. M. Boiron a ainsi ajouté : « Et les élus eux-mêmes doivent accepter que des autorités mises en place par l’État fassent des choix de répartition territoriale d’activités qui peuvent être vécus comme défavorables au niveau local mais qui sont justifiés au niveau national. Dans dix ans, nous pourrions envisager des regroupements hospitaliers associant plateaux techniques coûteux et établissements dont la prise en charge n’impliquera pas ce type d’équipement, ce qui aura un impact sur la gestion de l’investissement et de l’endettement. »

Un premier aspect de cette mutualisation des moyens pouvait consister à créer des directions communes entre établissements ou prévoir une gestion commune de diverses fonctions support.

Mme Danielle Toupillier, directrice générale du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG), lors de son audition a expliqué qu’au cours des cinq dernières années, le CNG avait incité à la création de directions communes, qui permettent de regrouper soit plusieurs établissements hospitaliers, soit des établissements hospitaliers avec des établissements sociaux et médico-sociaux – on parle alors de directions communes mixtes.

Ce dispositif préserve l’autonomie des établissements, ce qui est un point très sensible pour les acteurs politiques locaux. Le directeur qui est retenu pour prendre la tête de la direction commune doit de ce fait participer à un grand nombre d’instances, puisque chaque établissement conserve les siennes.

Elle a ainsi déclaré : « Les directions communes permettent de combiner unité de direction – avec une équipe un peu plus étoffée – et responsabilisation des acteurs. Les établissements portent un projet médical commun et peuvent développer des coopérations pertinentes en matière d’administration, de logistique, d’ingénierie, de gestion des ressources humaines, de développement de certaines activités. Cette forme de travail en équipe est de plus en plus prisée, notamment par les D3S (14) qui, sinon, exercent souvent leurs fonctions dans un certain isolement. Ils apprécient la dimension de partage et le sens du compagnonnage. »

Aujourd’hui, on compte environ 400 directions communes.

Certaines compétences techniques coûteuses pourraient être gérées en commun, par exemple l’ingénierie des grands projets de travaux, ce qui éviterait aux établissements d’être en position d’infériorité technique vis-à-vis des entreprises du bâtiment, pour suivre les travaux complexes. M. Guillaume Wasmer, représentant le Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), a ainsi suggéré devant la mission que « pour les décisions d’investissements lourds on pourrait aussi mettre en place des outils pour faire face à des montages complexes. Sur le plan technique, on pourrait aussi avoir une équipe d’ingénieurs, de techniciens, qui soit centralisée par région ou au niveau national et qui pourrait intervenir sur certaines opérations particulières. On a essayé de le faire, au niveau des tutelles. Or, cela devrait être plutôt fait au niveau des dirigeants hospitaliers car les tutelles doivent rester, à mon sens, dans le champ de la régulation et du contrôle beaucoup plus que dans celui de l’appui. Elles ne peuvent pas jouer à la fois le rôle de régulateur et d’accompagnant. ».

Lors de son audition, M. Gautier Bailly a souligné tout l’intérêt d’une gestion commune, pour les petits établissements notamment, de certaines compétences. Il s’est déclaré favorable « à la mutualisation des fonctions supports entre les hôpitaux ». Cette analyse est partagée par M. Yves Gaubert de la fédération hospitalière de France pour qui « le développement des directions communes et la mutualisation des compétences permettent de sécuriser le fonctionnement des établissements ».

Le projet de loi de modernisation de notre système de santé, tel qu’adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, propose ainsi d’instituer, avec son article 27, les groupements hospitaliers de territoire (GHT), une nouvelle forme de coopération entre établissements en lieu et place des actuelles communautés hospitalières de territoire.

Le GHT vise à rationaliser les modes de gestion par une mise en commun de fonctions ou par des transferts d’activités entre établissements. Dans chaque groupement, les établissements parties devraient élaborer un projet médical partagé garantissant une offre de proximité ainsi que l’accès à une offre de référence et de recours.

Selon les informations du rapport intermédiaire de mai 2015 de la Mission de préfiguration confiée à Mme Jacqueline Hubert et M. Frédéric Martineau, il est prévu que certaines fonctions transversales soient gérées en commun, comme la mutualisation des services médico-techniques (laboratoire d’analyses médicales, imagerie, pharmacie…)

Il paraît en effet difficilement envisageable de bâtir de véritables filières inter-hospitalières de prise en charge sans que l’ensemble des activités support soient homogénéisées, de même qu’il est primordial de veiller à la convergence des systèmes d’information hospitaliers et de disposer d’un département de l’information médicale de territoire (DIM).

La rapporteure estime que ces GHT doivent aussi pouvoir gérer certains aspects de la gestion financière. Il serait ainsi très intéressant de prévoir la possibilité de mécanismes de solidarité financière entre les établissements de santé d’un même GHT. On pourrait à ce titre s’inspirer des mécanismes de gestion centralisée de la trésorerie ou cash pooling qui permettent d’équilibrer les comptes des filiales d’un groupe, économisant ainsi des frais financiers en évitant de recourir aux marchés. De plus, elle donne à un groupe relativement important, mais constitué de sociétés de faible taille, la possibilité d’accéder aux marchés financiers.

Cette solidarité de trésorerie supposerait une adaptation des règles comptables actuelles, mais serait de nature à générer des économies en homogénéisant les processus relatifs aux opérations comptables et permettrait aux petits établissements de disposer de compétences techniques de gestion financière notamment pour négocier avec les établissements bancaires.

Préconisation n° 3 : Gérer en commun la trésorerie et l’endettement

Prévoir que les établissements, constituant un GHT puissent gérer de manière commune certains aspects de leur politique d’endettement et de leur gestion de la trésorerie, afin de disposer d’une masse critique plus importante pour accéder aux marchés financiers et négocier avec les banques.

C. UNE SORTIE CONCERTÉE DES EMPRUNTS TOXIQUES AVEC UN PARTAGE DE LA CHARGE FINANCIÈRE ENTRE LES BANQUES ET LES ÉTABLISSEMENTS

Devant la gravité de la situation financière de certains hôpitaux, le Gouvernement a pris en urgence des mesures dont l’objectif essentiel est que les établissements ne puissent plus à l’avenir contracter d’emprunts structurés et disposent des moyens financiers pour se désengager au plus vite des emprunts toxiques déjà souscrits.

La rapporteure estime qu’il faut accélérer le rythme de sortie de ces emprunts et obtenir que tous les établissements aient une attitude déterminée de désengagement. Reste la question délicate du partage des conséquences financières de la sortie de ces emprunts toxiques. Pour l’instant, l’essentiel du coût a été supporté par les finances publiques, les banques devant apporter une contribution limitée, quoique croissante, dont les modalités ne sont pas encore totalement fixées.

Comme le soulignait la Cour des comptes dans sa contribution précitée, une « stratégie de  désendettement s’impose » d’autant plus que « la contrainte que va faire peser l’ONDAM sur le secteur hospitalier va vraisemblablement peser plus lourdement. »

Elle indiquait qu’une démarche de désensibilisation mieux organisée était souhaitable afin de neutraliser non seulement les risques avérés portant sur les emprunts structurés qui sont déjà entrés en phase de majoration de taux d’intérêt mais également de ceux dont la probabilité de concrétisation génère un risque qu’il faut anticiper.

1. La priorité donnée au désengagement et à la renégociation des emprunts toxiques

a. Qui supporte le coût du désengagement des emprunts toxiques ?

Lors de son audition en décembre 2014, avant la « crise du franc suisse », M. Jean Debeaupuis, directeur général de l’offre de soins (DGOS) au ministère des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, a expliqué que l’objectif prioritaire était d’inciter les établissements à se désengager des emprunts structurés.

Pour les établissements les plus importants, la solution la plus efficace paraît être de « faire évoluer les taux d’intérêt pour sortir de ces prêts structurés, notamment à l’occasion de la souscription d’un nouvel emprunt. En effet, la souscription d’un nouveau prêt permet à l’hôpital de négocier avec l’établissement bancaire, notamment la Société de financement local (SFIL), la sortie du mode structuré afin de sécuriser la dette.

La deuxième action, davantage ciblée sur les petits établissements, est la mise en place d’un fonds d’intervention de 100 millions d’euros, sur trois ans, dont 25 millions d’euros seront apportés par les banques elles-mêmesCe dispositif sera surtout destiné aux petits hôpitaux, dont les moyens techniques et les capacités de négociation sont limités par rapport à ceux des plus gros établissements. Cela ne résoudra pas tous les problèmes, mais aidera ceux en grande difficulté à sortir de ces emprunts sensibles ».

Le directeur général de l’offre de soin n’a pas exclu qu’un accompagnement complémentaire pour les établissements grands ou moyens confrontés à des difficultés spécifiques puisse être envisagé.

Cette stratégie a été inspirée notamment par les conclusions du rapport de l’IGF (15) sur « Les conditions de financement des établissements publics de santé auprès du secteur bancaire » de mars 2013.

Ce rapport conseillait de « procéder au remboursement anticipé des emprunts structurés les plus sensibles, dans les meilleurs délais, y compris si cela doit entraîner un coût budgétaire certain ». Il ajoutait : « Il convient de préciser que la négociation avec les banques doit se traduire par un remboursement effectif de l’emprunt et donc par la disparition totale du risque correspondant et non par un simple report dans le temps de certaines échéances. De tels reports entraînent un paiement supplémentaire d’intérêts pour l’emprunteur et ne diminuent aucunement le risque latent. »

L’inconvénient majeur de cette solution de sortie des emprunts toxiques est que l’emprunteur supporte ainsi la totalité du surcoût de l’emprunt toxique qui lui a été vendu par sa banque.

La recommandation de l’IGF aboutit donc à la prise en charge totale de ce surcoût par l’emprunteur, et à une prise en charge immédiate, au motif que les établissements de santé ne doivent pas prendre le risque d’une dégradation ultérieure supplémentaire de leur situation.

D’autres interlocuteurs ont aussi fait remarquer que la solution de réemprunter pour solder un emprunt toxique précédent conduit en quelque sorte à une fuite en avant qui entraîne de nouvelles charges financières tout en hypothéquant l’avenir. L’appréciation de l’opportunité du nouvel investissement est par ailleurs parfois biaisée par l’urgence de trouver une solution pour se désengager d’un emprunt toxique. Malgré d’incontestables inconvénients, les grands établissements ont estimé que cette solution était la moins mauvaise. Lorsque la rapporteure a ainsi rencontré les responsables du groupe hospitalier Nord-Essonne qui va regrouper les hôpitaux de Longjumeau, Juvisy et Orsay. M. Wasmer, son directeur, a attiré son attention sur la solution trouvée pour désensibiliser un emprunt très toxique de l’hôpital de Jusivy. Cette solution va d’ailleurs contribuer à accélérer le travail de regroupement des différentes composantes de ce groupe hospitalier.

La restructuration de la dette du Groupe hospitalier Nord-Essonne

La situation financière du centre hospitalier de Juvisy est profondément affectée par des emprunts structurés, particulièrement toxiques, à hauteur de 12,8 millions d’euros de capital, (100 % de la dette). Ces emprunts sont emblématiques à de nombreux points de vue (établissement de petite taille, emprunts particulièrement toxiques indexés sur le taux de change euro-franc suisse pour un taux d’intérêt de l’ordre de 15 %, durée résiduelle longue jusqu’en 2038, pénalité de sortie élevée de 21 millions d’euros). De surcroît, ils ont été conclus pour mettre en œuvre un projet d’investissement validé par l’ARH, puis abandonné à la demande des pouvoirs publics. Ils sont donc devenus sans objet.

Cet hôpital, qui a survécu à la fermeture de sa maternité et de sa chirurgie en 2009, accueille chaque année avec un plateau technique minimal, 27 000 passages aux urgences. Sa pérennité est menacée par ces emprunts toxiques dont la charge deviendra insoutenable au plan financier dès 2015.

Un projet de fusion entre les centres hospitaliers de Longjumeau, Juvisy et Orsay est en cours. Ce projet permettra une réorganisation importante de l’offre de soins, la fluidification des filières de prise en charge et donc la stabilisation financière des deux établissements. Cette fusion est conditionnée par la sortie préalable de ces emprunts, pour un coût qui était évalué en octobre 2014 à 21 millions d’euros. Un tiers de cette somme devait être permis par la désensibilisation des emprunts liée au processus de fusion, un tiers par des aides de l’ARS, un tiers par une inscription au fond de soutien. Les évolutions récentes des taux de change sont venues bouleverser ce dispositif.

Suite aux décisions récentes de la banque nationale suisse, les ordres de grandeurs financiers qui avaient servi de base de travail au scénario de désensibilisation de l’emprunt toxique du CH de Juvisy ont considérablement évolué. Il faut également noter que depuis l’annonce de la mise en place du dispositif de soutien, les abandons de créances consentis par le passé au CH par la SFIL ont été abandonnés. Ils représentaient 805 000 euros en 2013.

– Le taux d’intérêt annuel recalculé sur la base des nouveaux taux de change a doublé. Il est en effet passé de 13 % à 26 %. Soit un coût annuel pour l’hôpital de l’ordre de 2,6 millions d’euros, soit 10 % du chiffre d’affaires de l’établissement.

– En ce qui concerne l’indemnité de remboursement anticipée qui avait été estimée à l’automne 2014 à hauteur de 21 millions d’euros, elle a aussi considérablement évolué, cependant la SFIL se refuse à donner une évaluation compte tenu de la volatilité des cours. Avec l’appui du conseil financier de l’établissement, un chiffrage raisonnable a été effectué à hauteur de 35 millions d’euros, soit une hausse du montant de la soulte de 66 %.

Ce constat remet en cause le schéma de désensibilisation qui avait été imaginé.

Le directeur du groupe propose de reconduire une solution similaire à celle imaginée au CH de Juvisy en 2011, et qui, développé à grande échelle et sécurisé juridiquement, pourrait apporter une solution aux emprunts structurés sans coût pour le contribuable.

L’établissement détenait un emprunt structuré (CMS) d’un montant de 8 millions d’euros auprès de la Société générale. Cet emprunt devait être mobilisé par l’établissement au plus tard en décembre 2011, mais était devenu sans objet du fait de l’abandon des projets d’investissement. Dans le même temps, le CH Sud Francilien rencontrait des problèmes de liquidités et d’accès au crédit. L’emprunt toxique a été désensibilisé (transformé en taux fixe) et un flux nouveau a été apporté comme support de la désensibilisation, puis transféré juridiquement au CH Sud Francilien. Cela a été possible réglementairement car le produit de l’emprunt n’avait pas été encaissé par l’établissement.

Compte tenu des statuts réglementaires de la SFIL et de sa capacité à prêter des liquidités à prix coûtant dans le cadre des opérations de désensibilisation, la possibilité de transférer une partie d’emprunts toxiques d’un établissement sur un autre, qui présenterait d’importants besoins d’emprunts permettrait de désensibiliser la dette, à moindre coût, voire même de répondre aux besoins de liquidité de cet établissement.

Les établissements pour lesquels l’autorisation de recourir à l’emprunt est soumise à l’autorisation préalable de l’ARS pourraient être des partenaires privilégiés.

Cette proposition de risque partagé et dilué au sein d’une région devrait être étudiée en détails pour préciser les modifications réglementaires indispensables à sa mise en œuvre.

b. Le devoir de conseil des banques

La rapporteure s’interroge sur l’attitude de certaines banques qui n’ont pas vraiment éclairé leurs clients sur les risques encourus et qui n’ont pas pleinement respecté leur devoir de conseil.

Dans bon nombre de dossiers d’emprunts contractés par des hôpitaux, est révélée l’existence de manœuvres dolosives au sens de l’article 1109 du code civil ayant vicié le consentement des emprunteurs car les banques ont usé de procédés commerciaux pouvant être qualifiés de tromperies caractérisées.

Ces banques ont omis délibérément d’expliquer à leurs clients qu’en contractant des « prêts structurés », ils contractaient aussi un ou des contrats financiers de type  » produits dérivés  » qui, pour la plupart, étaient des produits extrêmement spéculatifs exposant les clients à des risques financiers très élevés.

C’est en particulier le cas pour les options de change incluses dans les opérations indexées sur les parités de change.

Enfin, ces emprunteurs avaient fini par se convaincre que si leurs conditions d’emprunt venaient, en dépit des assurances de leurs banques, à se dégrader, la « gestion active de leur dette » leur permettrait de sortir de ces opérations en contractant de nouveaux produits à des conditions plus favorables.

Ces banques se sont en particulier délibérément affranchies des obligations de conseil, d’information et de mise en garde qui s’imposent à elles lorsque comme en l’espèce elles agissent non seulement comme prêteurs mais comme prestataires de services d’investissement.

De plus, les contrats signés n’indiquaient pas toujours le taux effectif global.

Depuis 1966, la loi fait obligation au prêteur de communiquer à l’emprunteur le taux effectif global (TEG) de l’opération de crédit. Ce taux effectif global est censé refléter le coût total du crédit, permet de vérifier que le taux du prêt n’est pas usuraire, et, le cas échéant, de comparer diverses propositions.

Cette information a néanmoins été généralement omise au moment de la formation des contrats d’emprunt structuré.

Le jugement rendu récemment par le tribunal de grande instance de Nanterre dans l’affaire opposant le conseil général de la Seine-Saint-Denis à Dexia l’a révélé : la télécopie de confirmation adressée par la banque (suite à l’accord opéré lors d’un échange téléphonique entre la salle des marchés du prêteur et l’emprunteur) et sur les termes de laquelle le client devait donner son accord constitue l’instrumentum de l’échange de consentements sur les conditions essentielles du prêt.

La télécopie aurait dû comporter l’indication du taux effectif global de ce prêt, conformément aux dispositions de l’article L. 313-4 du code monétaire et financier (qui reprennent celles du code de la consommation). Cette indication a pourtant été omise. Ce qui, comme le tribunal de grande instance de Nanterre l’a jugé, constituait une violation des dispositions légales sur le taux effectif global.

Enfin, pour certaines catégories de crédit, et notamment pour les prêts consentis aux collectivités territoriales, la loi a conservé le principe de la prohibition de l’usure. Si bien que de nombreux prêts de refinancement, qui intègrent dans leur taux le coût du remboursement anticipé des opérations qu’ils refinancent, sont actuellement contractés à des taux supérieurs au seuil de l’usure.

La rapporteure s’interroge sur l’injonction qui a été faite aux établissements publics de santé d’exécuter pleinement leurs obligations contractuelles, sans chercher à déterminer si une action collective de certains établissements de santé n’aurait pas permis une véritable renégociation des conditions d’emprunt tout en évitant de longs contentieux juridiques qui par ailleurs ont été vivement découragés par les ARS.

Pour éviter que lors de contentieux ultérieurs, l’État ne soit appelé en garantie notamment pour les litiges concernant Dexia, établissement financier qui fut un des principaux pourvoyeurs d’emprunts toxiques, un dispositif législatif est venu sécuriser rétroactivement les emprunts structurés qui ne comportaient pas de mention explicite de TEG. En effet l’État est désormais actionnaire à 75 % de la SFIL, la Société de financement local, qui a repris l’essentiel des actifs français de Dexia.

La loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014 relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public, composée de quatre articles, valide, sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les contrats de prêts structurés souscrits par l’ensemble des personnes morales de droit public en tant que leur validité serait contestée soit par le moyen tiré du défaut de mention du taux effectif global (TEG), du taux de période ou de la durée de période, soit par le moyen tiré de la mention d’un TEG, d’un taux de période ou d’une durée de période qui ne sont pas déterminés conformément à l’article L. 313-1 du code de la consommation.

Le gouvernement a aussi demandé aux établissements d’abandonner la voie contentieuse pour résoudre le problème du désengagement des emprunts toxiques. La DGOS estime cependant à une vingtaine le nombre de contentieux menés par les établissements de santé mais elle n’est pas tenue informée systématiquement de ce type de démarche qui reste de l’entière responsabilité du directeur de l’hôpital.

Fin octobre 2014, la SFIL a informé la DGOS avoir 12 assignations de la part d’hôpitaux, de taille très variable (par exemple le CHU de Saint-Étienne ou le centre de gérontologie de Chevreuse). À ce jour, aucun des contentieux conduits par un établissement public de santé n’a fait l’objet d’un jugement définitif.

M. Olivier Grimberg, directeur de la médiation à la Société de financement local (SFIL), a d’ailleurs expliqué lors de son audition que « Mme la présidente du TGI a décidé de laisser leur chance au fonds de soutien pour les collectivités locales et au dispositif d’aide pour les hôpitaux ; elle conseille donc aux avocats des hôpitaux, des collectivités et des banques d’essayer de trouver une solution à travers ces structures. »

La DGOS a souligné auprès de la rapporteure qu’elle demandait systématiquement à l’hôpital de signer un protocole transactionnel avec l’établissement bancaire, s’il souhaitait bénéficier du dispositif d’accompagnement de désengagement des emprunts toxiques.

La DGOS a aussi fait remarquer que la cellule de médiation, mise en place sous l’égide de M. Gissler, pour mettre au point des plans de désensibilisation aux emprunts toxiques, initialement au profit des collectivités locales avait été étendue aux hôpitaux fin 2011. La cellule a été sollicitée dans le cas où des petits hôpitaux ayant souscrit un emprunt hors charte, c’est-à-dire les plus toxiques, avaient épuisé toutes les voies de négociation avec la banque. Sur la période 2012-2014, la DGOS a incité une douzaine d’établissements à saisir la médiation. L’action du médiateur a essentiellement consisté à réinstaurer le dialogue entre l’hôpital et la banque et à obtenir de cette dernière de nouvelles propositions de sécurisation… Le médiateur a ainsi obtenu de la SFIL et de Dexia que les établissements en médiation bénéficient d’abandons de créance de manière à ce que le taux d’intérêt effectivement payé soit de l’ordre de 6 à 8 %. Fin 2014, M. Gissler a mis fin à la Médiation, le dispositif d’accompagnement prenant, en principe, le relais de son activité.

c. La réaction des banques face aux demandes de sortie des emprunts toxiques

La rapporteure tient cependant à souligner que toutes les banques n’ont pas eu la même stratégie face aux demandes de renégociation.

Jusqu’à fin 2014, la SFIL a accordé des abandons de créance aux petits hôpitaux, de manière à ramener leur taux d’intérêt payé à un niveau soutenable (6 à 8 %) en attendant la mise en place du dispositif d’aide. M. Olivier Grimberg a rappelé : « nous avons soutenu les établissements les plus fragiles, petits hôpitaux à surface financière et budgétaire limitée, notamment touchés par les crédits sensibles indexés sur le taux de change entre l’euro et le franc suisse… Cette opération a coûté à peu près 26 millions d’euros à la SFIL, dont 5 millions pour les hôpitaux. »

Son conseil d’administration a décidé de mettre un terme à cette politique en raison de la mise en place du dispositif d’aide à la sortie des emprunts structurés en 2015 qui a pour objectif prioritaire d’aider ces mêmes petits établissements. À noter que la SFIL contribue au dispositif (18 millions d’euros sur 3 ans).

La SFIL a par ailleurs défini, avec l’État, une politique de désensibilisation : il s’agit de transformer ces crédits sensibles en crédits à taux fixe, supprimant l’aléa financier sur toute la durée des prêts. Un tiers de l’encours de crédits sensibles des établissements publics de santé ont été désensibilisés : trente-deux d’entre eux ont été totalement désensibilisés et bénéficient désormais de taux fixes avec la SFIL/Caisse française de financement local (CAFFIL) ; une centaine gardent des crédits sensibles à hauteur de 900 millions d’euros et doivent encore faire l’objet d’une désensibilisation.

Pour transformer les crédits des établissements publics de santé en crédits à taux fixe, la SFIL consent d’importants efforts. Le représentant de la SFIL a expliqué : « Ainsi, comme nous parvenons, sur les marchés financiers, à obtenir des taux proches de ceux que l’on offre à l’État français, nous apportons aux hôpitaux de la liquidité à prix coûtant, en les faisant bénéficier d’un taux fixe de 1,20 % sur quinze ans. Ces ressources permettent aux établissements publics de santé de financer leurs investissements ou une partie des indemnités liées aux crédits sensibles. Pour la SFIL, fournir de la liquidité à prix coûtant représente une perte d’opportunité d’environ 70 millions d’euros, dont une vingtaine de dossiers concernent les établissements publics de santé et le reste, les collectivités territoriales. »

Lors de la deuxième audition des établissements de crédit par la mission, le représentant de la SFIL a précisé, en réponse à la question des délais à prévoir pour que la centaine d’établissements encore porteurs de 900 millions d’euros de crédits sensibles soient désensibilisés : « Cela dépendra des délais de versement du deuxième dispositif d’aide, qui sera crucial pour la désensibilisation de la trentaine d’établissements touchés par l’envolée du franc suisse, dont le cas est le plus compliqué. Si les aides sont versées fin 2015 ou début 2016, nous espérons en désensibiliser une bonne partie. Pour les autres, il faut continuer à faire œuvre de pédagogie ».

La difficulté pour accélérer le mouvement de désensibilisation tient à ce que certains établissements hospitaliers concernés, mais qui ne paient pas encore de taux d’intérêt trop élevés, ne souhaitent pas renégocier. M. Grimberg a poursuivi en indiquant « …il y a encore des établissements publics de santé qui détiennent des crédits sensibles, mais qui ne paient pas de taux dégradés, voire qui paient des taux très bas. Malgré l’aléa financier inhérent à leurs crédits, ces établissements se montrent réticents à les transformer en crédits à taux fixe – certes un peu plus élevé que ceux dont ils bénéficient aujourd’hui, mais dépourvu d’aléa. Nous avons déjà convaincu une bonne partie de ces établissements, mais il faut continuer à inciter les autres, dans les prochains mois, à purger leurs crédits sensibles et à rendre leur dette la plus prévisible et la moins variable possible. Si l’État – à travers le ministère, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) ou les agences régionales de santé (ARS) – pouvait appuyer notre effort de pédagogie, cela aiderait la SFIL dans sa tâche. »

Pour Dexia crédit local, les emprunts hors charte sont au nombre de huit et représentent à peu près 80 millions d’euros d’encours dont 40 millions sont éligibles au dispositif de désensibilisation. M. Pierre Vérot, directeur de la gestion de l’encours a estimé devant la mission que les crédits hors charte pourraient être soldés d’ici fin 2015. Il a également précisé : « Tous les établissements qui ont voulu maintenir avec nous des relations amiables bénéficient d’une prise en charge de leurs échéances dégradées, parfois depuis quatre ans, cet effort venant s’ajouter à notre contribution volontaire et fiscale au fonds de soutien (20 millions). Nous faisons donc le nécessaire pour que les problèmes soient résolus dans des conditions raisonnables et espérons y parvenir dans le courant de l’hiver. »

Quant à M. Jean-Pierre Rosello, directeur des marchés de l’économie publique de la Société Générale il a insisté sur la nécessité d’une démarche concertée de l’ensemble des acteurs pour sortir des emprunts structurés :

« La désensibilisation n’implique pas seulement des efforts de la part des banques, mais de la compréhension et des efforts du côté des structures concernées. Il n’est pas rare que certains de nos interlocuteurs, adoptant une posture rigide, refusent le taux fixe d’origine et les produits désensibilisés que nous leur proposons. ».

Les efforts consentis par les établissements de crédit

Les banques françaises ont été interrogées par écrit par la MECSS pour préciser la situation de leur encours en prêts structurés et en prêts toxiques, ainsi que pour indiquer les efforts qu’elles ont consentis pour permettre aux hôpitaux publics en sortir.

Ces efforts peuvent se décliner ainsi :

a) Pour ce qui concerne l’avenir, la signature de la Charte de bonne conduite élaborée en décembre 2009, exclut de poursuivre la distribution de prêts structurés aux collectivités territoriales, avec une extension aux EPS ;

b) Des propositions de sortie des emprunts toxiques :

– la SFIL a indiqué avoir conclu 48 opérations de désensibilisation avec 44 clients pour un montant de 238 millions d’euros ;

– BPCE a indiqué avoir, depuis 2011, « sécurisé » totalement 115 millions d’euros d’encours pour 17 prêts hors charte, et partiellement 181 millions d’euros pour 22 prêts ;

– le Crédit Agricole a indiqué formuler des propositions de désensibilisation à tous les hôpitaux publics concernés, qu’ils n’ont cependant pas tous retenues. 10 prêts ont fait l’objet d’une désensibilisation totale depuis 2011 pour 65 millions d’euros, et 3 pour 19 millions d’euros, avec évolution vers des taux fixes, ou des taux variables mais indexés sur les taux monétaires ;

– la Société générale n’a plus de prêts hors charte à son bilan, mais, entre 2011 et 2014, elle a sécurisé totalement 171 millions d’euros pour 23 opérations, avec retour à taux fixe, et, partiellement ou temporairement, 107 millions d’euros pour 18 opérations ;

– Dexia est la seule à n’avoir pas répondu sur ce point.

c) L’apport de liquidité pour refinancer à taux bas les indemnités de remboursement anticipé (IRA) : la SFIL refinance ainsi les IRA à 1 %.

d) Des abandons de créance.

La SFIL a abandonné 1,30 million d’euros en 2013 et 3 millions d’euros en 2014 pour des hôpitaux publics de moins de 250 lits. Les autres banques n’ont pas évoqué d’abandons de créance.

e) Le financement du fonds d’accompagnement des établissements publics de santé dans la sécurisation de leurs prêts structurés, mis en place par l’instruction interministérielle du 22 décembre 2014, en contrepartie de la validation par la loi des contrats de prêts.

Malgré les propositions des banques dans une dynamique proactive pour sortir par le haut de situations de blocage, c’est, dans certains cas, la pénalité de remboursement anticipé qui emprisonne les établissements publics concernés et qui a bloqué le processus de désensibilisation.

Les indemnités de sortie sont parfois d’un montant totalement prohibitif. La rapporteure a reçu plusieurs témoignages indiquant que les indemnités de sortie représentaient souvent plus de trois fois le montant du capital emprunté, à l’instar du CHU de Saint-Étienne pour lequel un emprunt structuré de 37,5 millions d’euros s’accompagnait d’une soulte estimée à plus de 100 millions d’euros. De plus, ces indemnités de sortie sont d’un montant très volatil pour l’hôpital du Nord-Essonne par exemple (cf. supra) : l’effet d’un produit structuré indexé sur le franc suisse a conduit la soulte à passer de 21 millions d’euros à 35 millions de fin 2014 à mars 2015 !

Plusieurs personnes auditionnées ont indiqué que, lors de la renégociation de l’emprunt pour sortir d’un emprunt toxique, la banque ne poursuivait pas les discussions car le nouveau prêt devrait être proposé à un taux supérieur au taux de l’usure.

Le cabinet « Finance active » a ainsi témoigné de ce problème complexe au plan juridique car il n’est pas certain que le taux de l’usure soit une notion pertinente pour des relations contractuelles entre professionnels. M. Mathieu Colette a ainsi déclaré : « Les cas que j’évoque, certes pas très nombreux, mais tout de même très problématiques, correspondent à des établissements de santé qui décident de sortir de leur emprunt toxique et qui sont prêts à y consacrer les crédits nécessaires. Ils demandent à la banque, souvent la SFIL, de leur faire une proposition, mais ils se heurtent à un refus parce que le taux de retournement, le taux de sortie, serait supérieur au taux d’usure.

Pourtant, la réglementation actuelle sur l’usure ne s’applique pas forcément entre deux professionnels. Dans notre domaine, les choses devraient donc être clarifiées pour savoir où placer le curseur, afin que ces opérations puissent être réalisées. Sinon, c’est se priver d’une possibilité de sortie : à partir du moment où un établissement décide d’accepter un effort financier pour sortir de l’emprunt qu’il a contracté, cela devrait pouvoir se faire. ».

On peut citer l’exemple de l’hôpital de Roanne qui a consigné auprès de la Caisse des dépôts et consignations les frais financiers au-delà du taux de l’usure (5,29 %), concernant un emprunt structuré géré par la SFIL d’un montant de 9,5 millions d’euros et portant un taux de 12 % en 2014. Le montant consigné en 2014 a été de 670 000 euros.

Interrogé sur ce point, le ministère de la santé a souhaité relativiser l’impact de ce problème. Tout en reconnaissant qu’il y avait bien une incertitude juridique pour savoir si le taux de l’usure s’appliquait aux hôpitaux, il a précisé que dans la pratique, les banques aujourd’hui ne prenaient plus le risque de proposer un taux de refinancement supérieur au taux de l’usure pour éviter tout contentieux ultérieur, les taux proposés étant, alors, écrêtés pour le respecter.

Pour favoriser des relations de confiance entre hôpitaux et établissement bancaires, il serait cependant utile que cette question juridique de l’application aux hôpitaux du taux de l’usure dans leur contrat de prêt de long terme soit éclaircie.

La rapporteure, comme M. Pierre Morange, coprésident de la MECSS, souhaitent que la sortie de crise se fasse dans les délais les plus brefs, de sorte que les établissements de santé retrouvent une capacité d’autofinancement et donc d’investissement en ressources humaines et matérielles au bénéfice des patients. La restructuration de la dette des établissements publics de santé et le rétablissement de l’équilibre des comptes sont des éléments essentiels de la pérennité de notre système de protection sanitaire et sociale. Or, les établissements de crédit connaissent aujourd’hui une situation favorable, puisque les taux pratiqués par la Banque centrale européenne (BCE) sont singulièrement attractifs et que, au sortir de la crise internationale de 2008, ils ont bénéficié d’apports financiers massifs, à tel point que le système bancaire français a pu s’autoriser à absorber une part substantielle de la dette toxique d’un pays ami, la Grèce. À l’époque, la place bancaire s’était vue renflouer par la richesse nationale.

On pourrait donc imaginer que, au-delà de leur tribut au dispositif de soutien – initialement alimenté principalement par la prospérité nationale –, les banques apportent une contribution particulière pour secourir les établissements de santé que les pénalités à payer prévues dans les contrats de prêt empêchent de sortir du piège des emprunts toxiques.

À titre transitoire, avant que le dispositif spécifique ne soit pleinement opérationnel, il serait très utile que les établissements bancaires ne bloquent pas les négociations de désensibilisation en raison de taux d’intérêt qui seraient alors supérieurs au taux de l’usure. Les établissent doivent poursuivre une démarche qui était courante il y a quelques mois, c’est-à-dire écrêter les taux fixes qu’ils proposent au niveau du taux de l’usure et considérer que la priorité est de sortir au plus vite des emprunts toxiques.

La MECSS souhaite donc que les banques renoncent en grande partie à faire payer des pénalités de sortie afin d’accélérer le mouvement de désensibilisation des emprunts toxiques restants.

2. Un dispositif d’accompagnement financier spécifique aux établissements de santé

Pour aider les établissements de santé à se désengager des emprunts structurés, le gouvernement a décidé de créer un dispositif spécifique à ces établissements, dont la mission est centrée sur l’accompagnement des établissements de taille modeste qui disposent de peu de moyens financiers et en compétences techniques pour renégocier des contrats de prêts avec les établissements bancaires. Ce dispositif est dissocié du fonds destiné aux collectivités territoriales.

Cette démarche d’ensemble de désensibilisation a été préconisée par la Cour des comptes dans sa contribution précitée où elle a insisté sur l’importance de la définition de priorités, tous les emprunts structurés ne pouvant être soldés simultanément.

Le dispositif s’appliquant aux collectivités territoriales

L’article 92 de la Loi de Finances initiale pour 2014 a créé un fonds de soutien, doté de 100 millions d’euros par année pendant quinze ans, afin d’accompagner les communes, les départements, les régions et leurs groupements qui ont souscrit auprès de banques des emprunts structurés devenus « toxiques ».

Le coût pour le budget général est compensé pour moitié par le relèvement du taux de la taxe sur les risques systémiques, porté de 0,5 % à 0,539 % par la même loi de finances. Ainsi, le financement du fonds sera assuré, pour moitié, soit pour 50 millions d’euros, par le secteur bancaire et précisément par une vingtaine d’établissements de crédit situés en France, qui représentent 96 % des exigences en capitaux propres du secteur.

Les aides du fonds prendront la forme d’une subvention annuelle correspondant à une fraction de l’indemnité de remboursement anticipé (IRA).

Le dispositif impose toutefois une contrepartie rigoureuse aux collectivités sollicitant l’aide du fonds en prévoyant que le bénéfice de l’aide au titre d’un contrat de prêt souscrit auprès d’un établissement de crédit est subordonné à la conclusion d’une transaction, au sens de l’article 2044 du code civil. Concrètement, une collectivité sollicitant une subvention pour un emprunt structuré devra, pour bénéficier de l’aide, renoncer à contester devant les juridictions civiles les contrats de prêt conclus avec cette banque, dès lors qu’ils font effectivement l’objet du versement d’une aide par le fonds de soutien.

Un plafond de prise en charge par le fonds a également été fixé à 45 % du montant des indemnités pour chaque contrat tandis que les modalités de calcul des aides individuelles ont été renvoyées à un décret, pris après avis du comité d’orientation du fonds.

Il a enfin été prévu un délai de trois ans à compter du dépôt de la demande durant lequel l’aide peut être versée sous forme de simple bonification destinée à alléger la charge financière des collectivités. Cet allongement devait permettre aux collectivités d’attendre des conditions de marché plus favorables pour procéder au remboursement anticipé des emprunts souscrits. Au terme de cette phase initiale, la poursuite du versement de la bonification sera appréciée au cas par cas en fonction des conditions de marché.

Un dispositif d’accompagnement des hôpitaux élaboré en deux temps

Le 23 avril 2014, le Gouvernement a annoncé la mise en place d’un dispositif ad hoc d’accompagnement des hôpitaux les plus exposés aux emprunts structurés, les emprunts toxiques représentant, pour ces derniers, un encours de 1,1 milliard d’euros, soit 4 % de leur encours total, au 31 décembre 2012. Les indemnités de remboursement anticipé (IRA) correspondant à ces prêts s’élevaient, quant à elles, à 1,4 milliard d’euros.

– Le premier dispositif d’accompagnement

Le montant des aides accordées par ce nouveau dispositif d’accompagnement devrait atteindre 100 millions d’euros, soit un calibrage comparable à celui du fonds de soutien des collectivités territoriales proportionnellement au montant relatif des encours toxiques. La durée du dispositif devait initialement être comprise entre 3 et 7 ans. Ce dispositif était financé par un abondement volontaire des banques les plus concernées – la SFIL et Dexia – à hauteur de 25 millions d’euros et pour les trois autres quarts par l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), à hauteur de 75 millions d’euros.

Les aides accordées abonderont le Fonds d’intervention régional (FIR) par des crédits nationaux délégués aux agences régionales de santé (ARS).

L’instruction interministérielle relative au dispositif d’accompagnement des établissements dans la sécurisation de leurs prêts structurés, datée du 22 décembre 2014, précise les conditions d’éligibilité au dispositif ainsi que la procédure d’instruction des demandes d’aides.

Les établissements éligibles au dispositif sont les EPS ayant un budget inférieur à 100 millions d’euros et ayant au moins un contrat de prêt classé hors charte en cours d’amortissement fin 2014.

Les établissements éligibles doivent transmettre un dossier de demande d’aide à l’ARS qui le communiquera à la DGOS accompagné de son avis et d’une analyse financière de la DRFiP avant le 30 avril 2015. La DGOS dispose de 4 mois pour instruire les demandes d’aide et pour proposer un montant d’aide.

Enfin, la doctrine d’attribution sera proche de celle du fonds de soutien aux collectivités territoriales. Un suivi des situations individuelles des hôpitaux et des aides attribuées sera assuré par le COPERMO. Les aides versées seront ciblées sur les établissements les plus exposés, c’est-à-dire des hôpitaux locaux, de petite taille, dont les emprunts risqués forment une part importante de leur encours et pour lesquels les coûts de sortie du prêt sont hors d’atteinte de leur budget. L’attribution des aides sera conditionnée à une transaction globale sur l’ensemble des prêts souscrits et à la renonciation à tout recours contentieux. Le montant des aides versé à chaque établissement sera plafonné à 45 % des IRA, comme pour les collectivités.

– L’élargissement du dispositif

Suite au renchérissement du franc suisse en janvier 2015, la situation de certains hôpitaux s’est considérablement dégradée. Il a donc été décidé d’augmenter la capacité du dispositif dédié aux établissements de santé, en ajoutant 300 millions d’euros sur 10 ans au soutien aux hôpitaux affectés par les emprunts toxiques du fait de l’« envolée » du franc suisse et seront intégralement financés par les banques, par une nouvelle majoration du taux de la taxe de risque systémique payé par celles-ci. Cette aide sera donc financée en dehors de l’ONDAM.

Les surcoûts liés à l’appréciation du franc suisse ont été estimés entre 200 et 400 millions d’euros pour les hôpitaux.

M. Richard Boutet, représentant de la fédération bancaire française, a fait part à la MECSS du mécontentement de la profession bancaire suite à l’annonce du 2e volet du dispositif pour les hôpitaux. Il a ainsi déclaré : « En effet, le 24 février dernier, le Gouvernement a annoncé, sans aucune concertation préalable avec les institutions bancaires, sa décision d’augmenter de 300 millions d’euros les sommes mobilisables au titre des dispositifs d’aide aux hôpitaux ayant contracté des emprunts structurés, cette somme étant intégralement financée par la seule contribution des banques. Cette décision est en totale contradiction, d’une part, avec le fonds de soutien pour les hôpitaux tel qu’il avait été décidé à l’origine, puisqu’il était essentiellement pris en charge par les pouvoirs publics, et, d’autre part, avec le fonds destiné aux collectivités territoriales financé par les banques et l’État à parts égales.

Ce choix de faire porter sur les banques la totalité du financement du relèvement du montant des fonds pour les hôpitaux est donc étonnant et incohérent, sachant que la responsabilité est partagée par les pouvoirs publics et les gestionnaires hospitaliers et les quelques établissements ayant souscrit ces produits. La profession a fait part de ces remarques aux pouvoirs publics. »

Malgré leur opposition de principe au mécanisme de financement du deuxième volet les représentants des banques ont indiqué qu’il conviendrait de connaître au plus vite les modalités concrètes d’instruction des dossiers pour pouvoir accélérer le rythme de sortie des emprunts toxiques.

La rapporteure soutient cette démarche de dispositif spécifique aux hôpitaux mais attire l’attention sur le dimensionnement du deuxième volet du dispositif, consacré aux emprunts indexés sur le franc suisse. La dotation de 300 millions d’euros risque d’être insuffisante et il conviendrait peut-être de revoir la clé de répartition des contributeurs entre la profession bancaire, l’assurance maladie et les hôpitaux, qui seront eux aussi soumis à d’importants efforts financiers pour réussir leur désensibilisation.

Préconisation n° 4 : Sortir des emprunts toxiques en partageant le coût de la désensibilisation entre établissements bancaires et établissements hospitaliers

– Rendre rapidement opérationnels les deux volets du dispositif de désensibilisation des emprunts pour les hôpitaux et trouver un « véhicule législatif » rapide pour permettre la modification du taux de la taxe de risque systémique perçue sur les banques pour le financer.

– Mener, en concertation avec les ARS, un travail de persuasion pour convaincre les directeurs d’établissements hospitaliers de sortir des emprunts structurés car, même si les taux actuels sont faibles, les risques latents demeurent élevés.

– Veiller à l’adoption définitive de l’article 26 bis du projet de loi de modernisation de notre système de santé en cours de navette parlementaire, qui interdit les emprunts en devises et impose que les emprunts à taux variables répondent à ces critères de simplicité ou de prévisibilité des clauses financières pour les hôpitaux qui les souscrivent, et renvoie la définition de ses conditions d’application à un décret simple.

– Clarifier la question de savoir si les établissements de crédit peuvent opposer ou non le respect du taux de l’usure dans leurs renégociations de prêt. À titre conservatoire, obtenir des établissements bancaires d’écrêter, au niveau du taux de l’usure, les taux d’intérêt fixes qu’ils proposent pour sortir des emprunts toxiques.

– En complément du dispositif de désensibilisation, engager une négociation avec les établissements bancaires, associer le ministère chargé des finances au ministère des affaires sociales, pour que les établissements de crédit renoncent collectivement à la perception de la totalité ou de la majeure partie des indemnités de sortie. Cette renonciation serait négociée au cas par cas et prendrait la forme d’une transaction avec les établissements emprunteurs.

Préconisation n° 5 : Renforcer la communication institutionnelle sur l’assainissement financier des établissements hospitaliers

Renforcer la confiance entre partenaires suppose que les banques aient une claire connaissance de l’ensemble des efforts menés depuis 2012 pour réduire le risque financier du secteur hospitalier. Il convient donc de renforcer la communication institutionnelle du ministère chargé de la santé et du COPERMO pour présenter de manière didactique l’ensemble des dispositions normatives visant à encadrer l’investissement et les mécanismes de financement des hôpitaux.

D. DE MEILLEURES COMPÉTENCES FINANCIÈRES POUR LES ÉTABLISSEMENTS

Lors de son déplacement à l’École des hautes études en santé publique (EHESP), la rapporteure a pu mesurer les efforts entrepris depuis plusieurs années pour améliorer les compétences financières des élèves directeurs ainsi que dans le cadre de la formation continue. Des progrès pourraient néanmoins être faits pour favoriser les partages d’expérience et inciter à l’accompagnement personnalisé lors de certaines prises de fonctions délicates.

1. Permettre aux hôpitaux de disposer d’une expertise financière indépendante

L’accès à une expertise financière indépendante serait un véritable progrès pour les établissements qui ont pu voir les limites du devoir de conseil des établissements bancaires.

Une première solution consiste à mutualiser les compétences financières pour permettre à de petits établissements de disposer d’une ressource de qualité que chaque établissement ne peut pas recruter. L’idée de favoriser des référents financiers au sein de chaque ARS ne répond pas parfaitement au problème car ces référents seraient à la fois juges et parties dans les décisions d’investissement notamment.

Parmi les établissements qui ont témoigné auprès de la rapporteure de l’importance de pouvoir recourir à une expertise indépendante, le centre hospitalier de Montreuil a dû s’entourer à la sortie de sa période d’administration provisoire des conseils d’un cabinet spécialisé pour mener à bien sa réorganisation et respecter les termes de son contrat de retour à l’équilibre financier.

L’expérience du cabinet Finance active est particulièrement intéressante car elle montre les attentes des établissements hospitaliers, tant publics que privés, en matière d’accompagnement financier. M. Patrice Chatard, son directeur, a d’ailleurs insisté sur le fait que son cabinet, créé en 2000, avait dissuadé les établissements de souscrire des emprunts structurés et que, sur les 15 000 propositions de prêts adressés aux établissements suivis par Finance active, 500 emprunts toxiques avaient cependant été signés. Le travail de pédagogie a permis d’améliorer certaines formules d’indexation ou d’éviter des contrats risqués malgré la pression commerciale des banques et l’encouragement des agences régionales de l’hospitalisation de l’époque.

Actuellement, ce cabinet aide les établissements à se désengager en surveillant les périodes propices pour négocier une sortie. M. Patrice Chatard a ainsi expliqué qu’une équipe de collaborateurs très expérimentés et spécialisés dans la désensibilisation jouait un rôle permanent de « sonar » : « tous les emprunts sont « scannés » en permanence aux conditions des marchés financiers, et sitôt que des fenêtres s’ouvrent, des alertes sont adressées à nos clients et nos consultants. Nous avons d’ailleurs réussi quelques opérations de désensibilisation l’année dernière, à l’occasion de gros mouvements sur le yen. ».

Ce cabinet essaie aussi de diffuser de l’information auprès de ses clients quand une négociation favorable a été conclue. M. Mathieu Colette, responsable des études, a aussi insisté sur l’importance de la mutualisation des informations : « Vous parliez de mutualisation. Une partie du métier de Finance active consiste à essayer de réduire l’asymétrie d’information – nerf de la guerre en économie –, notamment en mutualisant l’information. Quand un de nos clients réussit à réaliser une opération, nous essayons d’en informer les autres, via nos publications, sans forcément nommer l’intéressé. Ensuite, nous suivons les portefeuilles au quotidien et nous envoyons de nombreuses alertes pour que nos clients puissent relancer leur banque, demander des cotations. Cela passe donc par cette mutualisation, même si nous n’allons pas forcément jusqu’à la négociation. ».

L’expérience de la Mission d’appui régional à la tarification à l’activité (MARTAA) a paru aussi très intéressante à la rapporteure car il s’agit là d’une sorte de conseil personnalisé à des conditions moins onéreuses que le recours à un cabinet privé d’expertise.

● Cette mission est née en 2005, à l’occasion de la mise en place de la tarification à l’activité (T2A). À la demande des fédérations hospitalières, l’agence régionale de santé (ARS) des Pays de la Loire voulait en effet que les établissements de santé de son ressort puissent bénéficier de l’appui d’une structure capable de les aider à passer ce cap et à réaliser ce que d’aucuns ont appelé un changement de paradigme.

Initialement localisée au centre hospitalier de Challans (Vendée), la mission fut recentrée en 2007 au CHU de Nantes. Comme établissement de grande taille, il dispose d’une direction du contrôle de gestion dont l’activité permet de réaliser des économies d’échelle grâce à la mutualisation des compétences. Les axes de travail de la mission sont consignés dans un avenant au contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) entre le CHU et l’ARS, qui lui apporte son soutien financier. La mission ne jouit pas de la personnalité juridique. Son comité de gestion, qui rassemble les fédérations hospitalières et l’ARS des Pays de la Loire, fait le point régulièrement sur ses activités.

La MARTAA est fondée sur quelques principes simples. Elle assure une veille documentaire, économique et technique au profit des établissements de santé. Son site Internet est un lieu d’information et de conseil. Récemment remodelé, il est très consulté, tant au niveau régional que national. La mission apporte des réponses concrètes et immédiates aux demandes des établissements de santé. Ce sont les plus petits qui la sollicitent de préférence, mais une interaction existe aussi avec les établissements plus grands, notamment dans le domaine de la certification des comptes. La mission porte également au niveau national ses travaux en matière de comptabilité analytique.

De manière générale, elle joue un rôle de facilitateur, à l’interface entre l’Agence régionale de santé et les établissements de santé. Jouissant à la fois de la confiance de l’une et des autres, suscitant même leur adhésion, elle réalise un travail que l’Agence régionale de santé n’aurait pu prendre en charge avec ses propres moyens. Elle occupe une position à mi-chemin entre les acteurs de santé et l’autorité de tutelle.

● Le deuxième axe de travail de la Mission a été l’appui aux établissements pour la certification des comptes puis la connaissance du patrimoine hospitalier.

En effet, l’ARS des Pays de la Loire s’est portée volontaire pour être région pilote en matière d’utilisation du logiciel OPHELIE (Outil de pilotage du patrimoine hospitalier des établissements de santé, législation-indicateurs-environnement), outil indispensable à la connaissance du patrimoine hospitalier et de ses coûts. Elle a donc chargé la MARTAA, qui avait déjà mené une mission de conseil sur le logiciel précédent dénommé GENEPI, d’accompagner les établissements de santé pour qu’ils apprennent à maîtriser cet outil. À la fin de 2014, ses bases de données étaient alimentées à 73 % dans la région, contre 16 % au niveau national. La conjonction d’un accompagnement de la MARTAA et de l’incitation de l’ARS a donc fait ses preuves.

L’ARS exige en effet que les 123 établissements de santé de la région, notamment le CHU de Nantes, ne puissent, à partir du 30 juin 2015, déposer de projet d’investissement qu’à la condition d’avoir rempli au moins le premier socle des données dans la base OPHELIE.

● L’accompagnement à la gestion de la dette et de la trésorerie constitue le dernier axe de travail de MARTAA. L’ARS s’est rendu compte que les établissements de santé peinaient à en développer une vision prospective, notamment lorsqu’il s’agissait d’établir les plans globaux de financement pluriannuel.

La gestion de la dette constitue une nouvelle demande formulée, au cours d’une réunion du conseil d’administration, par le directeur régional de la FHF. Il s’agit de connaître la situation réelle dans la région et d’accompagner les établissements de santé qui ont souscrit des emprunts structurés ou toxiques.

Un recensement exhaustif de la dette et de sa structure va être mené auprès des établissements sanitaires comme médico-sociaux. La MARTAA pourra ensuite proposer un plan d’action, préconisant l’institution d’un observatoire régional, d’un espace collaboratif dédié et le développement d’outils d’analyse. Cette mission envisage d’ailleurs de lancer un appel d’offres pour apporter la meilleure expertise aux établissements, dont les plus petits ne sauraient mener un audit externe et sécuriser seuls leurs emprunts.

Enfin, la MARTAA participe au comité de veille des emprunts à risque récemment mis en place par la FHF (Fédération hospitalière de France).

Lors de son audition, le président de la MARTAA a aussi envisagé une évolution de son rôle avec le développement des GHT (groupements hospitaliers de territoires) : « Pour l’avenir, nous réfléchissons à développer une offre de services auprès des GHT, en chiffrant à l’appui les gains d’opportunité à en attendre. Cette offre pourrait couvrir les systèmes d’information, la logistique, l’administration, la gestion financière, dont la dette… Nous devrions pouvoir présenter, pour chacun de ces domaines, un bilan coûts-avantages d’une mutualisation qui fasse l’économie d’un recours à un cabinet d’audit externe. La CHT44, communauté hospitalière de territoire de Loire-Atlantique, a ainsi déjà mandaté le groupement de coopération sanitaire (GCS) e-Santé pour développer un plan d’informatisation unique pour le futur GHT. ».

Il a aussi estimé que l’expérience de la MARTAA pourrait être étendue à dans d’autres Régions : « En tout état de cause, la MARTAA peut être dupliquée dans d’autres régions. La mutualisation d’activités logistiques, administratives, comptables et de ressources humaines mériterait d’être aussi expérimentée. ».

Un des aspects très positif de l’intervention de la mission MARTAA est d’inciter les établissements à avoir une démarche d’analyse de leur activité et de mesure objective de leurs forces et de leurs faiblesses.

La rapporteure estime qu’il faudrait valoriser et mieux faire connaître des logiciels d’aide à la décision tels que OPHELIE pour répertorier le patrimoine immobilier ou Ælipce et Hospi Diag pour disposer d’outils permettant de comparer les performances et de simuler les conséquences de réorganisation ou de nouveaux investissements. Elle se félicite que les données d’Hospi Diag soient depuis juillet 2014 accessibles sur la plateforme Etalab, elle-même hébergée sur le site : www.data.gouv.fr.

De nouveaux outils au service de la performance des établissements :
le Logiciel Ælipce

Conçu avec l’aide des ARS de Bretagne et d’Aquitaine, d’une cinquantaine de professionnels – cadres de santé, médecins, directeurs, ingénieurs, DIM (directeur de l’information médicale), cadres gestionnaires, contrôleurs de gestion – et testé dans une quinzaine d’établissements tant publics que privés de toutes tailles, l’outil Ælipce est un logiciel d’aide à la décision pour l’amélioration de la performance des organisations à destination des établissements de santé publics et privés, des ARS et des chefs de pôles. Il permet de modéliser l’activité de soins : activité clinique et plateau techniques (RUM, DMS, capacitaire, ressources humaines…), de tester des hypothèses d’organisation et d’en évaluer les conséquences en termes de capacité, de ressources humaines (personnel soignant), de recettes, de dimensionnement en surface et économique.

L’outil comprend plusieurs modules permettant de :

– modéliser l’activité clinique et le plateau technique : bloc opératoire, imagerie, laboratoires, consultations externes et explorations fonctionnelles ;

– prévoir le dimensionnement en surface d’un projet d’investissement, évaluer le coût d’investissement, d’exploitation et de maintenance d’un projet avec le calcul du temps de retour à l’équilibre du projet.

Cet outil est composé de 3 modules indépendants accessibles via internet :

ap.fr/fileadmin/user_upload/actualites/RTEmagicC_modules_aelipce.jpg.jpg

En juillet 2013, une journée de lancement de l’accompagnement Ælipce s’est tenue au Centre Hospitalier Régional Universitaire de Lille avec une présentation notamment de la démarche et du dispositif d’accompagnement proposé en régions, auprès des responsables de pôles, auprès des professionnels en charge d’un projet de réorganisation et de leurs équipes (3 personnes désignées par établissement). À l’issue de la première vague d’appel à candidatures, 77 établissements publics et privés et ARS ont candidaté pour un accompagnement qui a débuté en décembre 2013. Lors du premier semestre 2014, un nouvel appel à candidatures a été lancé via le site internet de l’agence de l’ANAP. Chaque établissement candidat doit définir un projet d’investissement ou de réorganisation sur lequel il testera l’apport de ce logiciel.

Le logiciel Hospi Diag

Hospi Diag est un outil d’aide à la décision, lancé en 2011, permettant de mesurer la performance d’un établissement de santé qui pratique de la médecine, de la chirurgie ou de l’obstétrique (MCO), en comparaison avec d’autres établissements de santé. Il permet à chaque établissement d’identifier ses forces et ses faiblesses et donc les gisements de performance dans 5 domaines : qualité des soins, pratiques professionnelles, organisation des soins, ressources humaines et finances.

Porté par l’ANAP, Hospi Diag résulte d’un accord de 41 experts métiers et de 5 institutions (ANAP, DGOS, HAS, IGAS, ATIH (16)).

Hospi Diag permet de :

– mieux se connaître (69 indicateurs et une carte d’identité de 80 données), avec la possibilité d’accéder à des informations triées issues du croisement de 12 bases de données nationales (PMSI, SAE…) ;

– mieux se comparer (avec une base de 1 350 établissements de MCO). Chaque établissement est comparé avec les établissements de sa région, les établissements de même profil d’activité (typologies nationales) et les établissements de même catégorie. L’outil mesure la performance de 1 350 établissements à partir de 69 indicateurs en comparant chacun d’entre eux avec les 20 % les plus performants et les 20 % les moins performants sur trois niveaux (région, catégorie juridique et typologie nationale) ;

– mieux dialoguer en interne et avec les ARS, en soutien d’un dialogue interne entre les directeurs, médecins et soignants dans le cadre d’une aide au pilotage interne et d’un positionnement stratégique, et en soutien du dialogue des établissements avec les ARS. Son utilisation est notamment préconisée pour l’élaboration des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens entre ARS et établissements, pour le bilan social.

Indicateur de performance – Volet financier

Source : ANAP – logiciel Hospi Diag.

Préconisation n° 6 : Développer une expertise financière mutualisée

Favoriser le développement d’une expertise financière mutualisée, dans le sens de ce qu’a réalisé la mission MARTAA en région Pays-de-la-Loire, afin que les établissements de santé disposent d’une expertise indépendante capable de les appuyer dans différents aspects de leur gestion et de contribuer notamment à la diffusion d’outils de gestion comme les logiciels Ælipce ou Hospi Diag, conçus en tenant compte des contraintes spécifiques du service public hospitalier.

Cette expertise pourrait s’appuyer sur les ARS, sur l’Agence nationale compétente, ou, dans l’attente, sur des structures plus empiriques, telles que la mission MARTAA.

2. Améliorer encore la formation des cadres dirigeants des centres hospitaliers et des ARS en matière de gestion financière

De nombreuses personnes auditionnées ont fait part de la bonne qualité de la formation reçue dans le cadre de l’École des hautes études en Santé publique (EHESP) qui a été d’ailleurs assez profondément remaniée après la révélation de la crise des emprunts toxiques.

Mme Danielle Toupiller, directrice du Centre national de gestion (CNG), a ainsi expliqué que l’EHESP avait renforcé ses formations financières sous trois aspects :

« Dans le cadre de la formation initiale, l’EHESP forme chaque année une cinquantaine de directeurs d’hôpital, contre une centaine historiquement. Le nombre de places au concours a été diminué mais il va de nouveau augmenter à nouveau compte tenu de l’évolution démographique du corps. Les lauréats du concours sont issus, à plus de 70 %, des instituts d’études politiques ou de cycles complémentaires en droit. Peu d’entre eux sont donc économistes ou formés aux stratégies financières. Les élèves directeurs d’hôpital suivent une formation à caractère polyvalent complétée par des modules de spécialisation. L’un de ces modules porte sur l’analyse et le pilotage financiers, sur la gestion des risques dans les projets d’investissement, sur la négociation et la gestion de la dette, ainsi que sur certains éléments de mathématiques financières. Il est suivi notamment par les élèves qui ont vocation à occuper, à la sortie de l’école, des postes de direction dans les services chargés de la stratégie économique et financière, des investissements et du contrôle de gestion. L’EHESP a plus particulièrement mis l’accent sur ce module à partir de 2010 et 2011.

Depuis quelques années – tel n’était pas le cas auparavant –, l’EHESP forme également les attachés d’administration hospitalière. Ceux-ci sont les premiers collaborateurs des directeurs, auxquels ils apportent leur expertise technique dans différents domaines, notamment financier. Ils ont une formation de très bon niveau et suivent, eux aussi, un module de spécialisation en matière de gestion financière des établissements.

Des efforts ont aussi été faits pour améliorer la formation continue : l’institut du management de l’EHESP a développé deux programmes de formation continue à la demande du ministère de la santé, en lien avec le CNG. Il propose, d’une part, un cycle qui aboutit à la délivrance du diplôme de « gestion financière d’un établissement de santé ». Celui-ci s’adresse à des profils pluridisciplinaires, non seulement aux directeurs d’hôpital, mais aussi aux médecins – notamment aux médecins directeurs de l’information médicale, qui sont de véritables « capteurs » d’informations utiles à l’analyse financière et à la stratégie –, aux attachés d’administration hospitalière, aux contrôleurs de gestion des établissements hospitaliers et aux cadres des services centraux et déconcentrés de l’État. Les programmes de formation continue de l’EHESP présentent l’intérêt d’être suivis à la fois par des cadres supérieurs et intermédiaires de la fonction publique hospitalière et par des agents appelés à rejoindre les agences régionales de santé (ARS) ou leurs délégations territoriales. Ces deux catégories de professionnels y apprennent les mêmes références, partagent les mêmes expériences et travaillent sur les mêmes cas concrets.

L’institut du management de l’EHESP propose, aussi un module spécialisé portant sur le diagnostic financier appliqué, sur le financement des investissements, ainsi que sur la gestion de la trésorerie et de la dette. Les programmes de formation continue n’ont, bien sûr, pas de caractère obligatoire : ils sont suivis par des agents déjà en fonction, sur la base du volontariat, dans le cadre du plan de formation de chaque établissement. »

Déplacement à l’École des hautes études en santé publique

Lors d’un déplacement de la rapporteure à l’École des hautes études en santé publique (EHESP), son directeur, M. Laurent Chambaud, a souligné que la formation « socle » en matière financière des élèves directeurs d’hôpitaux était très complète car elle représentait 103 heures sur un volume total d’enseignement de 602 heures. La spécialisation financière permet d’ajouter 190 heures d’enseignement supplémentaires pour ceux qui choisissent cette orientation. Cette formation concerne la comptabilité mais aussi la stratégie financière, l’élaboration et la gestion d’un budget avec la T2A, le contrôle de gestion et la mise en place d’un financement pluriannuel.

De même, une formation à la gouvernance de la gestion hospitalière vient d’être mise en place pour les receveurs hospitaliers au moment de leur prise de poste.

M. Laurent Chambaud a indiqué que la formation des agents de l’État, notamment au sein des agences régionales de santé, était particulièrement cruciale et devait être développée, et ce d’autant plus que selon la taille de ces agences, le nombre de personnes chargées des questions financières était variable et qu’il n’y avait pas toujours des services spécifiques pour suivre les projets d’investissements.

De même, une formation pourrait utilement être mise en place pour les membres des conseils de surveillance des hôpitaux, afin de leur permettre de savoir analyser un compte financier.

Par ailleurs, il a considéré que la formation continue devait être développée afin d’accompagner les changements de poste, particulièrement lorsqu’ils concernaient des domaines aussi techniques que les questions financières.

En effet, depuis la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, une formation est obligatoire pour les directeurs d’hôpitaux qui deviennent chef d’établissement. En revanche, pour les directeurs qui changent de poste, passant par exemple des ressources humaines aux affaires financières, la formation repose sur le volontariat. Le développement du caractère systématique de la formation continue pour ces changements de poste serait donc une piste de réforme.

Au-delà, depuis 2012, l’EHESP organise chaque année un colloque national avec Arkéa Banque Entreprises et Institutionnels du groupe Crédit Mutuel. La troisième édition de ce colloque, qui s’est déroulée le 27 juin 2014, a porté sur les stratégies de financement des investissements dans les établissements publics de santé et sur les incidences de la certification des comptes hospitaliers.

Des progrès restent cependant à faire notamment pour former les ex-inspecteurs des DDASS et des DRASS (anciennes directions respectivement départementales et régionales des affaires sanitaires et sociales) qui exercent aujourd’hui des fonctions de tutelle financière dans les ARS alors que leur niveau de technicité financière est encore perfectible. M. Jean Yves Grall, directeur général de l’ARS Nord-Pas-de-Calais et président du Collège des directeurs d’ARS a insisté sur cet aspect en indiquant que les ARS manquaient de compétences « pointues » en gestion financière. Il a fait part des difficultés de recrutement de tels profils et de la nécessité d’approfondir la technicité des agents chargés d’instruire les dossiers d’investissement.

Il conviendrait aussi de veiller à la diversification des élèves passant le concours de directeurs d’hôpitaux pour attirer des profils issus d’école de commerce ou ayant des compétences dans les techniques quantitatives de gestion. Mme Danielle Toupillier a d’ailleurs précisé lors de son audition devant la MECSS : « Avec le ministère de la santé et l’EHESP, nous cherchons actuellement à diversifier les parcours. C’est pourquoi nous allons ouvrir, à partir de 2015, un troisième concours, en plus des concours interne et externe. »

Préconisation n° 7 : Diversifier le recrutement des directeurs d’hôpitaux

Faire évoluer le concours externe de recrutement des directeurs d’hôpitaux pour attirer des profils formés aux techniques de gestion.

Préconisation n° 8 : Renforcer les compétences en gestion financière

Renforcer la formation en techniques de gestion et culture financière des cadres des ARS appelés à instruire les dossiers de financement des investissements ou à exercer la tutelle financière sur les centres hospitaliers.

Pour parvenir à des formations plus en prise avec les problématiques financières actuelles, il pourrait être envisagé de renforcer la coopération entre le CNG et l’EHESP pour former de manière ciblée aux problématiques financières, y compris les cadres des établissements médico-sociaux.

Interrogée sur ce point, Mme Danielle Toupillet a répondu que cette préconisation pourrait tout à fait être retenue. Elle a précisé : « Le décret du 4 mai 2007 modifié relatif à l’organisation et au fonctionnement du CNG prévoit, dans son article 2, que le CNG peut définir des actions de formation au profit des praticiens hospitaliers, des directeurs d’hôpital, des D3S et des directeurs des soins. À ce jour, cette compétence n’a jamais été utilisée. À la lumière des conseils que pourrait formuler la MECSS à l’issue de ses auditions, le CNG pourrait, le cas échéant, définir des actions de formation dans le cadre de son partenariat avec l’EHESP – la convention en cours pourrait être complétée à cette fin – et en lien avec la DGOS et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Ainsi, ces programmes pourraient s’adresser d’abord aux hôpitaux, puis être étendus, dans un deuxième temps, aux quelque 1 800 établissements sociaux et médico-sociaux qui relèvent de la DGCS. Si ces derniers ont une surface financière moindre que les hôpitaux, ils sont très proches des collectivités territoriales, lesquelles ont été elles-mêmes très affectées par les emprunts toxiques. ».

Au cours de la deuxième audition des établissements bancaires, a été évoquée l’idée de la participation des banques à des modules de formation sur l’ingénierie financière pour les directeurs d’hôpitaux.

En réponse, M. Richard Boutet, parlant au nom de la profession bancaire, a précisé : « La Fédération bancaire française n’a pas mis au point de module de formation à proprement parler, mais l’information des entreprises publiques et privées à ce sujet, sur papier et par le biais d’internet, est l’une de nos priorités. Nous pourrions travailler avec vous à une action visant plus particulièrement les établissements de santé. »

Pour améliorer la réactivité des équipes de direction et faire évoluer les techniques de gestion selon les nouvelles problématiques, notamment celle des nouveaux produits financiers, on peut aussi penser au développement de groupes de travail entre pairs pour échanger des expériences.

Mme Danielle Toupillier a indiqué lors de son audition que le CNG avait pour objectif de développer cette forme de formation continue et d’échanges sur les bonnes pratiques : « le CNG a mis en place des ateliers de co-développement, pratique qui s’est beaucoup développée au Canada il y a une quinzaine d’années. Il s’agit d’échanges d’expérience entre pairs, en petit groupe, à propos de situations imaginées ou vécues. Certains ont été confrontés, par exemple, à des situations financières très tendues ou à des plans de retour à l’équilibre qui les ont particulièrement perturbés. Ce dispositif d’accompagnement professionnel permet aux participants de réaliser des progrès très sensibles. Nous avons actuellement plusieurs ateliers très actifs, qui impliquent notamment des D3S, lesquels sont souvent les plus isolés dans l’exercice de leurs fonctions. Nous avons l’intention de poursuivre et d’intensifier ce programme, le cas échéant en partenariat avec l’EHESP et en lien avec la DGOS et la DGCS. »

Plusieurs personnes rencontrées lors des déplacements de la rapporteure lui ont fait part de la nécessité de développer des formes de coaching personnalisé notamment pour les directeurs qui changent de fonction pour passer d’une direction des Ressources humaines à celle des affaires financières ou qui reprennent une direction de plein exercice dans un établissement en grave difficulté financière ou à l’issue d’une période d’administration provisoire.

Le CNG développe aussi des formes de coaching ou d’accompagnement collectif. Il s’agit parfois d’aider à implanter de nouvelles techniques de travail ou parfois d’un accompagnement plus psychologique pour aider à la conduite du changement.

Le CNG développe ainsi des projets pilotes stratégiques avec les ARS, comme avec l’ARS de Rhône-Alpes, et la branche régionale de la Fédération hospitalière de France et six établissements expérimentateurs de la région afin de mettre en place un système d’échange d’informations sur les temps médicaux. L’objectif est d’avoir une image complète des temps médicaux à l’hôpital public, en faisant remonter au niveau national les données concernant les praticiens contractuels gérés au niveau de chaque établissement. Ceux-ci représentent environ 30 % des praticiens hospitaliers. L’objectif est ainsi d’évaluer les postes vacants et de mieux cerner les contraintes d’organisation pour essayer de mieux coordonner les plannings infirmiers et ceux des praticiens. Le même travail sera fait ensuite pour les équipes de direction.

Le CNG va développer, à partir de cette année, des programmes d’accompagnement collectif dans un ou deux CHU volontaires. Il s’agira d’accompagner une équipe entière de direction ou de praticiens hospitaliers, en matière de management et de conduite du changement, ou pour développer certaines compétences spécifiques.

Préconisation n° 9 : renforcer la formation continue et le partage d’expérience entre pairs

Renforcer l’offre de formation continue en matière financière pour les directeurs hospitaliers, cadres des ARS en privilégiant une approche pratique. Encourager une nouvelle coopération entre le CNG et l’EHESP pour mettre en place des formations en ce sens, et développer la mise en place de groupe de travail pour promouvoir le partage de bonnes pratiques entre pairs.

Préconisation n° 10 : anticiper les recrutements de directeurs d’hôpitaux et développer le coaching

Développer la pratique du coaching individuel notamment pour les prises de fonction les plus délicates pour les directeurs. Mieux anticiper certains recrutements notamment à l’issue des périodes d’administration provisoire pour susciter des candidatures avec l’assurance que le candidat retenu sera accompagné par un coach ou des référents expérimentés.

E. REVOIR CERTAINS MÉCANISMES FINANCIERS POUR POURSUIVRE L’EFFORT D’INVESTISSEMENT

L’application de la tarification à l’activité semble parfois rendre plus difficile le financement régulier des investissements.

Ces conséquences négatives avaient déjà été signalées par la mission commune IGAS/IGF dans son rapport de mars 2013 (17) : « La mission a pu démontrer que les coûts d’investissements ne sont pas intégralement inclus dans les tarifs et que cette inclusion est purement théorique. Au demeurant, la régulation prix/volume, aboutissant à la fixation du niveau des tarifs, ne permet pas de prendre en compte le niveau des charges. Plus préoccupant, la mission a mis en évidence un décrochage entre les tarifs et la couverture des charges, qui menace la situation financière des établissements… Au final, les tarifs couvrent l’investissement courant et n’ont couvert que partiellement, étant donné le faible niveau des marges brutes passées, les charges d’investissements immobiliers lourds. Les opérations immobilières lourdes relevant de la recomposition de l’offre de soins peuvent donc justifier un financement par dotations ou subventions ».

La rapporteure tient à témoigner que, dans certains établissements, notamment ceux où elle s’est rendue, les tarifs actuels ne permettent même pas de financer les investissements de renouvellement, la situation de certains établissements étant encore plus grave que celle analysée par la mission commune précitée.

1. Des modifications importantes dans la T2A (tarification à l’activité)

L’application combinée de la tarification à l’activité et une gestion rigoureuse de l’ONDAM hospitalier conduisent à compromettre le financement des investissements, notamment pour le renouvellement du matériel. En effet comme l’ont souligné plusieurs personnes auditionnées, dont M. Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, il est très difficile pour les hôpitaux de dégager une capacité d’autofinancement : « Il est d’autant plus difficile de dégager une capacité d’autofinancement qu’il nous est demandé de réaliser un effort de productivité de 3 % par an, ce qui est considérable : peu d’acteurs économiques sont soumis à de telles exigences. Nous devons en effet couvrir nos charges avec des recettes de plus en plus contraintes, compte tenu de la diminution des tarifs. ».

M. Éric-Alban Giroux, directeur d’hôpital et représentant l’Union fédérale des médecins, ingénieurs, cadres et techniciens (UFMICT-CGT), a aussi donné à la MECSS une explication très imagée du mécanisme : « dans le mécanisme de la T2A, on prend par exemple comme année de référence l’année 2014 et l’on dit que la Nation autorise la réalisation de dix prothèses de hanche payées chacune 10 euros. L’ONDAM hospitalier pour l’année 2014 pour les prothèses de hanche est donc de 100 euros et on n’a pas en principe le droit de le dépasser. Mais à la fin de l’année, s’il s’avère que l’on a fait non pas dix mais douze prothèses de hanche, on a donc dépassé l’ONDAM de vingt euros. Premier mécanisme : en 2015, on réduit la valeur de l’opération pour la prothèse de hanche de dix euros à huit euros, c’est-à-dire que l’on diminue le prix de l’unité pour conserver un volume d’ONDAM inchangé.

Deuxième mécanisme : on demande de rendre les deux euros dépensés en plus. Cet effet prix-volume, qui était un système de régulation de l’ONDAM, n’est pas lié à une attractivité, qui serait magique, des dirigeants hospitaliers mais à l’augmentation des besoins de populations qui sont venues massivement et de plus en plus vers les structures d’urgence. Cet effet prix-volume a fait chuter complètement nos bases de calcul de retour sur investissement. Pour notre part, nous avions prévu les augmentations de populations, mais l’ONDAM n’a pas été relevé en conséquence. »

Pour M. Daniel le Ray, coordinateur de la MARTAA, la question du financement se pose en effet surtout pour les établissements de taille petite et moyenne, notamment pour ceux qui vont bientôt passer à la tarification à l’activité (T2A). Il a cependant noté un facteur d’optimisme : « Le modèle T2A-SSR (18) serait cependant plus favorable aux établissements que le modèle T2A retenu pour le secteur MCO. Grâce à la notion de socle, les charges fixes pourraient être prises en compte dans la tarification, par exemple les charges d’emprunt. Cela représenterait un progrès par rapport à l’actuelle facturation selon les groupes homogènes de séjour (GHS), en permettant une meilleure prise en compte de la notion d’investissement. Encore faut-il espérer que la grille tarifaire soit plus stable pour la T2A-SSR que pour la T2A-MCO. Adoptée il y a dix ans, cette dernière a connu depuis cette date non moins de vingt versions différentes. »

La rapporteure tient à souligner que certaines règles de tarification devraient être modifiées comme l’a suggéré M. Jacques Grolier, maître de conférences hors classe à la Faculté des sciences économiques de l’Université de Rennes 1 et fondateur du master d’économie et de gestion des établissements sanitaires et sociaux (EGESS). Dans la contribution écrite qu’il a bien voulu lui faire parvenir, il insiste sur la nécessité de renforcer la capacité d’autofinancement des établissements et sur l’importance des dotations aux amortissements.

Il a ainsi estimé que : « … il convient que les dotations aux amortissements soient prises en compte dans les tarifs, ce qui devrait en toute rigueur être le cas puisque nous sommes bien là en présence d’une composante des coûts. Dans la facture que me présente mon plombier, il y a les pièces et la main‐d’œuvre, mais il y a aussi une petite quote‐part du prix d’achat du véhicule qu’il a utilisé pour se rendre à mon domicile. De la même façon, un tarif de GHS devrait prendre en compte, au‐delà du temps du personnel soignant et des médicaments, une quote‐part des équipements et bâtiments utilisés dans le cadre de l’hospitalisation : c’est le rôle des dotations aux amortissements. Mais les tarifs T2A n’intègrent pas la prise en compte des dotations aux amortissements, restreignant par là même la capacité d’autofinancement. »

Selon lui, ce mécanisme est aggravé par la répartition actuelle de l’ONDAM. Le terme de « tarification à l’activité » est un trompe l’œil qui cache la réalité d’un ONDAM limitatif. Le financement des établissements de santé correspond à une dotation globale au niveau macroéconomique, dotation répartie proportionnellement à l’activité au niveau microéconomique.

« Les tarifs des GHS se sont progressivement éloignés des coûts et ils ne favorisent pas le dégagement de marges brutes d’autofinancement, donc de couverture des investissements. De plus, leurs variations fréquentes suscitent des difficultés prévisionnelles fortes. »

M. Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, a lui aussi insisté sur l’importance de la visibilité et sur la stabilité des règles du jeu pour financer l’offre de soins. Il a rappelé que les recettes dépendaient de l’activité et relevaient donc de la responsabilité du gestionnaire de l’hôpital, mais que ces recettes étaient « écornées par des baisses de tarifs ». Tout en reconnaissant que certaines baisses de tarifs poussaient l’AP-HP à la vertu, à l’instar du développement de la chirurgie ambulatoire, il a déploré que « …d’autres baisses de tarif sont décidées pour des raisons d’opportunité. Nous les subissons parfois de plein fouet, car nous y sommes particulièrement sensibles compte tenu de notre taille et de l’importance de nos missions sociales : plus que les autres établissements, nous recevons de nombreux patients précaires ou bénéficiant de l’aide médicale de l’État (AME). Lorsque ces missions sont moins bien prises en compte dans les tarifs, les effets induits se chiffrent en millions, voire en dizaines de millions d’euros, ce qui a un impact très fort sur notre capacité à agir et à investir. »

Il a ajouté que la problématique de la dette devait être appréhendée de « manière contractuelle » :

« Or, au cours des dernières années, nous avons constaté un écart de plus de deux points entre l’évolution de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) voté par le Parlement et celle de l’enveloppe qui nous est attribuée au titre des MIGAC (missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation) – celle-ci a même parfois diminué. Nous comprenons, bien sûr, les mécanismes de rebasage et de comparaison qui peuvent conduire à un tel décrochage, mais le développement de nos missions est rarement pris en compte. Je plaide donc pour que nous bénéficiions d’une visibilité en la matière : en face de notre engagement en termes d’efforts doit être affiché un engagement en termes d’accompagnement.

Le troisième pilier du contrat doit être l’accompagnement de nos investissements, qui est indispensable pour que nous puissions élaborer et mener à bien nos opérations. »

Il a aussi fait part de sa crainte de voir l’hôpital public se faire distancer par l’offre privée qui sait montrer son attractivité : « … lorsque les établissements privés font de la publicité en présentant les robots qu’ils achètent pour 3 millions d’euros, ainsi que vous avez pu le voir hier dans Le Parisien, ils attirent les praticiens hospitaliers. Nous risquons d’assister à un « débobinage » de l’hôpital public si nous ne faisons pas en sorte qu’il puisse continuer à investir dans des conditions soutenables. »

Le caractère spécifique des petits établissements dits de « proximité » ou dans des zones en déprise démographique doit par ailleurs être mieux pris en compte. M. Yves Gaubert, représentant de la Fédération hospitalière de France, a bien analysé la situation en soulignant que : « La faiblesse des capacités d’autofinancement constitue un véritable handicap dont l’explication se trouve dans l’application du système de tarification à l’activité (T2A) fondé essentiellement sur le volume des actes. Dans ce cadre, les établissements qui se situent dans des zones à faible croissance démographique ne parviennent pas à générer l’activité minimale permettant de leur allouer des ressources suffisantes pour couvrir leurs besoins de financement. ».

Préconisation n° 11 : Clarifier et stabiliser les règles de la tarification à l’activité :

– Accélérer les travaux en cours sur la réforme de la T2A pour clarifier le devenir de cette tarification et lui faire gagner en stabilité, des décisions d’investissement de long terme ne pouvant être prises sur la base de règles tarifaires changeantes. Les tarifs doivent par ailleurs intégrer le financement de la dotation aux amortissements.

– Pour acter cet objectif de stabilité, la démarche contractuelle doit être renforcée : en contrepartie d’engagements sur des objectifs de productivité ou d’amélioration de l’offre de soins, les hôpitaux doivent disposer d’une visibilité au moins de trois ans sur les aides à l’investissement dont ils peuvent effectivement bénéficier.

– Poursuivre dans la voie engagée dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, qui a modifié le financement des hôpitaux de proximité. L’article 52 de cette loi prévoit de faire bénéficier les « établissements de proximité » d’un financement mixte, associant tarifs nationaux de prestations et dotations forfaitaires pour les activités de médecine. La spécificité des petits établissements contribuant à l’aménagement du territoire doit être réaffirmée et leur mode de financement doit être adapté.

2. Faut-il dissocier le financement des investissements immobiliers et des équipements médicaux ?

Plusieurs des personnes auditionnées ont estimé qu’il faudrait prévoir des modalités spécifiques pour les grands projets immobiliers alors que l’équipement lourd bio-médical pourrait être financé différemment.

Cette question est particulièrement complexe et la rapporteure tient surtout à engager le débat sans pouvoir apporter de solutions toutes faites.

M. Éric-Alban Giroux, représentant l’Union fédérale des médecins, ingénieurs, cadres et techniciens (UFMICT-CGT), a ainsi rappelé : « Du temps de la dotation globale hospitalière, la part liée aux investissements « exceptionnels », c’est-à-dire les investissements de renouvellement des parties immobilières, n’était pas prévue. Avec la T2A, c’est exactement la même chose. Dans la construction initiale de la T2A, les tarifs n’intégraient pas la part liée aux investissements qui devaient être négociés dans le cadre des Contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM). Il devait s’agir de nouvelles dotations exclues des tarifs. Aujourd’hui, le système nous demande de dégager des marges permettant de réaliser nos investissements. Mais ces marges n’ont jamais été intégrées aux tarifs. On est donc face à un système qui se “mord la queue”. »

Un consensus s’est dégagé pour constater que les règles actuelles de la tarification à l’activité ne permettaient pas de dégager de marges de manœuvre financières suffisantes pour l’investissement.

La Fédération hospitalière de France préconise en conséquence de déconnecter au moins le financement des investissements lourds du modèle de la tarification T2A qui dépend trop aujourd’hui du volume d’activité alors que, dans certains territoires, il est indispensable de maintenir une offre de soins même si le dynamisme démographique ne permet pas d’engranger les recettes nécessaires.

Certains ont fait valoir que l’hôpital public pourrait s’inspirer de certaines méthodes de gestion de l’hospitalisation privée à but lucratif qui a opéré ces dernières années un fort mouvement de concentration et surtout une dissociation entre les gestionnaires de l’activité médicale et les propriétaires de l’immobilier qui, via des sociétés civiles immobilières, sont désormais responsables de l’entretien du bâti, qu’ils mettent à disposition des équipes soignantes en contrepartie du paiement d’un loyer.

Ce modèle économique ne semble cependant pas facilement transposable au secteur public.

M. Jacques Grolier, expert précité, a ainsi, pour sa part, considéré, en réponse aux questions de la rapporteure, que la dissociation entre gestion médicale et gestion de l’immobilier risquait de démobiliser les équipes médicales qui ne peuvent se désintéresser des contraintes de l’immobilier en termes d’organisation. « L’évolution constante des pratiques hospitalières semble nécessiter une naturelle fusion entre l’exploitation et l’investissement : la dilution, voire la dissolution de responsabilités résultant de la coexistence de deux organismes complémentaires serait, à mon avis, préjudiciable à une bonne prestation de service public. Concernant les établissements privés, la lecture peut être différente. La stratégie d’externalisation de l’investissement permet en effet de dégager des liquidités favorisant l’acquisition de groupes concurrents. Mais cette politique conduit à générer des charges fixes de loyer importantes et elle limite l’indépendance et la flexibilité organisationnelles. »

Le recours au « Partenariat Public-Privé » ainsi qu’au crédit-bail (sauf pour ce qui concerne le crédit-bail concernant les équipements à renouveler plus rapidement que de besoin sanitaire, pour des motifs de recherche, par exemple) présente par ailleurs de sérieux inconvénients.

Ces modes de financement interdisent en effet tout amortissement, alors que les dotations aux amortissements constituent la source essentielle de l’autofinancement. Se couper de cette source signifie, à terme, s’interdire toute possibilité d’investissement. Les méthodes de financement hors bilan sacrifient effectivement les finances futures à long terme à un présent budgétaire contraint : remplacer une dépense immédiate d’investissement, certes importante, par des loyers futurs apparemment moins contraignants, peut paraître attrayant, mais cela favorise un engagement de l’investisseur au-delà de sa capacité réelle de financement et limite considérablement ses décisions futures.

Les gestionnaires d’établissement doivent néanmoins disposer d’une panoplie diversifiée d’outils financiers. Or, pour éviter certains mécanismes risqués, les pouvoirs publics sont allés trop loin dans la restriction des initiatives financières des gestionnaires hospitaliers.

L’article 34 de la loi n° 2004-1653 du 29 décembre 2014 de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 avait interdit aux hôpitaux et aux structures de coopération sanitaires, certains contrats, au 1er janvier 2015, comme les contrats de partenariat public-privé, les autorisations d’occupation temporaire, les baux emphytéotiques et les contrats de crédit-bail.

Lors de ses déplacements, la rapporteure a reçu le témoignage de plusieurs médecins exprimant leur inquiétude suite aux décisions restrictives relatives au crédit-bail. Le responsable du Pôle Imagerie de l’hôpital à l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) a ainsi expliqué combien l’obsolescence des appareils d’IRM et de scanner était préoccupante dans un contexte de concurrence très vive entre le public et le privé pour les actes de radiologie et les explorations fonctionnelles. Il a indiqué que la France gagnerait à s’inspirer de modèles étrangers où les établissements de santé peuvent faire financer par certains industriels en matériel bio-médical les investissements préalables à l’installation d’un scanner ou d’une IRM dans des services hospitaliers publics. Il est fréquent, en Allemagne par exemple, que les sociétés mettent à disposition des hôpitaux des matériels de pointe, l’hôpital payant une redevance qui comprend un loyer et une sorte de forfait pour l’entretien et l’assistance en cas de dysfonctionnements.

Un amendement gouvernemental au projet de loi de modernisation de notre système de santé a proposé de revenir sur les aspects les plus rigoureux de cette restriction. Le crédit-bail pour les équipements et les autorisations d’occupation temporaire du domaine public devrait ainsi redevenir possible, s’agissant des établissements soumis au code de la santé publique, dans les conditions qui prévalaient antérieurement, permettant la poursuite de leur utilisation.

La rapporteure se félicite à cet égard que les établissements aient de nouveau la possibilité de recourir au crédit-bail pour procéder à des acquisitions de matériel lourd comme les appareils d’imagerie.

La rapporteure tient enfin à évoquer un thème complexe qui a été évoqué à de multiples reprises lors de ses déplacements. Certains établissements sont dans l’incapacité de faire face aux investissements nécessaires pour respecter les normes en matière d’incendie ou de sécurité pour les immeubles de grande hauteur. L’AP-HM est ainsi contrainte, à Marseille, de laisser ouverts deux établissements très importants qui ne répondent plus aux normes de sécurité. Cette situation est préoccupante en termes de responsabilité car, en cas d’incident, la responsabilité pénale des directeurs serait engagée, mais de manière plus générale, il conviendrait de mener une réflexion sur la définition de ces normes de sécurité incendie et sur les installations électriques. Comment sont-elles fixées ? Comment peuvent-elles s’appliquer indifféremment à des bâtiments neufs mais aussi à des bâtiments plus anciens dans lesquels cette mise aux normes entraîne parfois des travaux surdimensionnés au regard de la durée de vie future des bâtiments.

Dans la réflexion en cours menée par le Gouvernement sur la simplification, la question des normes techniques est très importante car l’instabilité des règles applicables conduit à une insécurité juridique pour les directeurs d’établissement qui conduisent les travaux et l’on peut parfois s’interroger sur le fait de devoir renoncer à moderniser certains plateaux techniques pour respecter des normes de sécurité toujours plus drastiques, les moyens financiers consacrés aux investissements étant globalement très contraints.

Préconisation n° 12 : Faire évoluer les règles de financement des investissements :

– Engager une réflexion avec les professionnels sur l’évolution du financement des investissements, en s’inspirant notamment des expériences étrangères.

– Veiller à dégager des marges financières suffisantes pour permettre le financement des grands projets immobiliers lorsqu’ils sont indispensables.

– Compte tenu du risque d’obsolescence rapide du parc de matériel bio-médical lourd, du fait du progrès médical et des moyens financiers contraints, inciter à trouver des modes alternatifs de financement, inspirés par exemple du mécanisme du crédit-bail.

3. Les relations entre les établissements et les agences régionales de santé (ARS)

Les relations entre les établissements de santé et les ARS sont assez hétérogènes et résultent de facteurs historiques comme sociologiques. Les régions françaises où la densité hospitalière est très forte ont des relations souvent plus distantes avec les autorités de tutelle que dans les zones moins peuplées.

La rapporteure a néanmoins été frappée, lors de ses déplacements, de constater que les praticiens de terrain se plaignaient souvent d’une présence tatillonne de la tutelle dans le quotidien avec la demande de multiples renseignements chiffrés très détaillés mais avec simultanément un manque de visibilité des grandes orientations stratégiques.

Les représentants de l’hôpital d’Aubagne ont par exemple indiqué n’avoir qu’une faible visibilité sur la stratégie des pouvoirs publics à son égard : soit les liens logistiques et médicaux se renforcent avec l’AP-HM pour définir une réelle offre publique de proximité, soit le centre hospitalier intensifie sa coopération avec la clinique privée avec qui il pourrait trouver des synergies intéressantes. L’ARS mène pour l’instant une politique attentiste, en partie pour des raisons de contexte politique local, mais cette absence de choix aggrave la situation financière de l’hôpital d’Aubagne qui ne peut pas par exemple proposer une offre de médecine gériatrique suffisante faute de décision sur la réorganisation de ses services. Pendant ce temps, des patients se détournent de l’hôpital de proximité et vont se faire soigner dans les établissements de l’AP-HM situés à peu de distance.

Les ARS sont elles-mêmes tributaires de certaines règles des finances publiques qui rendent très difficile une programmation pluriannuelle sérieuse des financements. Plusieurs établissements ont ainsi déploré que, malgré des engagements contractés dans le cadre de projets d’investissements, ils n’ont reçu au final qu’une partie des aides à l’investissement promises. De même, il est très préjudiciable que certains tarifs ou aides financières ne soient arrêtés qu’en toute fin d’exercice budgétaire, ce retard provenant souvent de mise en réserves de certains crédits qui sont ainsi débloqués dans la précipitation et dans une certaine opacité.

Les directeurs d’hôpitaux qui ont été auditionnés ont regretté d’être passés d’un extrême à l’autre dans l’instruction des décisions financières. Après une période de trop forte autonomie des directeurs d’hôpitaux, notamment dans les décisions d’emprunt, les conseils d’administration n’ayant plus à en délibérer, il est aujourd’hui nécessaire de demander une autorisation d’emprunt au préalable à l’ARS dès lors que l’établissement est considéré comme surendetté ou a de mauvais indices de financement.

M. Frédéric Boiron, président de l’Association des directeurs d’hôpital (ADH), a ainsi regretté la situation actuelle qui crée de grandes rigidités pour les gestionnaires d’établissements : « Nous appelons de nos vœux une évolution de la réglementation. Nous considérons que le dispositif gagnerait en efficacité si le contrôle s’exerçait non plus sur chaque emprunt individuellement, mais sur une année, voire sur plusieurs années s’agissant de grosses opérations, avec possibilité de reports et de modifications de la décision si nécessaire. Cela permettrait à la politique de gestion de la dette d’être active tout en étant bornée. »

Les ARS, en particulier celles qui sont devenues des entités importantes comme celle de la région PACA, gagneraient à améliorer leur transparence. De nombreux témoignages ont été donnés à la rapporteure mettant en exergue la difficulté à disposer d’une prise de position claire de l’ARS sur certains projets d’investissement par exemple, les antennes régionales des ARS n’ayant parfois pas la même analyse que les services du siège de la même agence. De plus, pour les établissements faisant l’objet d’un suivi dans le cadre de la procédure « performance » du COPERMO, ainsi qu’il a été dit précédemment, il est parfois déstabilisant de faire l’objet d’un audit non contradictoire de la part de l’ARS qui communique des éléments d’information au COPERMO sans que le directeur concerné ne sache ce que l’on reproche à sa gestion. Ces méthodes ne contribuent pas à établir des relations de confiance entre les ARS et les établissements.

4. Diversifier les financements possibles ?

La nécessité de diversifier les sources de financement des hôpitaux fait consensus pour tenter de limiter leur dépendance vis-à-vis des établissements bancaires, mais les voies possibles pour y parvenir sont beaucoup plus discutées.

La Cour des Comptes a fait notamment remarquer dans sa communication précitée que, compte tenu du contingentement de l’offre bancaire et de la persistance de marges bancaires extrêmement élevées, il est tout à fait souhaitable que les établissements cherchent à diversifier leur financement notamment par des émissions obligataires. Cette possibilité, complémentaire du financement bancaire concerne essentiellement les grands établissements, mais certaines émissions groupées pourraient permettre un accès plus large au financement obligataire.

a. Interdire l’accès des hôpitaux publics aux crédits de trésorerie ?

Dans sa communication, la Cour des comptes incite les établissements à professionnaliser leur gestion de la dette tout particulièrement la dette à court terme. Les établissements doivent progresser afin de mieux adapter leurs financements de court terme à leurs besoins qui doivent être calculés au plus juste et « minimisés par une gestion active des encaissements et décaissements ». La Cour recommande d’ailleurs de rendre obligatoire un plan prévisionnel de trésorerie sur six mois glissants et la présentation par les directeurs d’établissement de présenter annuellement au conseil de surveillance la stratégie de gestion de la dette avec notamment un point sur la désensibilisation des emprunts structurés.

L’Inspection générale des finances s’est, pour sa part, prononcée dans son rapport précité de mars 2013 pour l’interdiction des lignes de trésorerie.

Les personnes auditionnées ont cependant toutes estimé que cette position était trop rigoureuse.

M. Jean Debeaupuis, directeur général de l’offre de soins, a tenu à nuancer cette position.

Dans son rapport, l’IGF considérait que les hôpitaux bénéficiant pour majorité de ressources stables aux versements fixés réglementairement (produits versés par l’assurance maladie) et de charges dont le décaissement est connu pour leur majorité à l’avance (traitement des agents), l’utilité d’une ligne de crédit de trésorerie apparaissait fortement réduite.

Cette analyse doit toutefois être nuancée car les hôpitaux doivent faire face à des encaissements comme à des décaissements parfois difficilement prévisibles en termes de montants comme de dates. Il en est ainsi notamment des factures des fournisseurs d’immobilisations, des produits d’assurance maladie non notifiés, des ressources à l’activité (du fait de problèmes de codages ou de changements de logiciels, etc.) ou encore de l’obtention d’une subvention ou d’un prêt. Il peut donc exister des décalages entre encaissements et décaissements que peut couvrir utilement une ligne de crédit de trésorerie.

Retirer aux établissements la possibilité de recourir aux financements bancaires de court terme emporterait des conséquences préjudiciables, non citées dans le rapport précité. Une telle décision serait en contradiction avec l’autonomie de gestion des hôpitaux et obligerait les hôpitaux à disposer d’une trésorerie très excédentaire et non rémunérée sous peine d’incident de paiement, les hôpitaux perdant aussi en souplesse de gestion financière.

Le problème n’est pas tant la possibilité d’avoir un découvert que de sa juste utilisation. Force est de constater que des hôpitaux ont eu accès pendant des années à des lignes de crédit de trésorerie très importantes couvrant jusqu’à plus de 2 mois de dépenses courantes mais avec l’assentiment des banques jusqu’en 2011. Des hôpitaux, en difficultés financières depuis plusieurs années, ont usé de ces facilités pour résoudre leurs tensions de trésorerie, sans que les banques ne modifient leur offre de service.

b. Permettre aux hôpitaux d’émettre des billets de trésorerie ?

La possibilité d’émettre des billets de trésorerie a été prévue par le 13 de l’article L. 213-3 du code monétaire et financier.

L’évaluation préalable de cette disposition législative nouvelle a souligné que ce type de financement peut présenter des avantages, notamment un gain de 200 points de base par rapport aux lignes de trésorerie ou aux autres crédits de court terme accordés par les banques, grâce à l’économie réalisée sur l’intermédiaire bancaire, une certaine flexibilité dans le choix des échéances (entre un jour et un an), ou encore une flexibilité du montant. Comme pour les émissions obligataires, ce type d’outil présente néanmoins de nombreuses contraintes : un montant minimum de 150 000 euros, la nécessité d’établir une documentation financière précise sur l’activité de l’établissement, sa situation économique et financière et son programme d’émission, l’obligation de recourir à une notation par une agence agréée.

Ce mécanisme, nécessairement ciblé du fait de ces contraintes, a été évoqué par l’Inspection générale des finances pour les trois plus grands CHRU. La direction du Budget, dans le cadre des arbitrages en cours, a plaidé pour une limitation de l’émission des billets de trésorerie aux établissements ayant une surface financière suffisante, un compte de résultat principal à l’équilibre et une capacité d’autofinancement satisfaisante.

M. Mathieu Colette de Finance active a souligné, pour sa part, les aspects positifs de ce type de financement : « Dans le contexte de taux d’intérêt actuel, cet outil de financement est clairement beaucoup moins cher que les lignes de trésorerie qui peuvent être souscrites auprès des banques – celles-ci se négocient avec des marges entre 150 et 200 points de base sur l’EONIA (Euro overnight index average – taux d’intérêt interbancaire pour la zone euro avec une échéance d’un jour) sur l’ensemble de l’année 2014 et encore en début d’année. En effet, les dernières statistiques publiées par la Banque de France fin décembre 2014 montrent un taux fixe à un jour négatif, à moins 0,2 % en moyenne, soit, toutes qualités de signature, tous secteurs confondus, entreprises, collectivités locales – dont une vingtaine émettent déjà sur ce marché – et sur douze mois, un taux payé de 0,52 % en moyenne, soit quatre fois moins que la marge appliquée par la banque.

Cette situation est néanmoins conjoncturelle, liée à l’excédent de liquidités. Peut-être les banques pourront-elles demain proposer des crédits de trésorerie moins chers, mais je n’en suis pas sûr, notamment à cause des réglementations qu’elles appliquent. »

Le décret n° 2015-353 du 27 mars 2015 relatif aux émissions de titres de créances négociables par les centres hospitaliers régionaux a ainsi prévu, pour l’application du 13 de l’article L. 213-3 du code monétaire et financier, de limiter les possibilités d’émettre des billets de trésorerie à cinq établissements, caractérisés par un total de produits supérieurs à 750 millions d’euros, un compte de résultat principal supérieur à – 2 % du total de ses produits, une capacité d’autofinancement suffisante, une trésorerie nette du dernier exercice supérieur à – 2 % du total de ses produits et pas d’emprunts toxiques, soit les établissements suivants : AP-HP, CHR de Bordeaux, Lille et Montpellier, et Hospices civils de Lyon

c. Aller vers une plus grande mutualisation des trésoreries ?

La rapporteure souhaite également évoquer une suggestion qu’avait faite l’IGF dans le rapport précité, relative à la possibilité pour l’ACOSS d’accorder des avances de trésorerie aux établissements confrontés à un risque d’incident de paiement sur un produit bancaire, cette possibilité étant subordonnée à l’autorisation de l’ARS.

La proposition d’une mutualisation de la trésorerie des établissements hospitaliers entre eux se heurte pour sa part à de fortes résistances, notamment de la part de l’IGF qui considère que cela pourrait fragiliser la trésorerie de l’État, les hôpitaux ayant obligation de déposer leurs fonds au Trésor (art 47 du décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012), mais la raison essentielle avancée est que cela inciterait à une gestion laxiste de la trésorerie, la ressource devenant trop facilement accessible. La direction du Budget, lorsqu’elle a été auditionnée par la MECSS, a elle aussi mis en avant le risque de déresponsabilisation des établissements.

La rapporteure estime qu’il serait plus réaliste et équitable de s’orienter vers une mutualisation de la trésorerie entre établissements qui ont choisi de coopérer et de gérer certains aspects de leur politique financière en commun (voir préconisation supra sur les GHT).

La rapporteure voudrait clore ce développement sur les financements alternatifs en soulignant la nécessité de faire preuve d’imagination sans pour autant oublier la prudence.

L’un des responsables hospitaliers auditionné, M. Michel Rosenblatt, secrétaire général du Syndicat des cadres de direction, et médecins, des établissements sanitaires et sociaux publics et privés (SYNCASS CFDT), a ainsi proposé de recourir à des établissements publics qui recueillent des fonds sur du long terme : « Certains établissements publics n’ont pas le statut bancaire mais collectent des fonds et peuvent réaliser des placements financiers dans la durée. Je pense, par exemple, à l’Établissement de retraite additionnelle de la fonction publique (ERAFP) qui recueille des cotisations pour des montants élevés et qui doit diversifier ses placements. Il est bien évident que l’on pourrait, sous réserve d’adapter la loi, imaginer des « circuits courts » pour financer la dette à long terme des hôpitaux par des placements à long terme de l’ERAFP. »

Cette idée devrait certes faire l’objet d’une analyse approfondie préalable pour en vérifier la faisabilité, mais présente le mérite de poser le problème de la diversification des sources de financement des établissements de santé.

Préconisation n° 13 : Diversifier les modes de financement des investissements hospitaliers

Rechercher des modes de financement alternatifs au financement bancaire, en associant des spécialistes de la finance et de la gestion hospitalière, mais aussi des directeurs d’hôpitaux de terrain. Sous réserve d’une grande prudence, pour éviter de réitérer les choix hasardeux des emprunts toxiques, encourager à la réflexion en faveur de solutions innovantes, en analysant notamment les expériences étrangères pour trouver d’autres angles d’approche du financement de l’offre de soins et recenser les pratiques nouvelles pertinentes, qui ont pu être réalisées localement par des gestionnaires très pragmatiques et soumis à de fortes contraintes budgétaires.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission des affaires sociales examine le rapport d’information de Mme Gisèle Biémouret en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale sur la dette des établissements publics de santé au cours de sa séance du mercredi 8 juillet 2015.

M. Christian Hutin, président. À la demande de son précédent coprésident, représentant la majorité, M. Jean-Marc Germain, la MECSS s’est saisie du sujet de la dette des hôpitaux publics. Elle a travaillé à partir d’une communication de la Cour des comptes demandée par la commission des affaires sociales en application de l’article L.O. 132-3-1 du code de la sécurité sociale. Ce document remis par la Cour des comptes en avril 2014 a été présenté devant notre commission le 8 octobre dernier. Cette étude témoigne, une fois encore, du caractère fructueux de l’assistance apportée par la Cour au Parlement dans sa mission constitutionnelle de contrôle de l’application des lois de financement de la sécurité sociale et d’évaluation des politiques publiques prévu par l’article 47-2 de la Constitution.

La MECSS s’est ensuite réunie régulièrement sur ce thème entre la fin du mois de novembre 2014 et le 1er juillet 2015, date à laquelle ses conclusions ont été discutées avec les représentants de la Cour des comptes. Elle a adopté hier, à l’unanimité, le projet de rapport d’information que Mme Biémouret va nous présenter.

Mme Gisèle Biémouret, coprésidente de la MECSS, rapporteure. Après plusieurs mois de travaux, je vous présente aujourd’hui les conclusions de mon rapport d’information sur le thème de l’endettement hospitalier. La Cour des comptes a été sollicitée pour apporter son expertise. Sa communication sur l’endettement des établissements de santé se situe dans le prolongement des travaux qu’elle a menés sur les emprunts toxiques contractés par les collectivités locales, et sur son analyse de la faillite de Dexia.

Avant de parler des principaux constats de la Cour des comptes et des travaux de la MECSS sur des questions financières très techniques, j’évoquerai les moyens de conforter les hôpitaux publics dans leur mission alors qu’ils connaissent une situation financière et un endettement très préoccupants.

Au cours de mes déplacements en région, j’ai été frappée par le pragmatisme des équipes pour réussir à soigner tous les patients sans aucune sélection des risques, tout en faisant le maximum pour que les établissements continuent à se moderniser. Les choix au quotidien sont parfois douloureux. Ce constat a conforté mon souci de soutenir l’hôpital public, qui présente la spécificité de devoir relever sans cesse le défi d’être à la fois un service à la pointe de la médecine et un lieu où l’on accueille n’importe quel patient, fût-il en situation précaire et sans couverture sociale. Il faut reconnaître à l’hôpital public cette force de savoir concilier les contraintes contradictoires auxquelles il est soumis.

Mes déplacements m’ont aussi permis de rencontrer des équipes qui, tout en traversant des périodes de crise parfois très graves, ont réussi à poursuivre leur mission. J’ai entendu des inquiétudes sur les risques d’obsolescence de l’hôpital public qui, incapable de financer des équipements de pointe, perd des praticiens, découragés de devoir se battre au quotidien pour avoir les moyens d’offrir une médecine de qualité. Des choix importants doivent être faits pour financer la modernisation hospitalière et éviter que le poids de la dette ne compromette le futur, tant il est vrai qu’endettement et financement des investissements sont étroitement liés.

Longtemps, l’endettement hospitalier n’a pas été un sujet de préoccupation, car l’idée prévalait que les pouvoirs publics devaient dégager les moyens pour moderniser l’hôpital public. Depuis 2009, le niveau d’endettement de celui-ci et les dangers présentés par les emprunts structurés dits « toxiques » très concentrés sur certains établissements ont fait l’objet d’une prise de conscience. La Cour des comptes a donné des repères chiffrés très parlants : de 2003 à 2012, la dette hospitalière a triplé, passant de 9,8 milliards d’euros courants à 29,3 milliards. Elle a encore progressé d’un milliard d’euros en 2013. Durant une période particulièrement dynamique entre 2006 et 2009, elle a crû en moyenne de 16 % par an. Ce rythme s’est sensiblement infléchi, revenant à une hausse moyenne annuelle de l’ordre de 10 % dans les années récentes, et de 6 % aujourd’hui. Deux raisons expliquent cet emballement jusqu’en 2009.

La première est l’effort d’investissement considérable auquel les hôpitaux ont été appelés dans le cadre des plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012, qui ont couvert respectivement les périodes 2002-2007 puis 2007-2012. Ces deux plans, qui répondaient à un besoin de modernisation des hôpitaux publics, ont été financés non par des apports en capital ou par des subventions, comme prévu initialement, mais de plus en plus largement par des appels à l’emprunt, des dotations de l’assurance maladie couvrant les charges d’intérêts. Ces plans se sont caractérisés par une relance considérable des investissements hospitaliers qui sont passés de 3,6 milliards d’euros en 2003 à 6,7 milliards en 2009, puis à plus de 6 milliards en 2010 et en 2011, avant de revenir à 5 milliards annuels en 2012 et 2013.

Ce dynamisme de l’investissement hospitalier a été entretenu par l’abondance des projets présentés par les établissements eux-mêmes. Les risques d’un recours massif à l’emprunt ont été ignorés. La période était à l’optimisme, car le regain d’activité des hôpitaux était source de recettes supplémentaires et devait permettre de rembourser ces emprunts.

La seconde raison de l’emballement constaté a été le désarmement progressif des contrôles de l’administration des stratégies de dette des hôpitaux. Jusqu’en 2005, ces derniers devaient soumettre leurs emprunts à leur conseil d’administration, donnant à l’agence régionale d’hospitalisation (ARH), saisie des délibérations du conseil d’administration, la possibilité de réagir. Or une ordonnance de 2005 a modifié ce régime en donnant davantage de latitude aux établissements dans la souscription de leurs emprunts. La loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) du 21 juillet 2009 a encore élargi cette marge d’autonomie en donnant aux directeurs des hôpitaux une compétence pleine et entière en la matière.

La perspective d’un surcroît d’activité lié à l’entrée en vigueur de la tarification à l’activité (T2A) a facilité le recours à l’emprunt. La Cour des comptes a souligné qu’à de nombreuses reprises, les choix d’investissement n’avaient pas été guidés par un souci d’efficience et que l’on avait construit des établissements surdimensionnés par rapport à la réalité de leur activité. Les pouvoirs publics ont réagi tardivement, et la crise financière a révélé les risques des emprunts structurés qui paraissaient à court terme intéressants.

Un décret a été pris à l’automne 2011 pour soumettre à autorisation d’emprunt les établissements les plus endettés ; il ne permet toutefois de réguler qu’une partie de l’appel à l’emprunt, car cette contrainte ne s’exerce que sur les établissements surendettés.

Le niveau d’endettement des établissements publics de santé est devenu critique. Le taux d’endettement, à savoir l’encours de la dette sur le total des produits d’activité, a lui-même doublé en dix ans et avoisine 40 %. Cet endettement élevé compromet le financement des investissements courants de renouvellement des équipements. La part des emprunts toxiques aggrave le phénomène d’endettement, mais il faut bien garder à l’esprit que le taux d’endettement global est trop élevé.

Dans un climat de concurrence exacerbée, les établissements de crédit ont sollicité les hôpitaux pour qu’ils souscrivent des emprunts sophistiqués avec, dans un premier temps, une phase de taux d’intérêt très bas mais, dans un second temps, une indexation les exposant à des risques considérables. Selon l’estimation de la Cour des comptes, les emprunts à risque élevé représentent 2,5 milliards d’euros dans l’encours des dettes hospitalières, soit 9 % de l’encours total des emprunts. Les emprunts particulièrement délétères, dits « hors charte Gissler », représentent, pour leur part, 1 milliard d’euros, soit 4 % des encours. Ces emprunts structurés sont d’autant plus dangereux qu’ils sont concentrés sur un nombre limité d’établissements. Une centaine d’entre eux sont très fortement « chargés » en emprunts toxiques : certains sont de grande taille, comme le centre hospitalier universitaire (CHU) de Saint-Étienne, d’autres sont bien plus modestes, comme le centre hospitalier intercommunal de Montreuil.

La Cour des comptes a estimé que le coût de sortie des emprunts structurés, c’est-à-dire le rachat des options liées à ces emprunts toxiques, représente, en cas de remboursement anticipé, une dépense de l’ordre de 1,5 milliard d’euros, dont 1 milliard pour certains emprunts parmi les plus risqués. Cette somme ne tient pas compte de l’effet du renchérissement du franc suisse, qui a considérablement fait augmenter le montant des indemnités de remboursement anticipé.

Au début de la crise, certains établissements avaient des difficultés à continuer d’emprunter ou même à obtenir des lignes de trésorerie. Cette situation a été en partie palliée par la montée en puissance de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui a dégagé des enveloppes de crédits en faveur des établissements publics de santé, sous réserve que ces crédits soient d’une durée assez longue.

Les premières mesures décidées par le Gouvernement doivent être saluées, mais il faut aller plus loin pour parvenir à désendetter les établissements tout en trouvant des moyens plus diversifiés de financer les investissements.

Les premières mesures adoptées en urgence visant à rendre plus difficile le recours à l’emprunt en le soumettant à une autorisation préalable des agences régionales de santé (ARS) et à interdire la souscription de produits dérivés doivent être confortées. Un amendement en ce sens a d’ores et déjà été adopté dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé, à l’initiative des deux coprésidents de la MECSS, pour interdire les emprunts en devises et encadrer au niveau législatif les emprunts à taux variable.

Certaines mesures doivent être adoptées d’urgence afin de sortir des emprunts toxiques. À court terme, il faut accélérer la mise en place effective du dispositif de désensibilisation des emprunts toxiques, dont la dotation devrait être majorée suite à l’aggravation de la situation financière des hôpitaux causée par le renchérissement du franc suisse. Le Gouvernement a annoncé que la dotation serait portée à 400 millions d’euros et que le deuxième volet serait financé par une nouvelle majoration du taux de la taxe de risque systémique payée par les banques. Or celle-ci nécessite une modification législative, qui ne devrait intervenir qu’en fin d’année dans le cadre de la loi de finances. Je trouve dommage que ce deuxième volet ne soit pas opérationnel avant, et je m’interroge sur le dimensionnement du dispositif : la somme de 400 millions d’euros sera insuffisante, ce qui conduira des établissements de taille moyenne à être écartés du dispositif alors que leurs capacités de négociation avec les banques sont faibles.

Parmi nos recommandations, nous indiquons qu’il faut que tous les établissements mènent une stratégie collective homogène de sortie des emprunts toxiques. Les ARS doivent convaincre les directeurs réticents de se désengager, même si certains emprunts toxiques présentent encore des taux favorables. Le risque potentiel est trop grand, et seule une stratégie d’ensemble permettra une démarche globale cohérente et fiable.

Nous demandons aussi qu’un point soit clarifié : les établissements de crédit peuvent-ils opposer aux hôpitaux publics le respect du taux de l’usure dans leurs renégociations de prêt pour passer à des taux fixes ? À titre conservatoire, nous souhaitons que les établissements bancaires écrêtent au niveau du taux de l’usure les taux d’intérêt fixes qu’ils proposent pour sortir des emprunts toxiques.

Enfin, et cette préconisation sera la plus difficile à mettre en œuvre, il faut que les pouvoirs publics engagent une négociation avec les établissements bancaires, pour que ces derniers renoncent collectivement à la perception de la totalité ou de la majeure partie des indemnités de sortie des emprunts toxiques. Cette renonciation serait négociée au cas par cas et prendrait la forme d’une transaction avec les établissements emprunteurs. Cela permettrait de partager équitablement le coût de la sortie de ces emprunts car, jusqu’à présent, les banques y ont contribué faiblement malgré leur participation au dispositif de soutien.

Nous devons regarder vers l’avenir. Seule une démarche de négociation globale permettra de sortir rapidement de cette crise et de rétablir la confiance entre hôpitaux et établissements bancaires.

Nous recommandons de réfléchir à de nouvelles formes de financement des investissements. La Mission a entendu de multiples spécialistes qui ont surtout montré la complexité des mécanismes et la nécessité de stabiliser les règles du jeu. Ces dernières années, les modifications des règles de la T2A, l’instabilité des tarifs, ou encore l’évolution très contraignante de l’ONDAM ont profondément déstabilisé les directeurs hospitaliers. Les tarifs doivent, par ailleurs, intégrer le financement de la dotation aux amortissements pour permettre de réaliser les investissements courants.

Pour acter cet objectif de stabilité, la démarche contractuelle doit être renforcée : en contrepartie d’engagements sur des objectifs de productivité ou d’amélioration de l’offre de soins, les hôpitaux doivent disposer d’une visibilité d’au moins trois ans sur les aides à l’investissement dont ils peuvent effectivement bénéficier.

La spécificité des petits établissements contribuant à l’aménagement du territoire doit être réaffirmée, et leur mode de financement doit être adapté, comme cela vient d’être décidé dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale.

En raison de la crise des emprunts toxiques, les corps de contrôle, tels que l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ou l’Inspection générale des finances (IGF), qui sont chargés de réfléchir à l’évolution des modes de financement de l’hôpital, semblent aujourd’hui peu enclins à des solutions innovantes. Il faut pourtant diversifier les modes de financement en s’inspirant notamment de bonnes pratiques locales. On doit se féliciter que les gros établissements aient été autorisés à émettre des billets de trésorerie.

Il faut aller plus loin et prévoir, par exemple, de mutualiser certaines fonctions ou compétences pour gagner en force de négociation financière. Les établissements constituant un groupement hospitalier de territoire (GHT) doivent pouvoir décider de gérer de manière commune certains aspects de leur politique d’endettement et de trésorerie afin de disposer d’une masse critique plus importante pour accéder aux marchés financiers et négocier avec les banques.

Les auditions ont révélé que les directeurs d’hôpitaux et les cadres des ARS devaient renforcer leurs compétences en gestion financière, aussi bien lors de leur formation initiale que dans le cadre de la formation continue. Il faut inciter à la constitution de groupes de travail entre pairs pour partager les bonnes pratiques et accroître ainsi l’expertise des équipes de direction. Le Centre national de gestion de la fonction publique hospitalière (CNG) et l’École des hautes études en santé publique (EHESP) doivent renforcer leur coopération pour mettre sur pied des formations vraiment proches des problématiques de terrain. Nous recommandons également de développer la pratique du coaching individuel, notamment pour les fonctions les plus délicates des directeurs, et de mieux anticiper certains recrutements, notamment à l’issue des périodes d’administration provisoire, pour susciter des candidatures et assurer que le candidat retenu sera accompagné par un coach ou des référents expérimentés.

Pour répondre à la crise financière des emprunts toxiques, de gros efforts ont été faits pour rationaliser les critères d’investissement et évaluer la pertinence des projets. À ce titre, la mise en place du Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (COPERMO) doit être saluée. Cette cellule interministérielle qui instruit les demandes d’aides à l’investissement de plus de 50 millions d’euros a mené un long travail d’instruction des dossiers. Cette procédure manque de transparence. C’est dommage, car il faudrait diffuser les enseignements tirés de l’instruction des dossiers d’investissement présentés.

Il est urgent de trouver une solution équitable pour sortir des emprunts toxiques et des solutions pour diversifier le financement des investissements qui ne peuvent pas seulement reposer sur des emprunts bancaires.

Ce rapport d’information aura aussi le mérite de poser des questions essentielles et pressantes qui sont cependant souvent éludées. Le réseau hospitalier n’est-il pas surabondant ? Ne faut-il pas clairement hiérarchiser les équipements des hôpitaux pour constituer un réseau de soins avec des hôpitaux de proximité, des établissements généralistes et des établissements de haute technicité ?

Il faut aussi changer de regard et éviter de penser à des établissements toujours plus grands alors que la qualité passe aujourd’hui plutôt par des plateaux techniques modernes mais utilisés de manière continue avec des patients rapidement réorientés vers un parcours de soins extra-hospitalier. L’hôpital public doit se moderniser tout en gardant sa vocation d’hôpital de référence pour les techniques de pointe mais aussi d’hôpital ouvert à tous les patients, même sinon surtout les plus vulnérables.

M. Pierre Morange, coprésident de la MECSS. Je félicite la rapporteure et la coprésidente Gisèle Biémouret qui a acquis très rapidement la maîtrise d’un sujet extrêmement complexe, et je remercie les administrateurs qui ont accompli un travail remarquable.

En lançant la MECSS sur le sujet de la dette des hôpitaux, notre collègue Jean-Marc Germain était tout particulièrement préoccupé par l’explosion de cette dette dont le volume a triplé au cours des dix dernières années. Une partie de ces montants, certes mineure, même s’il s’agit tout de même d’un milliard d’euros, est qualifiée par Mme Biémouret « d’emprunts particulièrement délétères ». En ce qui les concerne, le déplafonnement de la parité du franc helvétique et l’actualité récente en Grèce n’ont fait que rendre la situation plus instable et les négociations avec les banques plus aléatoires.

L’analyse en silo vertical des charges d’emprunts liées à des investissements qui répondaient à la volonté de moderniser un parc hospitalier commençant à devenir obsolète dans les années 90 doit désormais être intégrée dans une vision plus horizontale qui tienne compte de la réorganisation de notre offre de soins et d’une meilleure connaissance du patrimoine et des coûts de fonctionnement des hôpitaux.

Lors d’une table ronde assez « sensible » réunissant des interlocuteurs des milieux bancaires, la MECSS a rappelé que la responsabilité des directeurs d’établissement hospitalier ayant contracté des prêts structurés était partagée, non seulement avec les autorités de tutelle comme les ARS, mais aussi avec les banques qui avaient proposé les prêts en question. Ces mêmes banques avaient été bien aises, lors de la crise de 2008, de voir d’une certaine manière les travailleurs français apporter leur caution pour éviter l’effondrement d’un système financier déstabilisé par la totale déconnexion de l’économie financière virtuelle et de l’économie de production. J’ai également rappelé à ces banquiers que leurs établissements avaient absorbé une bonne partie des emprunts toxiques de la Grèce. À tout le moins, on pourrait leur demander de consentir un effort similaire en faveur de nos concitoyens et des établissements de soins qui prennent en charge la santé des travailleurs qui participent à la création des richesses.

Enfin, la situation financière actuelle, qui résulte d’une politique monétaire très souple de la Banque centrale européenne (BCE), permet l’octroi de prêts à des taux historiquement bas. Ce sont autant d’opportunités pour les établissements hospitaliers de sortir de situations difficiles qui se traduisent de manière extrêmement concrète. L’asphyxie financière pour un hôpital, ce sont des pompes à morphine, des scanners, des réanimateurs et des infirmières en moins, et, hélas, peut-être aussi des décès en plus qui auraient pu être évités avec plus de moyens. Les institutions bancaires ont donc une responsabilité morale. C’est la raison pour laquelle elles doivent entendre l’exigence des représentants de la Nation que les pénalités de sortie des emprunts toxiques soient annulées.

M. Christophe Sirugue. Le sujet est délicat, explosif même. Dans cette situation, quelle est la part du conjoncturel et quelle est celle du structurel ?

On peut imputer au conjoncturel le défaut d’investissements qui a prévalu durant de très nombreuses années, qui a nécessité d’engager les plans Hôpital 2007 puis Hôpital 2012. Sans aucune acrimonie, je souligne que ces plans ont laissé les établissements chercher seuls des financements, ce qui s’est majoritairement traduit par un recours à l’emprunt. Nous ne pouvons pas faire aujourd’hui comme si nous découvrions la situation dans laquelle nous avons nous-mêmes placé les hôpitaux. Concomitamment, la crise financière, qui a rendu totalement incertains les montages financiers construits par les équipes des centres hospitaliers, a également constitué un facteur conjoncturel.

Au-delà de ces réalités, des éléments structurels entrent aussi en jeu sur lesquels il est indispensable de s’interroger. Très sincèrement, peut-on demander à des gestionnaires d’établissement de travailler sérieusement sur la base d’un principe de tarification qui n’est toujours pas stabilisé, ou de répondre aux demandes formulées par l’État via les ARS alors que les participations financières correspondantes ne suivent pas ? Quel système hospitalier public voulons-nous en France, et qu’est-ce que cela signifie en termes d’organisation pour l’État et la sécurité sociale ?

Tenter d’établir un équilibre financier sur la base d’une tarification qui ne repose que sur l’activité ne peut que poser des problèmes. Cela conduit à faire des choix plus ou moins avoués d’activité, ce qui n’est pas acceptable pour un établissement public, et à pratiquer des tarifs fluctuants dans un ONDAM que chacun sait extrêmement contraint. Dans la suite que nous donnerons, je l’espère, au rapport de Gisèle Biémouret, le premier sujet qu’il nous faudra traiter sera celui d’une bonne tarification de l’activité.

Un autre élément à modifier est la carte hospitalière. Les groupements hospitaliers de territoire ont été vus par certains comme le moyen d’ « assécher » les établissements qui n’étaient pas pivots, mais comment fonctionner sans les CHU ni les établissements d’un autre niveau ? La question de la structuration est fondamentale.

Pierre Morange souhaite contraindre les banques à jouer un rôle plus proactif. À nouveau, je m’interroge sur la nature de ce rôle : conjoncturelle ou structurelle ?

Mme Isabelle Le Callennec. Dans certains hôpitaux, en effet, la situation devient explosive. Voulu, à l’origine, pour évaluer la situation financière des hôpitaux publics confrontés aux emprunts toxiques, ce rapport d’information a été élargi à la dette de tous les établissements publics de santé, ce qui nous sera fort utile. Dans notre pays, 420 hôpitaux sont déficitaires, 40 d’entre eux cumulant à eux seuls 50 % du déficit. En 2013, le déficit cumulé s’élevait à 476 millions d’euros.

L’endettement massif des établissements de santé pèse sur la modernisation de l’offre de soins. Il en résulte un accès au crédit contrasté selon la taille des établissements et, parfois, selon le bon vouloir des ARS, des difficultés de financement à court terme et des problèmes de trésorerie dans nombre d’hôpitaux, ainsi que des inégalités croissantes entre les établissements pour financer les investissements : certains hôpitaux qui ont de réels besoins paient aujourd’hui le surdimensionnement d’hôpitaux voisins, ces « cathédrales » où avaient été construits plusieurs blocs opératoires finalement fermés peu de temps après faute d’activité.

Le rapport relève que l’expertise financière peut faire défaut dans les établissements. Avec un certain courage, vous osez même proposer d’améliorer la formation en la matière des cadres dirigeants des centres hospitaliers mais aussi des équipes des ARS. La question est, en effet, clairement posée à l’École des hautes études en santé publique.

Vous soulignez également les conséquences de la mise en œuvre de la T2A. Pour ma part, je reste convaincue que si cette tarification à l’activité a pu profiter à certains établissements, elle en a très fortement pénalisé beaucoup d’autres en rendant leurs déficits structurels, ceux-ci se creusant paradoxalement avec l’activité. Cette évolution est sans doute également due au fait que les hôpitaux ne dissocient pas le financement des investissements immobiliers et celui des petits équipements médicaux. Votre rapport comporte une préconisation pour y remédier. La question est singulièrement posée aux hôpitaux de référence, ceux qui comportent des unités de chirurgie, de maternité et de réanimation. Cette tarification devrait, à elle seule, faire l’objet d’un rapport d’information, ainsi que le pense mon voisin Henri Guaino.

Pour ce qui est de celui qui nous est soumis aujourd’hui, il comporte treize préconisations, dont on espère qu’elles seront suivies. J’en retiens quatre :

Améliorer la transparence de la procédure devant le COPERMO : le moins que l’on puisse dire est que ses décisions restent très opaques, ce qui laisse libre cours à toutes les interprétations.

Renforcer la confiance entre les établissements de santé et les banques afin que ces dernières aient conscience les efforts consentis par les hôpitaux pour un retour à l’équilibre : je peux témoigner que ces efforts sont réels et ne vont pas sans créer des tensions chez les personnels.

Clarifier et stabiliser les règles de la tarification à l’activité : je me demande s’il ne serait pas opportun d’étendre aux établissements de référence qui en ont besoin le mécanisme prévoyant, à l’article 52 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, de faire bénéficier les établissements de proximité d’un financement mixte.

Engager une réflexion sur l’évolution des règles de financement des investissements : vous évoquez le crédit-bail et les expériences étrangères. Je citerai le cas du CHU de Rennes, pour lequel le fonds Nominoë concourt à des investissements plus qu’utiles pour la santé.

Le rôle des ARS est indispensable pour la mise en œuvre de ces préconisations. Rien ne se fera sans leur implication forte et leur capacité à dialoguer de façon constructive avec les établissements de santé. La préconisation n° 3 du rapport de gérer en commun la trésorerie et l’endettement des établissements qui constitueront à terme un groupement hospitalier de territoire n’a pas cependant fini de nous mobiliser sur le terrain, et d’occuper les ARS et les établissements hospitaliers.

M. Jean-Philippe Nilor. Les plans Hôpital 2007 et Hôpital 2012 se sont traduits par un emballement de la dette hospitalière, celle-ci progressant à un rythme pouvant atteindre 20 % par an, et triplant sur une période de dix ans. Les pouvoirs publics en portent la responsabilité au premier chef : ils ont privilégié le levier de la dette pour financer un plus grand nombre d’opérations sans l’assortir de procédures rigoureuses, tout en allégeant les contrôles sur la nature et le montant des emprunts souscrits.

Le pari de la dette reposait sur la capacité des établissements, aidés par des dotations spécifiques de l’assurance maladie et par la nouvelle tarification à l’activité, à engager une dynamique de croissance de leurs recettes d’exploitation leur permettant d’assumer les charges de remboursement. Les gestionnaires hospitaliers ne sont pas non plus exempts de responsabilité. L’argent de la dette a pu leur paraître facile dans un contexte réglementaire permissif et dans un climat de concurrence entre les établissements bancaires, qui a favorisé le développement d’offres de crédits structurés dont les risques considérables ne sont apparus qu’ultérieurement.

En outre, les investissements ainsi réalisés ne se sont pas réellement inscrits dans une logique d’efficience et de retour sur investissement. Ils n’ont pas toujours été le levier d’une rationalisation et d’une reconfiguration destinées à améliorer l’efficacité de l’offre de soins. Les mesures d’encadrement progressivement prises depuis deux ans ne témoignent que de la prise en compte tardive de ce phénomène par les pouvoirs publics.

L’encours de la dette hospitalière, qui représente aujourd’hui 1,4 % du PIB, a créé une situation grave tant pour les finances publiques que pour nombre d’établissements qui n’ont plus les marges d’exploitation suffisantes pour couvrir leurs charges de remboursement. Une stratégie de désendettement s’impose, mais pas au prix de la santé publique ni d’une fracture sanitaire à l’échelle du territoire.

Pour que le ralentissement récent de la progression de la dette débouche sur une stabilisation, puis une diminution de l’encours, les pouvoirs publics doivent amplifier la réorientation engagée de la politique de soutien à l’investissement désormais plus sélective et davantage fondée sur les aides en capital. Leur action a permis de contrer récemment le risque d’assèchement des crédits offerts aux hôpitaux à la suite de la crise financière, mais les établissements demeurent pénalisés par le montant élevé des marges bancaires aussi bien pour les crédits à court qu’à moyen et long terme. Ces difficultés plaident en faveur d’un recours direct au marché pour les établissements qui jouissent d’une bonne qualité de signature et qui disposent de la surface financière et de l’organisation administrative suffisante pour émettre des billets de trésorerie ou des obligations.

Au final, l’offre de crédit du secteur hospitalier ne retrouvera un équilibre satisfaisant qu’à terme, avec l’amélioration générale des conditions de crédit. Il faudra aussi juguler les risques propres au secteur. La mise en place d’un fonds spécifique pour l’hôpital, à l’image de celui créé pour les collectivités territoriales, avec des modalités de financement et des critères d’éligibilité et de conditionnement des aides rigoureux, pourrait également faciliter ce rétablissement.

J’ajoute qu’un tel dispositif n’aurait de sens que si l’ensemble du monde hospitalier prend conscience du poids de la dette qui l’asphyxie et de ses répercussions sur les conditions de soins de nos concitoyens, et si l’ensemble de ce monde se mobilise pour réussir les réformes structurelles et courageuses qui s’imposent.

Enfin, les engagements de l’État devraient à l’avenir être davantage marqués du sceau de la cohérence. Nous ne comprenons pas, par exemple, pourquoi le Gouvernement s’entête à vouloir annoncer l’installation d’un cyclotron en Martinique et d’un autre en Guadeloupe. Deux rapports d’experts commandés par le ministère de la santé préconisent pourtant l’implantation d’un seul cyclotron interrégional en Martinique. Alors qu’au niveau national, on compte un cyclotron pour cinq Tep-scanners, c’est-à-dire pour environ quatre millions d’habitants, il y en aurait un pour 400 000 habitants dans chacun des territoires ultramarins. Cela exigerait un investissement de 12 millions d’euros, voire de 18 si l’on en implantait un en Guyane – au point où nous en sommes ! Cela induirait surtout un déficit d’exploitation structurel et exponentiel. L’État acceptera-t-il que la sécurité sociale supporte le remboursement de ces examens à un coût dépassant de 300 euros le tarif de référence ? Il est permis d’en douter. Surtout, d’autres besoins en santé de nos territoires d’outre-mer, déjà en grande souffrance sur ce plan, risquent d’être sacrifiés, et les difficultés financières ses établissements hospitaliers de s’aggraver. J’en appelle à un minimum de cohérence dans les décisions des pouvoirs publics.

Mme Luce Pane. L’analyse qui nous est présentée de la situation des établissements publics de santé est à la fois pertinente est inquiétante. Parmi les préconisations du rapport d’information, j’ai particulièrement retenu celle qui porte le numéro 6, consistant à développer une expertise financière mutualisée. Les établissements de santé sont confrontés à un double défi puisqu’ils doivent gérer un endettement massif tout en ayant l’obligation de poursuivre la modernisation de l’offre de soins. Cette obligation contribue d’ailleurs à creuser l’endettement des établissements hospitaliers, ce qui renforce la difficulté de la gestion de la dette.

Sur ce sujet, l’expérience de la mission d’accompagnement régionale à la tarification à l’activité (MARTAA), proposée par l’agence régionale de santé des Pays de la Loire, est particulièrement intéressante, notamment dans son axe d’accompagnement de la gestion de la dette et de la trésorerie. Cette formule répondrait à la demande d’un certain nombre de directeurs d’établissement public de santé. Une telle expérimentation mériterait d’être étendue et d’impliquer tous les acteurs intervenant dans le financement des établissements.

M. Gérard Bapt. Ce rapport d’information constitue un socle de travail inestimable.

Madame Biémouret, vous avez eu raison de séparer la question de l’endettement général et celle du traitement des emprunts toxiques. Concernant ces derniers, un point m’étonne : le Gouvernement avait refusé un de mes amendements tendant à faire bénéficier les établissements de santé du fonds de soutien mis en place en 2013 pour les collectivités locales, mais aucune action volontariste n’a encore été mise en place pour l’hôpital, à l’exception de l’aide de 25 millions d’euros par an pendant quatre ans, destinée aux petits établissements.

Aucune action n’a, en particulier, été entreprise en direction des banques. Sur ce sujet, je soutiens le raisonnement de M. Morange : ceux qui ont proposé ces crédits aux établissements hospitaliers doivent participer activement à leur redressement puisqu’ils ont fortement contribué à leur endettement et aux dérives constatées.

S’agissant du caractère structurel de l’endettement, la situation des établissements est en fait extraordinairement contrastée alors qu’ils sont placés dans les mêmes conditions de fonctionnement. Ainsi, le fait que le CHU de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille soit très endetté n’exclut pas le besoin d’investissements massifs, par exemple pour la maternité ou pour ces tours desservies par deux ascenseurs seulement – le record d’attente pour les brancardiers qui acheminent les malades a été établi à trente-cinq minutes !

L’équipement hospitalier français est peut-être surdimensionné, mais cet aspect est à rapprocher de la façon dont la médecine de ville sera adaptée. Tant que la révolution du premier recours n’a pas eu lieu et que l’accès au soin et le suivi des patients ne seront pas assurés en ville comme ils le devraient, la question de l’hôpital restera difficile à traiter.

Mme la rapporteure. Je souhaite que ce rapport ait une suite, d’abord pour les patients évidemment, mais aussi pour les directeurs d’hôpitaux et les équipes médicales qui sont très motivés et font le maximum pour soutenir l’hôpital public. Nous devons les aider ! Ces cadres hospitaliers vivent au quotidien des situations parfois inextricables qui ont des retombées sur les équipes de soignants. Comme le disait Christophe Sirugue, la situation est explosive.

Le GHT constitue certes une solution pour l’organisation des soins sur les territoires, mais je constate dans ma circonscription qu’il fait appel à la bonne volonté de personnes qui n’en font pas toujours preuve. Les ARS doivent jouer un rôle pour fluidifier l’organisation du territoire.

Pour conclure, permettez-moi de préciser que nous souhaitons intituler ce rapport d’information : L’hôpital public malade de sa dette ?

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La Commission décide, à l’unanimité, en application de l’article 145 du Règlement, d’autoriser la publication du rapport d’information sur la dette des établissements publics de santé.